La Nièvre a connu une densité considérable de moulins
Extrait d’un article de
9 pages avec photos cartes et plans de Philippe Landry
Dans “Description de l’Election de
Vézelay” (unité administrative qui regroupait une majorité de paroisses
nivernaises), l’illustre maréchal Vauban livre un recensement de janvier
1696 : 55 paroisses, comptant au total 22 500 personnes, 80 moulins et 62
huileries, soit un moulin pour 281 habitants et une huilerie pour 363. C’est
curieusement la modeste paroisse de Cervon qui en a le plus : 8 et 3, devant
Chitry-les-Mines (4 et 1).
Nevers compte 21 moulins à un moment
au cours du XVIIIe siècle (Guy Florenty). Cosne-sur-Loire a disposé
d’un grand nombre de moulins sur les différents bras du Nohain.
Le nombre est plus grand dans les zones
montagneuses où les villages, isolés, tendent à vivre en autarcie : dans
les années 1850 la moyenne par commune du Morvan partie nivernaise est de 6.
Ouroux, qui compte alors dans les 2 800
habitants, dispose de 16 moulins : 12 à eau et 4 à manège, tous 4 ne
travaillant que l’huile. Parmi les 12 moulins à eau, les 3 de Savault ont
chacun 3 activités : farine, huile et foulon ; 7 font farine et huile, 2
seulement ne travaillent que la farine (ADN, série P, relevé des patentes
industrielles). Moulins-Engilbert et Dun-les-Places ont chacune 10 moulins.
Selon l‘Annuaire de 1859, la Nièvre
compte 48 moulins à vent, 567 à eau, 5 à vapeur. Mais
la Nièvre en 1934 ne compte plus que 174 moulins travaillant le blé. La
carte de France des minoteries capables de produire au moins 50 quintaux par
jour en 1938 livre 29 moulins dans la Nièvre, dont la Sté du Moulin de Nérondes
à Menestreau 100, et un moulin à Mesves-sur-Loire 90.
Après 1945, les progrès techniques
s’accentuent, ce qui continue de mener à la disparition des moins
importants. Nevers perd son dernier moulin à blé, celui du Martelet, vers
1947. En 1950, la chambre syndicale de la Meunerie de la Nièvre ne rassemble
plus que 111 meuniers travaillant la farine.
Les grands moulins sont de plus en plus
puissants. M. Roquelle, qui a mené son petit moulin des Michots à St-Léger de
Fougeret, au sud-ouest de Château-Chinon, jusqu’en 1973, me racontait : les
Grands Moulins de Dijon, pourtant à plus de 100 km, envoyaient leurs camions
collecter le blé à St-Léger et communes proches, et le ramenaient moulu aux
paysans ; néanmoins les moyens techniques de la société dijonnaise étaient
tels que malgré ce double aller-retour, le coût de revient de sa farine
demeurait inférieur à celui de M. Roquelle.
Même les plus gros moulins s’éteignent
: par exemple dans les années 1960 la Fougère à Champvert et les 2 derniers
de Cosne-sur-Loire, vaincus par la concurrence « épouvantable »
dit-on, des Grands Moulins de Paris. Deux anciens grands sites meuniers, Donzy
et Moulins-Engilbert, perdent leur dernier moulin, respectivement Maupertuis
(aujourd’hui visitable) et Commagny.
Le
moulin de Paillot à Saint-Martin-sur-Nohain ferme en 1996 (voir plus loin dans
les moulins visitables). L’immense moulin de l’Echo à Mesves-sur-Loire
ferme peu avant l’an 2000, avalé par une société prétendument « coopérative »
qui trouve son bénéfice insuffisant.
Il y a en 1870 des moulins à huile
dans presque toutes les communes, parfois grâce à la force hydraulique, plus
souvent celle d‘un animal (dans ce dernier cas l‘animal est relié à
l‘axe par un portique de façon que l‘huilier puisse œuvrer entre les
meules et lui). L’huile est utilisée dans l’alimentation notamment pour
relever la soupe de légumes, pour l’éclairage, et pour graisser les outils.
La plupart des moulins à grain ont une annexe huilerie.
Mais le nombre d’huileries diminue
fortement dès avant 1914, surtout dans les campagnes. Dans certaines grandes
cités, on voit d’importants huiliers s’installer, équipés d’une turbine
s’il s’agit d’un ancien moulin à eau, mais plus encore d’une machine à
vapeur. Et puis ce sont des commerçants qui achètent la matière première, à
l’instar de ce qui se fait dans les meilleurs moulins à blé. Entre les 2
guerres mondiales, certaines huileries deviennent très importantes et
s‘agrandissent comme Vrinat à Cosne-sur-Loire, et Mousseau à Narcy (voir
moulins visitables).
La situation des huileries est de plus
en plus difficile après 1945. Rapidement elles disparaissent. Les 2 dernières
de Nevers ferment l’une dans les années 1950 (Machecourt), l’autre peu après
1975 (La Croix-Joyeuse).
Une particularité de la Nièvre : les moulins face
au flottage
A partir de 1569, se développe le
flottage du bois à destination de Paris : les « bûches » sont
mises à l’eau sur l’Yonne et la Cure et leurs affluents, puis attachées en
« trains ». Lors du « grand flot », qui se produit
pendant quelques jours une fois par an, toute l’eau est réservée au
transport du bois. A cet effet des ordonnances royales ordonnent aux meuniers de
fermer leurs barrages, les contraignant au chômage. Elles fixent l’indemnité
versée aux propriétaires des moulins (et non aux meuniers). Lorsque des
« bûches perdues » causent des dégâts, les compagnies de flottage
indemnisent le propriétaire. En 1661, au moulin de Chassy, commune de
Montreuillon, le flot est si violent que les « bûches » emportent
la digue et les chevalets qui la protégeaient ; « le
bief du moulin est dépouillé en divers endroits » au point que « des
trois roues qui sont audit moulin il ne peut à présent tourner qu’une ».
Or le moulin appartient au châtelain et seigneur, lequel a droit de justice sur
la contrée. Il condamne les flotteurs à lui verser rien moins que 1 080
livres. Furieux, leur représentant se présente au château armé de 2
pistolets ; heureusement que trouvant le châtelain alité suite à une chute de
cheval, le flotteur se calme, et la tragédie est évitée. Finalement la cour
d’appel de Paris donnera raison au seigneur propriétaire, mais en réduisant
fortement les dommages et intérêts (cité par Nicole Gottery dans sa thèse
sur la Seigneurie de Chassy).
Les compagnies de flottage sont
tellement puissantes qu’elles obtiennent en 1780 la suppression du moulin de
Blaisy, à Chaumard, qui parait-il gênait l’écoulement du bois.
Une grande
variété d’activités
Outre le travail du blé, le moulin a
été le moteur de plusieurs industries. Pour l’huile, voir plus loin
l’histoire du moulin de l’Ile à Donzy, encore en activité. Le département
a connu un grand nombre de moulins à fer, notamment dans le grand site de Guérigny
et communes proches. Le Nohain et ses affluents ont également animé plusieurs
forges, notamment une immense à Cosne-sur-Loire qui compta jusqu’à 9 roues.
Notons que Guérigny et Cosne ont énormément travaillé pour la marine,
fabriquant des ancres ou de l’armement. Chaque été des expositions sont
organisées dans les locaux de la principale usine de Guérigny, au bord d’un
magnifique plan d’eau, lequel alimenta plusieurs roues et turbines ; on peut y
admirer une très belle roue à palettes en bois.
Le comte de Nevers eut plusieurs forges
en Nivernais, par exemple à Entrains-sur-Nohain et à Cercy-la-Tour. Le fameux
prieuré de La Charité tira d’importants revenus de ses forges disséminées
dans les grandes forêts dont une bonne part lui appartenait. A Donzy, outre que
l’abbaye de l’Epau eut d’importantes forges, le cardinal Mazarin soi-même
en fit créer plusieurs, dont une qui en son honneur fut nommée “Forge de
l’Eminence” (l’étang qui en demeure conserve ce nom).
Mais dans les années 1850, le minerai
nivernais s’est avéré moins rentable que celui de Lorraine : la plupart des
forges hydrauliques ont fermé ; cela fut un traumatisme pour la population de
Donzy, même si plusieurs devinrent de bons moulins à grain ou à huile.
Des usines d’acier demeurent à
Imphy, occupant des centaines d’ouvriers... mais il y a beau temps qu’elles
n’utilisent plus l’énergie hydraulique. Tout au sud du Morvan, le moulin de
Montécot, à Sémelay, fut mû par le magnifique élargissement de la rivière
l’Alène grâce à un simple barrage. Il conserve une très belle roue en fer,
qui parait immense. Une beauté qu’insupporte l’administration : elle veut
absolument abaisser le barrage, ce qui va entacher la splendeur du lieu. Quant
au moulin, séculaire : ce fut un très grand moulin ! Pendant la Révolution,
une tornade cataclysmique ravagea soudain le vallon ; les dégâts furent tels
qu’ils nécessitèrent pour 1 300 francs de réparations, ce qui était
énorme à l’époque. Enfin ce moulin eut pour meuniers des Perraudin, comme
un grand nombre de moulins de ce secteur.
Montécot. Justement, puisqu’on parle
de plan d’eau et des Perraudin : ils auront mené 2 siècles et demi le double
moulin sis sous la digue de la Queudre, à Saint-Honoré les Bains. Cela grâce
à un très joli étang, alimenté par de modestes sources.