Meule,
livre-nous tes secrets
Extrait d’un article de 2 pages, avec
photos, par Jean Moreau, meunier du moulin de l’Ecornerie (44)
C’est en observant ma mouture entre
les meules du moulin de l’Ecornerie que, dopé par l’exemple d’Emmanuel
Suire, meunier du moulin voisin, j’ai voulu satisfaire à tout prix ma
curiosité, observer, exprimer ce que les anciens meuniers gardent jalousement
secret depuis des siècles.
Lorsque les meules sont en situation de
travail, l’action d’écraser et l’évolution progressive de la mouture
sont invisibles. La matière y est impalpable, sauf le grain lorsqu’il tombe
dans l’œillard, et la mouture complète lorsqu’elle sort en périphérie
des meules.
Mais alors… le principe de
cisaillement du grain par des rayons, paramètres
figés c'est-à-dire portants, rampants, rhabillures fines, voûte d’entrée
ménagée à la surface de la meule courante, ensemble suffiraient-ils ?
constitueraient-ils secrètement le résultat de l’amélioration supposée de
l’action de moudre au fil des siècles… évidemment non ! Recherchons
plutôt le fruit d’une amélioration concurrentielle constante, à tâtons,
fruit de l’intelligence de meuniers adroits. Un peu de tout cela sans doute
pour confirmer que le concept des rayons dits de Paradis serait le plus adapté
pour transformer efficacement en farine ces minuscules graines entre 2 pierres
de plus de 1 000 kg chacune.
Le réflexe pousse alors à relever la
meule courante, tel est le cas lorsqu’il est nécessaire de procéder aux
rhabillages périodiques. Toujours aussi secrète, elle ne livre rien de la
subtilité de son action puisque l’effet de souffle de la force centrifuge
pollue de fine farine toutes les zones de travail, tout au long du cheminement,
depuis l’œillard jusqu’à la périphérie des meules. Impossible donc
d’observer avec précision l’évolution de la mouture, pourtant bien présente
au creux des rayons.
Animé d’une insatiable curiosité,
je me résous à tailler 5 orifices (boites de prélèvements de 15x5x5 cm))
dans les rayons de silex de ma belle meule dormante, à des distances équivalentes
entre l’œillard et la périphérie.
Les meules ont pu enfin livrer ce dont
de nombreuses générations de meuniers rêvaient : au moulin de l’Ecornerie,
on a pu comparer les stades divers de mouture, à chaque étape du transit entre
les meules, tant dans les zones proches de l’entrée, jusqu’à la feuillère.
Il fallut procéder à plusieurs moutures successives -après purge -et lancer
le tournant de meules serré et sans grains- afin de valider les précédentes,
il n’y eut que peu de variations dans les prélèvements successifs.
Le concours et les analyses de l’INRA,
furent l’occasion d’interpréter le concept des rayons, des portants et
rampants, de reconsidérer l’incidence et la violence du cisaillement extrême
sur la mouture, au somment de la voûte d’entrée c'est-à-dire au début de
la feuillère, là où les meules sont en contact parfait. Ce fut l’occasion
de mesurer l’importance du soin apporté à la confection des rhabillures,
dans leur action sur le curage des sons, réputés sortir larges des meules.
J’ai
pu déduire que la mouture sur meules n’est pas une approximation, dès lors
qu’on recherche à optimiser l’extraction, qualité boulangère et
nutritive. Que la meunerie ne se résume pas à la transformation de graines en
mouture, à l’aveugle, au moyen de 2 énormes pierres. Il fut aussi simple de
constater que l’amélioration des moutures sur meules au fil des siècles
avait permis de transformer le grain en farine complète achevée (germe
compris) en un seul passage.