Anthropisation de la basse vallée de l'Essonne. Permanence dans le paysage d'un patrimoine hydraulique. 

 

Article de 13 pages par Karine Berthier Karine Berthier, conservateur du Patrimoine, archéologue/historienne Vice-Présidente ASME 91 Laboratoire d’Archéologie et d’Histoire médiévales de l’Université de Picardie (LAHP) - EA 4284 TRAME, (avec photos et plans)

La ville actuelle de Corbeil-Essonnes, au confluent de l’Essonne et de la Seine, résulte de la fusion de deux agglomérations qui ont connu des histoires souvent convergentes mais différentes ne serait-ce que par leur implantation géographique. Corbeil se situe exactement au confluent, assise en bordure de la Seine, au débouché d’un pont sur le fleuve. Essonnes s’allonge le long de la vallée de l’Essonne, prolongée en amont par les villages de Villabé et d’Ormoy. La zone d'étude s'étend sur moins d'une dizaine de kilomètres le long de l’Essonne, où sont encore perceptibles de multiples bras et les vestiges d’aménagements hydrauliques.

Les conditions naturelles s’avèrent à la fois très profitables à l’expansion d’activité économique, donc au développement urbain, mais également contraignantes. L’Essonne, appelée dans les archives « rivière d'Etampes », provient de l’union du cours supérieur de l’Essonne et de la Juine. La rivière naît en forêt d’Orléans de la confluence de ruisseaux qui prennent leur source à une altitude d’environ 150 m ; la Juine, affluent de rive gauche, prend sa source en Beauce, elle arrose Etampes, d’où le nom qui apparaît dans les documents médiévaux et modernes. Longue de 98 km, l’Essonne possède une pente très modérée sur la majeure partie de son cours, sa vitesse, jusqu’alors assez lente, s'accélère sur les derniers kilomètres avant la confluence avec la Seine, donnant ainsi à l’agglomération un potentiel énergétique important. Durant les 7 derniers kilomètres de son cours, l’Essonne passe de 43 à 33 m NGF. Aux conditions du relief s’ajoutent celles de l’hydrologie. L’Essonne et la Juine drainent un nombre considérable de sources, exutoires de la nappe des calcaires de Beauce. L’approvisionnement par la nappe, beaucoup plus que par le ruissellement, explique l’assez grande régularité, en particulier l’absence d’étiages catastrophiques. Se retrouvent donc sur la basse vallée de l’Essonne, trois facteurs essentiels pour la production d’énergie hydraulique dans les sociétés pré-industrielles : une rivière aux dimensions moyennes, facile à contrôler, à barrer et à traverser, une pente relativement forte surtout dans un pays de plaine, un débit suffisant, 6,6 m3/s. en moyenne, qui ne tombe jamais ou presque, en se référant aux données des 30 dernières années, à moins de 4,4 m3/s.

Enfin interviennent la morphologie et la nature des sols. En entrant dans ce qui est maintenant l’agglomération de Corbeil-Essonnes, au niveau d’Ormoy, la vallée se rétrécit pour un bref moment parallèlement à la Seine dont l’Essonne n’est séparée que de quelques hectomètres, puis en arrivant à Essonnes la rivière s’éloigne du fleuve avant de le rejoindre à Corbeil. Ainsi à un vallon assez marqué succède une étendue plus plate où les conditions du sol favorisent, et en même temps nécessitent, des aménagements. Un important remplissage alluvial recouvre tout le fond de vallée, la rivière y serpente naturellement parmi les marais et les tourbières. Pour s’installer sur place, les hommes ont dû drainer, chose facile vu l’importance de la pente vers la Seine.

Tous ces facteurs imposés par le milieu ne suffisent pas à expliquer les aménagements de l’Essonne, et surtout ses transformations. Un élément déterminant de l’histoire, celle des hommes comme celle du milieu, tient à la proximité de Paris. Située en bordure du Hurepoix, Corbeil se trouve au débouché, grâce à l’Essonne mais surtout à la Juine, de riches régions productrices de blé, dont la Beauce un des greniers de la capitale. Les besoins de la plus grande ville d’Occident, la disponibilité en énergie, les capacités de transport par eau, tout contribuait à donner à Corbeil et à Essonnes une place particulière dans un réseau urbain et de production dominé par Paris.

Au moment où les premières sources écrites permettent d’apercevoir l’histoire de la rivière d’Essonne dans l’agglomération de Corbeil, les modifications du milieu par les hommes apparaissent déjà considérables. Les conditions naturelles expliquent la présence de nombreux moulins à la fin du XIIe siècle à Essonnes et il est probable que les premières installations soient plus anciennes. Les sources n’indiquent pour Corbeil que 2 moulins à l'intérieur de son enceinte, le premier dit du Roi, appartenant au souverain, et le second dit moulin de la Boucherie, possédé par le prieuré victorin de Saint-Guénaud. Si ce nombre semble très réduit, il faut relativiser puisqu’un site, « les moulins du roi » est doté de 4 roues.

Ils se trouvent juste en amont de l'embouchure avec la Seine, là où la chute d'eau est la plus forte. Emplacement d’autant plus profitable que la Seine fournit une excellente voie d’eau. Le village d'Essonnes est alors fortement équipé avec au moins six moulins, auxquels s'ajoutent, en amont, les deux connus sous le nom de moulins d'Angoulême et de Moulin-Galland.

A ce minimum de 11 roues, toutes destinées, semble-t-il, à écraser du blé, il faut ajouter les moulins de Chantereine et Martin, implantés entre Essonnes et Corbeil.

 

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