Les meulières oubliées : les pierres de Moissey

Article de Bernard Bichon

 

 Voici ce qu’écrit, en 1920, l’archéologue Julien Feuvrier dans la revue « Franche-Comté et Monts-Jura » : « La montagne de la Serre, d’une altitude maxima de 380 m (…) est située au nord-est de Dole. Ce massif boisé, composé de roches primitives, granitiques principalement, forme un véritable îlot contrastant (…) avec les terrains jurassiques qui l’environnent (…). Au nombre des roches affleurantes se remarque, dans le terrain de Trias (…) l’arkose, qui présente une grande analogie avec le grès vosgien. Cette roche constitue des bancs de 30 à 70 cm d’épaisseur, séparés par de minces couches de grès à grains fins. La puissance de ces bancs superposés est de 15 à 20 m. Dans une région étendue dont la Serre est le centre, il n’est pas une station de l’époque dite néolithique ou de la pierre polie – laquelle a pris fin 2000 à 2500 ans avant notre ère – qui n’ait livré aux préhistoriens des blocs de cette roche utilisée, après préparation, comme polissoirs d’outils ou meules à broyer le grain. »

Ces meules sont dites « de Moissey », du nom de la principale localité flanquant la Serre, ou encore du nom d’autres villages, « meules de Menotey, de Frasne-les-Meulières… ». Vers 1715, l’Intendant fait écrire dans son « Mémoire sur la Franche-Comté envoyé au régent » : « dans le territoire de Moissey, à deux lieues de Dole, l’on tire des meules de moulins de toutes grandeurs, qui sont d’un très bon usage, particulièrement lorsqu’il n’y en a qu’une en chaque moulin, et que l’autre est une meule de Brie… ». Leur diffusion mordait sur les régions environnantes. Vers 1800, une statistique départementale indique qu’on extrait 50 à 60 meules par an et qu’on les vend dans le Jura, le Doubs, la Haute-Saône et la Haute-Marne. Alain Belmont, employant les données de l’enquête de 1809 sur les moulins, en trouve en Haute-Marne, en Côte-d’Or, dans l’Ain, le Rhône, la Haute-Savoie. Les meules de Moissey sont progressivement disqualifiées, d’une part avec la venue de pierres d’autre provenance, d’autre part par l’évolution des procédés de mouture. Si beaucoup de moulins, au XVIIIe siècle encore, n’employaient qu’elles, les vieux meuniers qui ont connu leur usage au début du XXe siècle estiment qu’on ne peut, avec de telles pierres, obtenir une mouture de qualité : tout au plus sont-elles bonnes pour la farine à bétail.

On repère en effet, à partir du XVIe siècle, des meules de Brie, et, au XVIIe des meules dites « blandines » provenant du nord-Charolais (Mont-Saint-Vincent, Blanzy). Les premières se diffusent vite dans l’ensemble régional, alors que les secondes sont longtemps en usage presque exclusivement dans le sud du département du Jura, comme le montrent, avec peu d’exception, les résultats de l’enquête de 1809 relatives à ce département… L’usage de ces pierres bourguignonnes était toutefois vraisemblablement très antérieur à l’époque où on les voit dénommées; dans le cours du XIXe siècle, elles deviennent les meules à gaudes typiques.

C’est dans le cours du XIXe siècle que s’interrompt la production de meules de moulins à la Serre.L’archéologue Luc Jaccottey conduit actuellement des recherches (prospection, fouilles, extraction) sur les carrières de Moissey.

 

 

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