Un mets jurassien emblématique : les gaudes

Article de Bernard Bichon

 

 Quoiqu’une tradition place l’introduction du maïs dans le Jura à la fin du XVIe siècle, par la petite-montagne, c’est dans la première moitié du XVIIe qu’on en repère la trace dans les archives, où il est d’abord appelé turquie (blé de Turquie).

En Franche-Comté, le maïs est employé non seulement pour l’alimentation animale, ainsi qu’on l’observe un peu partout, mais aussi de manière très marquée dans l’alimentation humaine. Vers 1800, la statistique départementale indique : « Pour l’usage des hommes, on fait moudre le grain préalablement desséché au grand air ou au four, on le convertit en pain ou en gâteaux (…). Ce n’est cependant point en pain que son usage est le plus généralement répandu, c’est en bouillie connue dans tout le département sous le nom de gaudes. Pour rendre le turquie propre à faire des gaudes, il faut en soumettre le grain à une espèce de torréfaction, qu’on obtient en le mettant au four immédiatement après en avoir retiré le pain, pour le dessécher sans néanmoins pousser cette dessiccation assez loin pour le brûler, ce qui lui donne, lorsque cet accident arrive, un très mauvais goût. C’est avec la farine de ce grain ainsi préparé qu’on fait cette bouillie qu’on appelle gaudes, soit avec du lait, soit avec de l’eau ».

Myriam Gaxotte dans un rapport de 1989 pour l’Écomusée de la Bresse Bourguignonne observe que gaudes et pain sont en relation étroite, constituant une sorte de doublet : on consomme en début de repas soit de la soupe au pain soit des gaudes ; l’une plutôt en été, les autres davantage en hiver ; pain et maïs à gaudes se succèdent au four à pain, soupe et gaudes sont censées faire grandir … Toutefois leur usage social les oppose : le pain construit la sociabilité (avec par exemple la figure du partage du pain à la messe dominicale), alors que les gaudes closent la maisonnée sur elle-même : c’est la nourriture du foyer ; on n’en sert pas à des invités ; chaque famille exige du meunier qu’il lui restitue « ses gaudes », plutôt que celles d’une autre famille… Par ailleurs l’appellation narquoise qui affecte les habitants de la plaine où on en consommait beaucoup renvoie encore à l’intime : on les traitait de « ventres jaunes » par référence au jaune foncé des gaudes. On peut encore ajouter que les gaudes étaient considérées comme une nourriture de pauvres, voire de rustres, par opposition au pain de froment dont on recherchait la blancheur.

La consommation des gaudes s’est assoupie dans le cours du XXe siècle, avec un regain pendant la seconde guerre mondiale. Depuis quelques années, le goût pour les nourritures du terroir les remet à l’honneur. Actuellement, elles ne sont plus moulues que par les meules de deux moulins ; celui de Chaussin, à la charnière de la Bresse et du Finage et le moulin-conservatoire de Pont-des-Vents à Montfleur, dans la petite-montagne.

 

 

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