Les usines jurassiennes du XIXe siècle

Résumé d’un article de Bernard Bichon, 3 pages avec photos

 

Une statistique dressée par le service des Ponts et Chaussées et déposée aux Archives départementales, recense les « usines hydrauliques » du département du Jura en 1861, à l’exception de celles qu’animent les rivières navigables ou flottables. Au total 886 sites sont répertoriés, avec type de roue, puissance, outillage, etc. Une statistique de 1857 dénombre sur les quatre rivières navigables ou flottables, une quarantaine d’usines. Ces grands cours d’eau sont difficiles à maîtriser, et on retrouve surtout les moulins établis, non sur le cours principal, mais sur les petits affluents. La statistique de 1861 est en partie mise à jour jusqu’en 1879, mais les rectifications superposées aux données originelles sont parfois impossibles à dater. Les moulins à bateaux, fréquemment mentionnés sur le bas Doubs au XVIIIe siècle, paraissent avoir disparu au plus tard au début du XIXe.

Les types d’usines varient également selon les trois régions naturelles du département :

1 - la plaine (ou bas plateaux)

2 - le Vignoble-Revermont : fortes collines et reculées entaillant le plateau (disons « Vignoble »)

3 - la montagne dont au sud-ouest « petite-montagne » (chaînons peu élevés allongés nord-sud), à l’ouest de l’Ain ; et au sud-est, région la plus élevée où les usines à bois (scieries, tourneries…) sont dominantes et qui correspond grosso modo à l’arrondissement de Saint-Claude, avec hauts-plateaux et haute chaîne plissée (disons Haut-Jura).

Les moulins à grain (disons « moulins ») fournissent les usages les plus fréquents : 539. Le quotient paires de meules (PM) par moulins donne 2,82. A la même date de 1861, une statistique de l’administration fiscale compte sur tout le département 512 moulins équipés de 1 536 PM, soit une moyenne de 3.  

D’autre part, les moulins des plus grands cours d’eau, mieux équipés que la moyenne, sont omis ; par exemple 10 moulins sur le Doubs comportent 88 PM, soit une moyenne de 8, 8.

 Dans le Bas-Jura, rares sont les moulins à une seule paire de meules : aucun dans la plaine, et 8 dans le Vignoble. En revanche, ils sont très nombreux dans le Haut-Jura mal pourvu en cultures céréalières, et où beaucoup se bornent à moudre un peu d’orge. On y repère 28 moulins à une seule paire de meules, soit 40 % des 71 établissements meuniers.

Ailleurs, les moulins y sont très minoritaires dans l’ensemble des usines : une centaine de sites les ignorent. Les principales usines non meunières du Haut-Jura sont les scieries de bois : une centaine, dont une soixantaine hors moulins et les autres couplées avec un moulin, où on ignore quel équipement peut être considéré annexe de l’autre… La statistique dénombre 273 scieries… Elles sont très rares dans la plaine : 3 ; au début du siècle, la statistique départementale indique qu’on y use des scieurs de long… 56 dans le Vignoble, dont 32 concentrées dans la reculée de la Furieuse (Salins et environs) au pied de grands massifs forestiers (forêt de la Joux).

L’aire des tourneries de bois – 23 – couvre le Haut-Jura, étendue vers l’ouest jusqu’à la vallée de la Valouse, dans la petite montagne. On tourne des essences variées et notamment des buis. Une seule dans le Bas, à Arbois. L’aire de la tournerie connaîtra une forte expansion à la fin du siècle et au début du XXe.

Des spécificités du Haut-Jura :

- 21 fabriques d’horlogerie : 18 dans la vallée de Morez, plus 3 un peu plus au nord, au village des Foncines.

- 5 lunetteries, aussi dans le val de Morez, avec, en annexe à l’une, une « orfèvrerie ».

- 4 fabriques de mètres (mesures linéaires) à Morez, Saint-Claude.

Autres productions de la petite métallurgie : les clouteries : cinq dans la vallée de Morez avec encore deux autres plus bas, sur les plateaux (Bonlieu, Conte). Les 4 tréfileries (hors les grandes usines métallurgiques) sont vers Morez, à Conte (avec la clouterie), à Arinthod. L’aire des martinets, aussi hors grosse métallurgie, couvre la montagne et le Vignoble : 28, avec un 29e en bordure, à Villers-Farlay.

La grosse métallurgie (hauts-fourneaux coulant la fonte, affineries produisant le fer, laminoirs…) est présente dans la haute-vallée de l’Ain avec les forges de Champagnole, de Syam et de Bourg-de-Sirod. A l’aval, sur le cours flottable, il faudrait rajouter les sites de Pont-du-Navoy et de Pont-de-Poitte… Dans le Vignoble, l’usine de Baudin (haut-fourneau et fonderie) est répertoriée. Si les forges de Foucherans, sur un petit affluent du Doubs, apparaissent, tous les établissements du cours principal sont occultés : les usines de Dole, Lavans, Rans et Fraisans, première entreprise du département avec environ 1 500 ouvriers, gypseries, salines, faïencerie (Salins), une serrurerie (Sellières), un atelier de construction de machine (Messia), avec encore des ateliers bien représentés dans la montagne : martinets, papeteries, une usine de grosse métallurgie (Baudin)..Par ailleurs sont mentionnées, dans la vallée de Morez, deux fonderies de plus modeste envergure.

Les 19 papeteries et cartonneries occupent la montagne et le Vignoble-Revermont. De même les cinq scies à pierre : une scierie de marbre dans le Haut-Jura (Molinges), trois dans le Revermont, une scie à tuf dans le Vignoble (Ladoye). Est omise, sur le Doubs, la marbrerie d’Audelange. Les gisements de gypse affleurant dans le Vignoble y donnent 19 fabriques de plâtre dont 13 dans la seule vallée de la Furieuse, plus encore 2 excentrées (Foncine-le-Haut sur le plateau et Bans dans la plaine). Aussi dans le Vignoble, 2 salines (Salins et Montmorot) et un établissement de bains minéraux (le puits-salé à Lons).

L’aire des huileries renvoie en partie à celle des moulins. Sur les 120 recensées, 4 seulement dans le Haut-Jura mais il est vraisemblable qu’au sud du département certaines ont été omises.

Un équipement difficile à caractériser : les battoirs. En effet, la statistique n’est pas homogène : au nord et à l’ouest, elle spécifie leur nature. On y décompte la plupart des 149 « battoirs à blé » servant à égrener les céréales, procédé diffusé à partir de 1830 environ. Les 44 battoirs à chanvre (dits aussi ribbes) sont employés pour défibrer le chanvre. Aucun dans la plaine, où ces équipements en voie d’obsolescence ont déjà disparu ; les trois quarts dans le Vignoble, quelques-uns sur le plateau, mais beaucoup sont omis dans le sud comme le montre un renouvellement de la statistique pour la petite montagne. En effet, au sud et à l’est, c’était pour 1861 seulement l’appellation « battoir » sans autre précision, qui se trouvait employée : la mise à jour substitue à cette formule « battoir à blé », « à chanvre », et ajoute même quelques huileries.

Finalement se dessine l’image d’un département contrasté. Dans la plaine, au potentiel agricole important et aux pentes plus faibles, les usines traitent massivement les comestibles. Plus de 90% des sites comportent un moulin à farine (contre moins de la moitié dans le Haut-Jura) Rappelons qu’à cette époque le département ne compte aucun moulin à vent en activité, ce qu’attestait déjà une statistique de 1800. Pour les époques plus anciennes, le dictionnaire historique de Rousset n’en mentionne guère qu’une dizaine.

 

 

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