Le moulin et la loi

 

Par Jean-François REMY , Avocat au Barreau de Nancy

 

Les débits réservés, un serpent de mer… de plus en plus contrôlé par les services de l’ONEMA… mais aussi par le juge administratif. S’il est une question qui préoccupe régulièrement les exploitants d’installations hydroélectriques, c’est sans doute la valeur du débit réservé qui doit être restitué au cours d’eau, et respecté continuellement durant les 30 à 75 ans que dure l’autorisation administrative ou la concession.

Dans le cas d’une petite centrale hydroélectrique plus particulièrement, la marge d’exploitation – généralement assez faible – peut se trouver réduite à néant lorsque le préfet décide d’imposer une augmentation significative du débit réservé, par exemple sous la pression d’associations dites « écologistes », associations ou fédérations de pêcheurs à la ligne… L’exploitation peut encore se trouver très impactée lorsqu’est exigée la construction d’une passe à poissons, ou d’une passe à canoës, dont les coûts croissent avec la hauteur de chute, et deviennent rapidement prohibitifs.

Dans le cas d’une petite centrale hydroélectrique plus particulièrement, la marge d’exploitation – généralement assez faible – peut se trouver réduite à néant lorsque le préfet décide d’imposer une augmentation significative du débit réservé, par exemple sous la pression d’associations dites « écologistes », associations ou fédérations de pêcheurs à la ligne… L’exploitation peut encore se trouver très impactée lorsqu’est exigée la construction d’une passe à poissons, ou d’une passe à canoës, dont les coûts croissent avec la hauteur de chute, et deviennent rapidement prohibitifs.

En toute connaissance de cause d’ailleurs, l’administration utilise parfois ces contraintes afin de pousser des exploitants à renoncer à leur droit d’eau, dont la persistance a pu être jugée indésirable… cela s’est malheureusement déjà vu.

Si de telles demandes administratives sont parfois justifiées, en raison de la fragilité des milieux aquatiques ou des obligations posées par la loi (classement de cours d’eau au titre des échelles à poissons…), que faire lorsqu’elles sont irrégulières ?

Autrefois quasiment hermétiques, les voies de recours sont aujourd’hui assez ouvertes, et permettent de remporter de beaux succès devant le juge administratif.

Avant que n’entre en vigueur la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau, le juge administratif considérait en effet que l’évaluation par les services préfectoraux du débit réservé à restituer au cours d’eau relevait du pouvoir souverain d’appréciation du préfet, et que dans ces conditions, à moins que l’exploitant ne puisse rapporter la preuve de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation commise par les services de l’Etat, la valeur de débit réservée imposée n’était pas critiquable.

Ceci pouvait être la source de véritables dérives, certains préfets ayant imposé des débits réservés de 20, 30 %... du débit moyen du cours d’eau, parfois sans aucune justification écologique réelle.

La situation a nettement évolué avec l’adoption par le Conseil d’Etat de son arrêt Gaston, en cours d’année 2004. Par cette décision, les hauts magistrats ont opéré ce que l’on appelle un « revirement de jurisprudence », et considéré que pour les recours introduits après l’entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau, le contentieux relatif à l’évaluation du débit réservé relevait désormais du régime du « plein contentieux ».

Par cette formule, le juge administratif signifiait qu’il a désormais vocation à intervenir pleinement dans l’appréciation de l’impact d’une installation hydroélectrique sur son environnement, et la contribution à l’obtention de l’optimum prévu par la loi entre valorisation énergétique de la ressource en eau et préservation des milieux aquatiques.

Une petite révolution !

En s’appuyant sur le Code de l’Environnement, qui lui en donne effectivement le pouvoir depuis 1992, le juge se substitue au Préfet dans le cadre d’un contentieux portant sur le débit réservé, et détient désormais le pouvoir au vu des éléments qui lui sont présentés, de réduire – ou d’augmenter – le débit réservé applicable à une installation hydroélectrique.

Cette solution a été mise en œuvre à de nombreuses reprises depuis, les services du Préfet, l’ONEMA mais aussi les Fédérations de pêche.... sachant désormais qu’il ne leur suffit plus d’imposer une augmentation du débit réservé pour qu’il s’agisse d’une parole d’évangile.

Si la jurisprudence était ainsi très claire dans le cas d’installations nouvellement autorisées, ou faisant l’objet d’un renouvellement d’autorisation, il restait à régler le cas des installations bénéficiant d’un droit fondé en titre à l’usage de l’eau, ou autorisées avant 1919 pour moins de 150 kW bruts, ou encore autorisées ou concédées avant la loi pêche et n’ayant pas encore fait l’objet d’un renouvellement. Pour ces installations, et jusqu’au 1er janvier 2014, le débit réservé minimal imposé en application de l’article L 214-18 du Code de l’Environnement est théoriquement égal à     2,5% du débit moyen du cours d’eau.

Mis régulièrement sous pression par l’ONEMA ou les Fédérations de Pêche, sous le prétexte d’obtenir un « bon état écologique des cours d’eau », les services préfectoraux considèrent parfois que ces valeurs de débits réservés ne sont pas suffisantes, et cherchent à imposer une augmentation du débit réservé, et parfois même la construction d’une passe à poissons. Or, dès lors qu’ils n’agissent pas dans le cadre d’un renouvellement d’autorisation, les pouvoirs du Préfet en la matière sont beaucoup plus limités qu’ils ne l’imaginent…

Tel était le cas rencontré avec un ancien Moulin hydraulique, autorisé en 1880, et dont l’exploitant avait indiqué aux services de l’Etat qu’il projetait d’y installer une turbine d’une puissance inférieure à 150 kW. L’autorisation ayant été délivrée avant 1919, pour une puissance de moins de 150 kW, il n’avait pas à faire l’objet d’un renouvellement. Parallèlement, le débit réservé était légalement fixé à 2,5% du débit moyen du cours d’eau.

Dans un contexte d’engagement tout à fait excessif de la Fédération de Pêche, les services du préfet se sont laissé forcer la main, et ont accepté la réalisation des travaux d’installation de la centrale hydroélectrique, accompagnant toutefois cette autorisation d’une réévaluation du débit réservé de 2,5 à 14,5% du module, avec obligation au surplus de construire une passe à poissons.

L’illégalité était évidente, à deux titres :

- Dans le contexte d’une installation existante, hors renouvellement d’autorisation, le Préfet ne dispose pas – sauf démonstration de l’existence d’une menace majeure pour les milieux aquatiques – du pouvoir de modifier ainsi le débit réservé applicable.

- En dehors des cours d’eau considérés comme des axes prioritaires d’équipement au titre des poissons migrateurs, la construction d’une passe à poissons ne peut pas être imposée par le préfet, quand bien même il en démontrerait l’intérêt pour la circulation piscicole, peu important également que cette mesure soit prévue par le SDAGE ou le SAGE en vigueur.

Après une instruction d’environ 2 ans, c’est très exactement ce que vient de juger le Tribunal Administratif de Dijon dans une décision rendue le 25 mai 2010, annulant les mesures imposées par le Préfet sur ces deux points, et fixant à la demande de l’exploitant le débit réservé applicable à son installation hydroélectrique.

Le premier effet de cette décision est de confirmer la jurisprudence Gaston, et d’en étendre les principes, de manière plus restrictive encore, au cas des ouvrages existants.

Le second effet est d’ouvrir à l’exploitant la voie d’une indemnisation du préjudice subi par la faute des services de l’Etat : ayant dû supporter pendant 2 ans des pertes de production causées par la restitution d’un débit réservé trop important, l’exploitant se trouve aujourd’hui en droit d’en réclamer l’indemnisation auprès de l’Etat.

Il est en est de même des frais causés par le recours (frais de justice, frais d’étude hydro biologique visant à démontrer le caractère inadapté du débit réservé imposé), mais aussi des frais inhérents à la conception et à la construction de la passe à poissons, que l’exploitant a été indûment mis dans l’obligation de réaliser.

Une nouvelle décision à prendre en compte pour les services de l’Etat face aux revendications des Fédérations de Pêche : si ces associations peuvent faire un recours, les producteurs en sont aussi capables, et ont des droits à faire valoir…

 

NB : une précision encore… Le pouvoir dont dispose le juge a jusqu’à présent toujours fonctionné en faveur du producteur. Mais il n’est pas exclu que, un jour, une association écologiste puisse engager un recours contre un arrêté préfectoral qui fixerait un débit réservé insuffisant, afin justement de faire réévaluer ce débit. Si tel était effectivement le cas, le juge pourrait ne pas annuler l’arrêté préfectoral, mais augmenter de manière significative la valeur du débit réservé précédemment fixée par le préfet.

3tr10n83