Question
d’actualité : La production d’énergie hydroélectrique
En ces temps de renchérissement
continu du prix des énergies fossiles et de l'augmentation prévisible
de l'électricité, les propriétaires de moulins s'interrogent sur la
possibilité de valorisation de leur potentiel hydroélectrique. Il y a
les moulins qui possèdent une chute importante et pour lesquels un
investissement élevé devient rentable par la revente d'énergie au distributeur électrique.
Il y a aussi - et
c'est le plus grand nombre - les «
petits » moulins qui ont une chute de plus faible
importance et qui peuvent également faire l'objet d'un aménagement rentable.
Au-delà de 100 kW la rentabilité est
quasiment assurée en quelques années ; on parle de micro-centrales. Des
entreprises spécialisées sont en mesure de réaliser ces équipements, ce n'est
pas l'objet de cette note.
De 20 à 100 kW, la rentabilité peut
être assurée dans les
conditions actuelles. Cela dépend
des conditions locales (machines et aménagements existants, proximité
du réseau de distribution public,
investissement actif du propriétaire...). En dessous de 20 kW on parle
de pico-centrale. La rentabilité peut aussi être assurée sous certaines
conditions. Il faut faire une étude sérieuse sur l'aménagement hydroélectrique
et aussi sur l'utilisation de l'énergie produite. Le but de cette note rentre
dans ce dernier cadre. Nous allons
examiner les différentes possibilités de moteurs hydrauliques, de génération
et d'utilisation de l'énergie produite.
1/ Les moteurs hydrauliques :
historiquement, les moteurs hydrauliques
qui ont mû nos moulins sont les roues
: roues horizontales ou verticales. Les turbines sont apparues plus tard, au
19e siècle.
Les roues horizontales (rouets,
roudets, pirouette...) elles sont de 2 sortes : en
puits (ou à cuve) ou volant (à buse)
sous voûte. Ces machines rudimentaires sont conçues pour entraîner une meule ou tout autre usage de faible puissance. La puissance mécanique
disponible est de quelques chevaux (4
à 5 CV sous 2 m de chute). La vitesse de rotation est faible, de l'ordre de 60
à 80 t/mn. Certains rouets de grand diamètre peuvent tourner à une vitesse de
30 t/mn. Pour entraîner
un générateur électrique il faut interposer un multiplicateur de vitesse à
plusieurs étages. La puissance électrique
que l'on peut espérer est de l'ordre de 1 à 2 kW, exceptionnellement
3 à 4 kW pour de gros rouets ou des rouets à buse à chute plus importante. La
consommation d'eau est importante et le rendement médiocre, de l'ordre de 30%.
Les roues verticales de
différents types (par-dessus,
par-dessous, de côté, Sagebien...) peuvent
délivrer une puissance moyenne de quelques kW ou au mieux de quelques dizaines
de kW avec une vitesse de rotation très
faible qui nécessite un multiplicateur conséquent. Le
rendement est meilleur, de l'ordre de 50% et peut être très élevé, jusqu'à
80 ou 90 % pour des roues perfectionnées de type Poncelet ou Sagebien.
Les turbines : elles sont
très nombreuses à équiper nos moulins, généralement de type Francis ou
dérivé. Le réglage se fait par l'ouverture d'un distributeur (directrices,
cloche...). On peut trouver aussi quelques turbines de conception plus récentes
(Kaplan, Banki...) ou au contraire
plus anciennes (turbines axiales),
ces dernières n'ayant pas de distributeur réglable. Les
turbines ont des vitesses de rotation nettement plus élevées que les roues
mais il faut généralement un multiplicateur de vitesse pour s'adapter à la vitesse
du générateur. Le rendement d'une petite turbine est de l'ordre de 70 à 80. En
général, la restauration de ces moteurs hydrauliques et des multiplications de
vitesse peut être faite localement avec l'aide d'artisans. J'attire néanmoins
l'attention sur la grande importance du bon rapport de multiplication de
vitesse. Une grave erreur consiste à mesurer
la vitesse à vide du moteur
hydraulique et à multiplier pour obtenir la vitesse nominale du générateur.
Cela ne marche pas, car il y a une forte baisse de régime en charge.
La partie électrique est plus délicate.
L'électricien «ordinaire» a les compétences pour réaliser
une installation électrique normale mais ne sera généralement pas en mesure
de réaliser un fonctionnement satisfaisant d'une installation hydroélectrique.
Pour s'assurer un fonctionnement sûr,
fiable, facile à utiliser et à maintenir, il faut faire appel à une personne
ou une entreprise spécialisée, et il n'y en pas beaucoup...
Le générateur électrique : Nous
allons examiner ici les différents types de générateurs, la régulation
et les modes d'utilisation.
Générateur asynchrone : c'est un moteur ordinaire qui peut fonctionner soit en moteur, soit en générateur. Une telle machine peut être utilisée en générateur de deux façons :
- En autonome, indépendant du réseau électrique. Il faut des condensateurs d'excitation pour magnétiser le circuit magnétique. Il faut l'utiliser à puissance relativement constante pour assurer la stabilité de tension compatible avec les appareils utilisateurs.
- En couplage au réseau : elle
fonctionne en hypersynchrone c'est-à-dire au-delà de la vitesse
de synchronisme (1). Le couplage doit se faire rigoureusement au synchronisme ce
qui nécessite une mesure de vitesse précise.
Générateur synchrone ou
alternateur. Dans le cas d'une
pico-centrale, il fonctionnera toujours
en mode autonome. Le couplage au réseau étant délicat n'est pas recommandé. Les
alternateurs modernes sont auto-excités et munis d'une régulation électronique
qui assure une grande stabilité de tension dans une large plage de vitesse
autour de la vitesse nominale (généralement
1 500 t/mn). Quel que soit le générateur
utilisé, il est obligatoire de le considérer comme potentiellement
dangereux au même titre que le réseau EDF. Il faudra donc distribuer
l'énergie produite avec les mêmes normes de sécurité
que ce dernier.
La régulation : dans
le cas d'un couplage au réseau, il n'y a pas besoin de régulation de vitesse,
c'est le réseau qui, une fois le couplage effectué, maintient la vitesse quasi
constante. Il y a lieu de prévoir une sécurité survitesse en cas de
perte de réseau ou défaut de couplage. Tout
automatisme correctement conçu doit comporter cette sécurité et d'autres
encore qu'il n'est pas possible de détailler dans cette note.
Dans tous les autres cas de figure,
et quel que soit le générateur utilisé, il est indispensable de réaliser
un dispositif de régulation de vitesse et/ou de tension.
Générateur asynchrone excité par condensateurs : la
tension délivrée par ce type de générateur
est très dépendante de la charge, la fréquence est relativement stable. Il
y a lieu de fonctionner à charge
quasi constante. Ceci nécessite une électronique qui
agit sur la vitesse pour la maintenir
à peu près constante soit par action sur le
distributeur, soit par action sur la
charge.
Générateur synchrone ou
alternateur : comme déjà
mentionné, les alternateurs modernes
fournissent une tension parfaitement stable, la fréquence dépend directement de la vitesse. Il faut donc une régulation de vitesse comme
dans le cas précédent.
Il faut remarquer la différence de comportement suivant le mode de régulation :
La régulation par la charge consiste
à travailler à puissance à peu près constante pour
maintenir la vitesse dans une fourchette acceptable. Cette action peut se faire
rapidement, donc le réseau distribué
est relativement stable. La contrepartie, c'est une
consommation d'eau élevée car on
fonctionne toujours à pleine puissance.
La régulation par le
distributeur fait appel à un moto-réducteur
; si bien que lors d'une variation brutale de charge (par exemple le
thermostat d'un radiateur) le temps de réaction est de quelques secondes, voire quelques dizaines de secondes. Le réseau
est donc perturbé pendant ce temps-là.
L'avantage c'est que l'on optimise la consommation d'eau. Il
est possible de concevoir une solution mixte qui allie rapidité et faible
consommation d'eau.
Dans tous les cas, en mode autonome, le
réseau créé n'a pas les mêmes qualités que celui délivré par EDF. C'est essentiellement une application chauffage.
L'utilisation de l'énergie produite : il ne sert à rien de réaliser un équipement dont le taux
d'utilisation est très faible, il convient donc d'examiner le « comment
utiliser l'énergie disponible » (2).
Couplage au réseau : le
taux d'utilisation est de 100%, toute l'énergie disponible est soit
consommée localement, soir réinjectée sur le réseau avec revente selon les
termes du contrat. Il n'y a pas besoin
de réaliser un câblage particulier dans le bâtiment, le transfert production
autonome/ EDF se fait tout seul.
Production autonome indépendante :
il faut envisager, dès le début du
projet, le « comment utiliser l'énergie »
Le cas le plus favorable : l'installation électrique existante est munie d'un tableau de distribution
bien réalisé par un professionnel. Les différentes utilisations potentielles
(convecteur électrique, éclairage,
cumulus...) sont câblées sur ce tableau et munies d'un disjoncteur
individuel. Il suffit donc de modifier ce câblage et de le raccorder au générateur
hydroélectrique en respectant les normes de sécurité électrique. Dans
tous les autres cas, il faut prévoir
un câblage spécifique pour chaque appareil récepteur.
Il est avantageux de prévoir un
inverseur NORMAL (hydraulique) /
SECOURS (EDF).
Un cas de figure très intéressant : chaudière électrique en relève de chaudière fuel ou autre. Un simple cumulus électrique du commerce peut faire l'affaire !
Attention aux bricoleurs ! il faut faire appel à un professionnel au moins au niveau du conseil.
Conclusions : il
est possible de réaliser de sérieuses économies sur le long terme en réalisant
une installation hydroélectrique bien conçue, fiable, simple à utiliser et
facile à maintenir.
Estimations
: Avec un
rouet : 1,5
à 2 kW : Coût du générateur 500 à 1 000 €; coût de l'équipement électrique
de l'ordre de 1 000 à 1 500 € hors installation. Prévoir en sus le
coût de la restauration du rouet et
de sa transmission mécanique.
Avec une roue verticale ou une
turbine de petite taille : 2
à 10 kW selon hauteur de chute
et aménagements.
Coûts en réseau isolé par
exemple pour 10 kW : générateur
1 000 à 1 500 €; l'équipement
électrique 3 000 à 4 000 € (hors installation). Il faut prévoir
un capteur de niveau d'eau du bief amont (coût
de
500 à 1 000 € pour une sonde à
ultrasons).
La meilleure solution, c'est
le couplage au réseau, c'est aussi la plus chère, à étudier au cas
par cas. Ordre de grandeur : 15 à 30 000
€ pour 20 kW (hors turbine, multiplication de vitesse et installation). Et
n'oubliez pas, la puissance que peut fournir votre installation n'est pas le
critère déterminant, il faut raisonner en tenue d'énergie annuelle
produite ! Un deuxième conseil : ne
surévaluez pas votre potentiel hydroélectrique : une installation de production
d'énergie doit pouvoir fonctionner en continu au moins pendant les mois d'hiver
!
1-la vitesse de synchronisme est
définie par le bobinage : 750 ; 1 000
; 1 500 ; 3 000
t/mn (2). On obtient la quantité d'énergie en multipliant la puissance en
kW par le temps en heures. Exemple 5
kW pendant 24 h représentent 120 kWh.
Production d'énergie hydroélectrique
avec un rouet
Nos ancêtres meuniers avaient imaginé
un moteur hydraulique rustique pour entraîner les meules
: la roue horizontale appelée rouet
ou roudet ou encore pirouette selon les régions. Il
existe deux types de rouets :
- le rouet en puits ou à cuve :
la roue horizontale est placée au fond d'un
puits maçonné dans lequel l'eau
arrive par un canal tangentiel de section décroissante. De cette façon, l'eau
est animée d'un mouvement circulaire rapide qui entraîne la roue à
aubes courbes. - Le rouet volant ou à buse :
la roue est disposée à l'air libre sous voûte.
Elle est alimentée par une conduite
forcée (buse) qui dirige le jet sur les augets. La disposition de cette buse
est variable depuis la plus simple (un
canal fait avec 4 planches) jusqu'à la plus
sophistiquée (une
arrivée tronconique semi-circulaire).
Le débit absorbé est assez important,
disons pour ordre de grandeur 150 l/s pour un rouet à buse
et 300 1/s pour un rouet en puits, et ceci sous une chute de 2 m. La
vitesse de rotation est assez faible de l'ordre de 60 à 80 t/mn afin de pouvoir
entraîner les meules directement.
La puissance mécanique disponible sur l'arbre est de l'ordre de 4 à 5 CV (3 ou 4 kW).
Pour produire de l'énergie électrique
il faut mettre en place un générateur. Se pose alors le premier
problème : la vitesse. Un
alternateur qui produit du courant industriel à 50 Hz doit tourner
autour de 1 500 t/mn. La multiplication de vitesse nécessaire est alors de 20
à 30, ce qui implique trois étages.
Un générateur asynchrone peut
fonctionner autour de 750 t/mn soit une multiplication de vitesse
de 10 à 15 possible en deux étages. Qu'est-ce qu'un générateur asynchrone ?
C'est ni plus ni moins qu'un moteur
ordinaire que l'on appelle un moteur asynchrone auquel on a adjoint des condensateurs. Lorsqu'on entraîne ce moteur ainsi équipé
autour de sa vitesse nominale, en
l'occurrence 750 à 800 t/m, il devient générateur. La qualité du courant
obtenu n'est pas comparable à celle
du réseau EDF. Tension et fréquence sont variables en fonction de
la charge. Prenons un exemple simple pour bien comprendre : un
générateur entraîné par un rouet
peut débiter environ 2 kW sur 3
départs (3 radiateurs de chauffage de 750 W).
Le système est réglé de sorte qu'il
fournisse 230 V avec les 3 radiateurs en service, la vitesse est
alors de 775 t/mn.
Un thermostat s'ouvre : la vitesse
monte à 900 t/mn et la tension à 280 V. Un deuxième thermostat s'ouvre : la vitesse monte à 1 100 t/mn
et la tension à 350 V. Le troisième thermostat s'ouvre : fonctionnement
à vide 1 400 t/mn et 450 V. Un tel fonctionnement est
inacceptable : survitesse et surtension !
La solution utilisée parfois consiste à bloquer les thermostats : c'est la régulation « portes ouvertes » lorsqu’il fait trop chaud, on ouvre les fenêtres !
Une autre méthode est possible,
la permutation de charge : lorsque
une charge est coupée (thermostat ou
coupure manuelle) on lui substitue une charge équivalente. Ainsi la charge est constante, il n'y a pas de variation de vitesse ou de tension. C'est
un dispositif simple et peu onéreux qui convient très bien pour ce type
d'application.
Ce n'est pas une régulation,
il faudra agir manuellement sur la vanne
d'admission pour régler correctement
le régime du moteur hydraulique en fonction de la hauteur d'eau qui peut
varier, de l'obstruction éventuelle de la grille et de la charge que l'on veut
alimenter. Pour effectuer facilement
ce réglage, deux appareils indicateurs sont disponibles : un
voltmètre et un fréquencemètre.
Ainsi par exemple, avec le dispositif 3 x 1 kW mentionné ci-dessus, vous
pourrez fonctionner à 0,75, 1,5
ou 2,25 kW selon l'eau disponible ou votre besoin de chauffage. Il vous
suffira d'ouvrir la vanne plus ou moins pour régler correctement les bons paramètres
(par exemple 230 V et 52 Hz).
Le coffret électrique est conçu pour effectuer les permutations de charge automatiquement sur 1, 2, ou 3 départs dédiés selon la puissance maximale disponible et l'étagement souhaité.
Il comporte toutes les protections nécessaires
pour assurer la sécurité des personnes et des biens en regard des normes de sécurité.
Il est muni des contrôles de fréquence et de tension permettant
d'effectuer les réglages d'arrivée d'eau selon les besoins.
Conclusion : il
y a de très nombreux moulins équipés de rouets inutilisés qui peuvent retrouver
du service. La production d'énergie électrique domestique, essentiellement
pour du chauffage permet de valoriser
les moulins et contribuer ainsi à la sauvegarde de ce patrimoine. Certes,
la puissance disponible peut paraître modeste mais il faut raisonner en termes d'énergie. Les économies ainsi
réalisées sont très significatives et les frais d'installation amortis
rapidement.
Michel Pierre –
ADAM Lot-et-Garonne.
Article prochain : Pico-centrale couplée
au réseau EDF et
pico-centrale séparée du réseau EDF.