Hydroélectricité et circulation piscicole,

de l’impossible défi à l’efficacité des dispositifs

 

                                                   par Vincent Joineau

 

Doctorant en histoire de la meunerie en Bordelais (Université Bordeaux III)

www.moulins-energies.com

 

Cabinet Rivière Environnement

www.riviere-environnement.fr

 


Au moment où notre société doit se donner les moyens de lutter, à son échelle, contre le réchauffement climatique, la place des moulins à eau et à vent devient plus que jamais essentielle dans les problématiques allant dans le sens de nouvelles pratiques respectueuses de l’environnement.

La situation des moulins est des plus précaires, le dialogue de sourds entre lobbys privés, qu’ils soient associatifs, industriels ou administratifs, ayant fait perdre un temps considérable : certains veulent même effacer tous les barrages sous le prétexte aussi écologiquement irresponsable que culturellement absurde, que ceux-ci entravent, depuis plus de mille ans, la circulation des poissons. D’autres, « ayatollahs » de l’histoire et des pierres, veulent préserver tous les ouvrages (ou ce qu’il en reste…) en arguant de la protection du patrimoine. Pourtant l’urgence d’intervenir par rapport aux enjeux environnementaux et pour nos enfants exige, de chacun et de tous, de dépasser les positionnements partisans qui n’ont conduit qu’au statu quo actuel.

Conscient de l’impasse actuelle, nous avons élaboré une démarche fondée, tout d’abord, sur une méthode de travail qui intègre tous les représentants des acteurs locaux : DDAF, DIREN, Agence de l’Eau, collectivités, ONEMA (ex-CSP),… L’enjeu est de bâtir ensemble sans jamais verser dans le consensus mou, à condition que chacun des représentants puisse exprimer sa vision du projet, ses craintes et ses souhaits et participer pleinement au projet.

Notre second outil est la pluridisciplinarité : elle permet de comprendre tous les enjeux concernant les barrages et les bassins versants : histoire, qualité patrimoniale, configuration des sites, dynamiques hydromécaniques, biologie, faune, flore, enjeux économiques locaux, projets culturels, etc… et par là, de faire en sorte que les options techniques s’inscrivent du mieux possible dans les dynamiques actuelles, comme autant de gages d’intégration des projets d’aménagement et d’animation dans les sociétés locales.

 

Deux projets ont permis d’éprouver cette ambition et cette méthodologie : l’un sur le moulin de La Vignague (Gironde) situé sur la rivière éponyme, et l’autre, sur le barrage de la seule et unique papeterie industrielle qu’ait connu la Gironde, le moulin de Monfourat, sur la Dronne.

 

Le moulin à eau de la Vignague (com. Morizès - 33)

 

Repéré dans les archives de la fin du XVIe siècle, le moulin de la Vignague, aujourd’hui abandonné, présente deux niveaux : le rez-de-chaussée était affecté à la mouture des blés et au fournil tandis que l’étage recevait les silos et les bluteries. C’est vers 1870 que fut agrandi le moulin par une maison classique de type girondin. Equipé de quatre paires de meules montées sur trois roues (une verticale, deux à cuve), le moulin, fermé en 1956, possède encore assez d’éléments, même ruinés, pour que nous ayons pu restituer le dernier diagramme de production.

 

Après avoir retrouvé les éléments qui justifient du droit d’eau fondé en titre et restitué l’évolution architecturale du moulin, nous avons mis en évidence quatre obligations à prendre nécessairement en compte pour la remise en fonction du moulin :

-   la mise en conformité des ouvrages hydrauliques en fonction du règlement d’eau de 1854.

- l’élargissement du débouché du canal de fuite, réduit, voici une vingtaine d’années, par les services de l’Equipement, lesquels travaux ont conduit à colmater le tronçon situé entre le moulin et la route et diminuer la hauteur de chute au détriment du propriétaire.

-  l’achat de la berge opposée au moulin pour faciliter l’entretien du barrage.

-  le positionnement du moulin en zone rouge du Plan de Prévention des Risques.

 

Le propriétaire souhaitant produire de la farine, du pain et des biscuits et installer deux gîtes touristiques dans une bergerie indépendante du moulin, nous avons expertisé le site sous tous les angles de façon à en relever les points forts et faibles et proposé et budgété deux scénarii de valorisation. Quelqu’aient été les choix, l’investissement se montait à environ 1400000 euros tandis que l’activité ne dégageait pas de bénéfices. En l’occurrence, la perspective de développer une activité de production sur le moulin n’était pas envisageable, constat essentiellement imputable à l’état du moulin qu’il convenait, ne l’oublions pas, de mettre aux normes industrielles.

 

Le barrage de Monfourat (com. Les Eglisottes – 33)

 

Repéré pour la première fois dans les archives du XVIe siècle, le moulin de Monfourat, situé sur la Dronne, a servi de moulin à farine et de foulon jusqu’en 1827, date à laquelle il a été converti en papeterie. C’est là, dans cette usine, qu’a été pour la première fois fabriqué du papier à partir de copeaux de pin des Landes. L’importance de son activité a entraîné la création d’une véritable cité ouvrière regroupant près de 300 personnes autour de logements, d’une école, d’épiceries, de terrains de sports et de diverses activités culturelles. Fermée en 1969, l’usine, abandonnée, est devenue le terrain de jeux des braconniers.

 

Or, depuis 2005, la Dronne est classée en « axe bleu » par le SDAGE et vient récemment de passer en Natura 2000. Ces classifications imposent une réglementation spécifique en termes de qualité des écosystèmes et de dévalaison/montaison des poissons migrateurs. A cette obligation, s’est rajoutée la volonté du nouveau propriétaire de produire de l’électricité pour la revendre. Le projet était d’installer trois turbines Kaplan turbinant au maximum 18,3 m3/sec sous 2,5m de chute soit une puissance maximale brute de 450 kW (dans les limites de sa consistance légale).

 

La mise en conformité des ouvrages hydrauliques et l’installation de turbines hydroélectriques imposant la mise en place d’une passe à poissons, un comité de pilotage, réuni à l’instigation du cabinet missionné, a rassemblé le propriétaire, la DDAF, le Conseil supérieur de la Pêche (nouveau ONEMA), les financeurs potentiels (Agence de l’Eau, Conseil Général de Gironde et Conseil Régional d’Aquitaine), la DIREN, l’établissement public EPIDOR et le Syndicat intercommunal d’aménagement hydraulique de la Dronne, de sorte que tous les enjeux et expériences de terrain soient exprimés et pris en considération.

Parmi les points importants révélés par l’étude historique et patrimoniale, celui du fossé parallèle à la fuite du barrage a grandement servi la pertinence des choix proposés : le fossé n’était autre que l’ancien chenal de navigation creusé entre 1831 et 1835 pour faciliter l’écoulement des denrées vers Coutras et Bordeaux. L’identification de cette dépression, recouverte par les friches sur la partie amont, a justifié une état des lieux juridique précisant le parcellaire et les devoirs inhérents aux riverains du chenal.

Après avoir fréquemment travaillé avec les acteurs locaux, le cabinet a rendu une étude environnementale et technique proposant les types de travaux à réaliser, les procédés d’exécution, de mise en œuvre, d’exécution et de suivi. Ont été ainsi proposées différentes techniques et infrastructures répondant aux besoins de chaque espèce de poisson : dispositif de dévalaison, dispositifs de piégeage, passes à bassins, passe à anguilles, exutoires, échancrures pour les lamproies,etc… De plus, l’efficacité du dispositif a été appréhendée de sorte que le fonctionnement de l’usine et le volume d’eau turbiné soient fonction des débits de la Dronne. Ainsi, les 18,3 m3/sec seront effectivement turbinés à partir d’un débit de la Dronne supérieur à 20,86m3/sec. De même, l’usine devra être arrêtée du moment que le débit de la Dronne sera équivalent au débit moyen minimum quinquennal de 2,5 m3/sec. A l’étiage, l’intégralité du débit passera par le dispositif de franchissement piscicole et par l’échancrure à créer sur le barrage en rive droite pour faire passer un débit d’attrait. Le coût des travaux s’élèvent à  environ 1 000 000 euros répartis ainsi : 63% pour le dispositif de franchissement piscicole, 15% pour le dispositif de suivi scientifique et 22% pour les travaux liés à la production d’électricité.

 

L’originalité du projet se situe ainsi dans notre conviction qu’il est possible de protéger le patrimoine, d’être efficace écologiquement et énergétiquement et de contrôler l’efficacité des dispositifs. Ainsi, la micro-centrale, la passe à poissons et le local de suivi scientifique constituent les éléments complémentaires d’un projet dont l’intérêt est de créer de l’énergie renouvelable à partir d’un ouvrage existant à l’abandon tout en restaurant les potentialités écologiques de la Dronne.

 

De ces exemples, nous pouvons retenir trois points :

-  l’opposition entre préservation légitime des écosystèmes naturels et présence de barrages et de turbines se trouve sans fondement dans la seule mesure où chacun des aspects écologiques est étudié scientifiquement, pris en compte dans les aménagements proposés et participant des dynamiques économiques et sociales locales.

-  tous les cours d’eau ne peuvent être équipés de PCH, d’une part parce que le rapport entre débit et rentabilité de l’activité est négatif mais aussi parce que, dans certains cas, le temps d’inactivité du moulin a été « compensé » par des interventions anthropiques et des dynamiques en contradiction avec les intérêts même du moulin.

- l’installation de turbines hydroélectriques n’est pas le plus onéreux dans un projet de réhabilitation d’anciens barrages abandonnés.

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