A Valmy, enfin un vrai moulin champenois

 

Résumé d’un article de 2 pages, avec photo, par Alain Cartier. Architecte du Patrimoine à Blois

En 1984, Jacques de la Garde écrivait au sujet de Valmy "A quoi bon le réparer ? De toutes façons, il restera ridicule parce que flamand... exilé en Argonne...A Valmy, il faut reconstruire un vrai moulin à vent champenois, digne d'être montré aux visiteurs".Après la tempête de199, quel moulin devions nous reconstruire ?

Les moulins de Valmy

1) Le moulin détruit en 1792

Au cours de la bataille, Kellermann ordonna la destruction du moulin. L'expertise faite par un architecte nommé par le district de Sainte-Ménehould le 28 novembre 1792, en vue de sa reconstruction, apportait les indications suivantes :

- le moulin se présente en "un carré long de dix huit sur douze pieds dans oeuvre" - soit six sur quatre mètres. Il en ressort que

-le plan du premier niveau était de 6 mètres sur quatre,

-le moulin possédait une seule paire de meules et était équipé d'un butoir en cuivre.

2) Le moulin construit en 1794 et abattu en 1831/1832

Les tableaux et gravures du début du XIXe siècle montrent un moulin pittoresque dont l'aspect va des représentations de l'encyclopédie aux moulins du Nord

- le tableau de Mauzaisse représentant la visite du Roi Louis-Philippe en 1831. La silhouette du moulin correspond à ceux de Vaudemange (51), de Ville sur Terre (4) mais la couverture n'a pas de croupe à l'arrière. Le pivot semble partiellement protégé par le prolongement du bardage de la cage, les pieds n'étant pas visibles.

3) le moulin d'Attiches remonté en 1939/1947

Ce moulin du Nord a-t'il été adapté pour être remonté sur le site Valmy ? Ses dimensions (largeur, longueur) correspondent à celles des moulins pivots du bassin parisien. Un « panier » ou « oriel » est fixé latéralement comme en Champagne.

Par contre :

- le moulin est beaucoup plus haut que les moulins pivots du bassin parisien,

 - la couverture est à 450 et sans croupe alors que la pente de couverture est plus forte en Champagne.

 - le pivot repose sur deux soles et non sur quatre comme en Champagne et en Picardie.

Les moulins de Champagne

Les moulins pivots de l'ensemble du bassin parisien, Picardie, Champagne, Val de Loire, Beauce, Nor­mandie, de même famille, ont des caractéristiques communes les différenciant des moulins flamands. Ils sont plutôt trapus, coiffés d'un toit à deux pentes avec une ou deux croupes, sur un pivot bas visible ou non. Ils sont "posés" ou "assis" à l'inverse des moulins de Flandres "perchés" et plus élancés.

En Champagne comme en Picardie, le pivot est soutenu par quatre soles entrecroisées , superposées en leur milieu et reposant sur huit piliers très bas. La base du pivot est étayée par huit paires de liens. Toutes les reproductions photographiques étudiées ont montré cette originale disposition présente à Verzenay. En Beauce, Val de Loire, Flandres le pivot est soutenu par deux soles entrecroisées. Les reproductions photographiques montrent une couverture à deux pans, parfois sous comble brisé, avec croupes à l'avant et à l'arrière. Aucune représentation de pignon droit comme en Beauce n'est ré­pertoriée.

La Champagne, région céréalière et dont le savoir-faire des charpentiers était mis à profit posséda un grand nombre de moulins à pivot. Ils évoluèrent avec les techniques et furent fréquemment modifiés pour en assurer un meilleur rendement et une maniabilité accrue. En deuxième moitié du XVIlIe siècle, fut mis à profit le régulateur à boules et la bluterie fut étendue. Au XIXe siècle, l'industrialisation naissante a permis l'utilisation croissante de pièces métalliques. En deuxième partie du XIXe siècle le remplacement des voilures traditionnelles par des ailes orienta­bles de l'intérieur du moulin (système Berton) améliora sensiblement la prise au vent. La cabine du pre­mier niveau est parfois allongée à l'arrière à l'aplomb du deuxième niveau et peut recevoir des appentis latéraux; le pivot est rehaussé pour augmenter la longueur des ailes. Ces évolutions ne remettent pas en cause la silhouette des moulins de Champagne. L'âge d'or des moulins à pivot en Champagne fut le XIXe siècle. Le système Berton fut largement utili­sé mais vers 1880, les moulins à vent (à pivot ou à tour) furent peu à peu remplacés par les minoteries industrielles sur les cours d'eau. Les cartes postales du début du XXe siècle en montrent encore un grand nombre en fonctionnement, ou déjà à l'abandon dans les départements de la Marne, de l'Aube, de la Haute-Marne, des Ardennes. Un siècle après, en 2003, ne subsiste qu'un seul moulin pivot en Champagne, celui de Verzenay dans la Marne, non en fonctionnement, et aucun dans l’Aube, Haute-Marne et Ardennes.

Le moulin reconstruit en 2004 - 2005

De cette première approche, il en ressortait que les plans de ce moulin à vent devaient s'appuyer sur les données de l'expertise de 1792 :

- plan du premier niveau de 6 mètres sur quatre, - une seule paire de meules et reprendre les caractéristiques des moulins de Champagne :

- hauteur de la cabine adaptée pour loger le mécanisme intérieur avec meules à l'étage supérieur et la bluterie à l'étage inférieur,

- pivot reposant sur quatre soles avec socles en pierre calcaire et non sur deux soles comme sous le précédent moulin,

- couverture bois pentue avec croupes,

- bardage de la cabine prolongé sous le premier plancher, avec planches horizontales à recouvrement en façade avant et jointives sur les trois autres façades,

- ensemble queue-escalier suspendu,

- ailes à barreaux et cotrets avec toiles.

A partir de recherches personnelles auprès de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de la Mar­ne, des Archives Départementales, de la Bibliothèque Nationale de France, d'associations, de contacts auprès de charpentiers et après avoir visité et relevé bien des moulins, le projet fut conçu, dessiné et les prestations décrites en liaison avec l'Architecte des Bâtiments de France.

Devaient être récupérés suivant état sur le précédent moulin tous les éléments et accessoires compati­bles à un moulin de la fin du XVllle siècle : gros fer, pièces de ferronnerie et de serrurerie, clous, etc... , la réutilisation de ceux-ci assurant la pérénnité du moulin abattu en 1999.

Après consultation d'entreprises de moulins à laquelle répondirent des entreprises renommées d'Anjou, de Lorraine et de Flandre, l'entreprise Création-Bois de Villeneuve d'Ascq fut retenue.

Les plans d'exécution de l'entreprise dessinés par Mr  Jean Bruggeman reprenaient le projet de l'architecte. Dans le cadre d'un dialogue fructueux avec l'entreprise, les plans reçurent quelques corrections et adaptations pour mieux répondre aux spécificités des moulins de Champagne en structure (dispositions des liens), en aspect (bardage, ouvertures) et assurer une meilleure sécurité des personnes (modifica­tion de l'escalier).

La mise en couvre du moulin par Création-Bois a répondu à mes souhaits. A ce jour, le moulin de Valmy revit et de nouveau accueille les visiteurs sur le site de la bataille.

 

1tr04n57