4 – Alpes-Maritimes - La trompe du martinet de Contes

  

Résumé d’un article de 5 pages , avec plans et photos, par André Gaucheron.

“Contes est l’un des plus vieux villages du pays niçois. Perché sur un éperon rocheux, il pouvait surveiller la vallée du Paillon et offrir éventuellement à sa population, l’abri de son castrum.”

C’est ainsi que le présente la plaquette du Syndicat d’Initiatives. On ne saurait mieux dire. Contes, dont le passé médiéval a été effacé en 1530 par une crue du Paillon qui a charrié des tonnes de boue et englouti tout le bas village “avec ses habitants et ses trois moulins, le moulin à fer, le moulin à huile et le moulin à farine”. Le moulin à farine a maintenant disparu. Les deux autres ont été reconstruits, au même endroit, pour utiliser le même bief. Le moulin à huile continue à produire de l’huile d’olives, avec ses grandes roues dentées en bois. Le moulin à fer, le martinet comme on dit maintenant, a été restauré en l’état où il était à la fin du 19ème siècle. Les deux moulins ont été classés monuments historiques et c’est maintenant la commune qui en est propriétaire.. La forge date probablement de l’époque où les cisterciens cherchaient à développer l’économie rurale. Le village était enclavé dans une étroite vallée et à peu près coupé du reste du monde. Jusqu’au 19ème siècle, seul un étroit chemin muletier reliait Contes à Nice. Une route carrossable a  ensuite été construite vers 1860. Cet isolement explique en partie la création d’industries locales. Contes était le centre économique de la vallée.

Bernard Bracco, dernier martineur de Contes

Le martinet a fonctionné jusqu’en 1958, date à laquelle, le dernier martineur, Bernard Bracco a pris sa retraite. Bernard Bracco avait vu le jour dans une famille de martineurs à Roccaforte di Mondovi, dans la province de Cueno, au milieu des pentes rocailleuses du Pièmont. Il est embauché, dès l’âge de 11 ans, débuts bien durs dans ces rudes ateliers du début du siècle. Il fait son apprentissage de martineur pendant l5 ans, auprès de différentes entreprises en Italie, jusqu’en 1907. Il a alors 25 ans, ouvrier passé maître, il a quelques économies après cette longue formation, en 1910, il vient s’installer à Contes, en achetant le martinet “avec ses dépendances”. 

il ne quittera plus son martinet jusqu’à sa retraite qu’il prend en 1958, après avoir longtemps hésité, car les paysans de Contes et alentours réclament ses outils, les meilleurs que l’on puisse trouver.

Il est mort peu après, en 1962, et le martinet s’est arrêté pour de bon. Jusqu’à sa mort , il est descendu chaque jour dans sa forge où il a passé de longues heures à l’entretenir pour maintenir les mécanismes en état de marche. Personne n’a voulu prendre la relève, et le martinet est resté à l’abandon jusqu’en 1978 où, grâce à l’association “St Jean le Vieux” de Lucéram et la mairie de Contes, il est acheté par la municipalité  et classé monument historique. Restauré avec soin, il est à nouveau opérationnel, tel qu’il était à la mort de Bracco.

Le martinet

Le martinet forgeait surtout des instruments agricoles pour les paysans de la vallée. Il  se situait donc en bout de chaîne de fabrication sidérurgique, outillé pour façonner, corroyer et cingler le fer. L’énergie était fournie par le Paillon, grâce à une prise d’eau en amont et un canal d’amenée, un “béal” long de presque  2 km. qui alimente deux roues hydrauliques situées dans un local attenant. Une grande roue de poitrine pour le martinet et une roue plus petite pour les meules d’affûtage.

La chute d’eau, en plan incliné, est constituée par un coffrage en chêne, fretté, de 0,31 mètre de large sur 0,25. La hauteur de chute est de 2,60 mètres

Dans le même local que les roues est  une « trompe à eau » qui fournit l’air nécessaire pour activer le foyer de la forge.

L’instrument principal est le martinet, ce lourd marteau (45 kg.) à l’extrémité d’un manche de  2m.95 de long, qui a donné son nom à l’ensemble : on disait habituellement “le martinet de Contes, ou bien, tout simplement “chez Bracco”.

Il a eu,  entre 1940 et 1944 un apprenti qu’il appelait “l’enfant”, mais le jeune homme s’est découragé. A la libération, il a pris son envol et cette embauche est restée sans suite. “L’idéal”, disait-il, “pour former un martineur c’est  de pouvoir le dégrossir en trois ans, d’en faire un  bon ouvrier en deux ans de plus, et d’en faire un maître-ouvrier, (comme lui) en une dizaine d’années“. C’est en forgeant que l’on devient martineur et la jeunesse n’est guère attirée par ce travail pénible. Aussi, c’est sa femme qui “lui donne la main” pour passer le charbon au crible (il en utilise une tonne par mois), et pour manoeuvrer le levier de commande du martinet, lorsqu’il a besoin de ses deux  mains pour tenir une pièce sur l’enclume, “le tas”. On ne peut pas parler dans le vacarme de la forge, et  il lui transmet ses ordres, “plus vite” en faisant oui de la tête et “plus lentement” en faisant non..

Quand il achète le martinet en 1911, Bracco se met immédiatement au travail pour le restaurer et selon ses idées, pour en faire un outil  performant. Tout y passe, le canal, les roues hydrauliques, l’arbre maître, et la trompe à eau. On connaît bien sa démarche qui a été étudiée, consignée, chiffrée, dans des cahiers. Ici nous n’en prendrons pour exemple que la trompe à eau, qui est la partie plus originale, voire unique, du martinet. A Contes, on  n’a jamais utilisé un soufflet pour attiser la combustion du charbon dans le foyer de la forge.

La trompe à eau

La trompe a eau utilise un principe connu depuis longtemps : une colonne d’eau tombe dans un tube vertical muni, à sa partie supérieure d’ouvertures en sifflet pour aspirer  l’air qui est entraîné jusqu’en bas, dans un réservoir étanche. L’air reste emprisonné dans le haut du réservoir, sous  pression, et l’eau s’écoule par un siphon qui maintient son  niveau constant. Grâce à  une tuyauterie, on envoie cet air sous pression jusqu’au foyer de forge. Le débit de l’eau est réglé par une vanne, et la buse de la soufflerie est également réglable.

Dans son chapitre “Les forges et l’art du fer”, l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert décrit en détail deux types de réalisation concrète, la trompe du Dauphinée et la trompe de Cahors. Comme on pouvait s’y attendre c’est la trompe du Dauphinée que l’on trouve à Contes. L’encyclopédie propose une triple colonne d’eau, mais à Contes la trompe est plus simple, c’est une colonne unique que Bracco va restaurer.

Bracco achète un tronc de pin de 6 m. de haut et va, à regret, en utiliser 3 m. seulement. Le tronc est refendu en long pour avoir deux parties égales, qui sont évidées à l’herminette, laissant  une paroi régulière de 5 cm. au tube ainsi créé. On dispose une couche copieuse de goudron à chaud sur tout l’intérieur et les tranches et après avoir rapproché les deux sections, on les maintient ensemble par 5 frettes en fer, posées à chaud. On obtient ainsi un tube légèrement conique et parfaitement étanche.

Le plan, publié dans la revue « Moulins de France », de la trompe, établi par l’association “St Jean le Vieux” de Lucéram pour le dossier de classement est plus explicite qu’un long discours.

Le martinet de Contes est ouvert à la visite tous les samedis, de 9 à 12 h. et de 14.30 à 17 h., et sur demande les autres jours. Renseignez-vous  auprès de la mairie : tél. 04.93.79.00.01.

Sources et bibliographie

(1) Article paru le 19 octobre 1948 dans “l’Eclair de la Côte d’Azur et du Sud-Est”, signé Duval d’Entraunes.

- Enquête de Marcel Boulin sur les martinets à fer du Sud-Est pour le laboratoire d’ethnographie française (ATP, Paris, 1951), se trouve en microfilm au Musée de l’Histoire du Fer à Nancy.

- Dossier préparé par l’Association St Jean le Vieux de Luceram pour la demande de classement du martinet de Contes comme monument historique. Plans, photos, correspondance à la Direction des Bâtiments de France à Aix-en-Provence (1977-78).

- Renseignements oraux et écrits aimablement fournis par Monsieur Georges Tabaraud, historien de Contes et par Monsieur Séraphin Dureau de Contes.

- Photographies de Bernard Bacco par Marcel Boulin pour son enquête. Musée des ATP Paris, 1951.c.RMN.

Pour étayer cette étude du martinet de Contes j’ai largement puisé à toutes ces sources, et mes remerciements vont à tous les conservateurs, architectes, et amis dont l’aide m’a été précieuse.

 

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