2 – Haute-Saône . Le haut-founeau de Montagney.

Projet de reconstruction de la roue à aubes et des soufflets

 

Résumé d’un article de 5 pages, avec photos, croquis et 1 plan, par  Régis VASSELET et Richard HERBACH - Université de Technologie de Belfort-Montbéliard, -  90010 BELFORT Cedex.

Situé sur la rive droite de la rivière l'Ognon, entre Rougemont et Montbozon, le haut fourneau de Montagney aurait débuté son activité vers l'an 1500, mais il ne connut un développement important qu'à partir de 1689. La zone de la forge fut alors décrétée territoire de Rougemont et le resta jusqu'en 1858.

A l’emplacement du château actuel, ancienne résidence des maîtres de forges, avait été construit sous Louis XV un rendez-vous de chasse par la famille De Choiseul La Baume propriétaire des forges depuis 1689. Peu avant 1810 la famille De Grammont en devint propriétaire et remit tout à neuf. La famille De Mérode en prit possession vers 1850, au moment de la cessation d’activité de la forge.

En 1772 Montagney a produit 225 tonnes de fonte et 300 tonnes de fer. En 1748, la forge est connue pour fabriquer des boulets de canon. En 1812 l'établissement comprenait un haut fourneau, deux feux de forge, un martinet, un patouillet ainsi que deux moulins à blé. En 1826 une production de 200 tonnes de fonte destinées à l’affinage est attestée. La forge employait alors 28 ouvriers et consommait annuellement 9000 cordes de bois (16300 stères). En 1834, l'effectif s’élevait à 75 ouvriers et des 850 tonnes de fonte produites étaient tirées 150 tonnes de fer en barres et 400 tonnes de fils de fer vendus à Paris et à Lyon, le reste des fontes servant à alimenter les forges Hautes-Saônoises. En 1840, au plus fort de son effectif, le site employa 84 ouvriers. A partir de 1842 les difficultés d'approvisionnement en charbon de bois provoquèrent le déclin de la forge puis son arrêt en 1850. Le bâtiment du haut fourneau servit par la suite d’abri pour un moulin à huile1. Nous connaissons les noms de plusieurs maîtres de forges : Seguin en 1689, Moniotte en 1742, Jean Rochet en 1744, Jean François Carementrant en 1771, François Guy en 1776, Nicolas Gauthier en 17892.

Un barrage construit sur l'Ognon (100 mètres de largeur avec une chute de 2,80 mètres, soit le plus haut dénivelé sur l’Ognon à l’époque) servait à produire l'énergie nécessaire au fonctionnement de la forge.

ETAT ACTUEL DE LA FORGE.

Le haut fourneau, remarquablement bien conservé, constitue avec les bâtiments annexes, château, logement du directeur, maison des ouvriers, un ensemble métallurgique complet. Le château, maison du maître de forge, construit à flanc de coteau occupe une position dominante. En contrebas, les logements d’ouvriers et du directeur côtoient les bâtiments du haut fourneau, du magasin et de la halle à charbon récemment détruite par un incendie en 1986. L’architecture du bâtiment abritant le haut fourneau, en particulier les arcs-boutants destinés à soutenir le massif, la géométrie des embrasures, la répartition des zones de travail, présente une très grande similitude avec différentes gravures de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert [3]

Au dessus du haut fourneau, la cheminée (la bure ou gueulard : hauteur 1m, diamètre 1,30m) a été reconstruite cette année 2003.

Côté halle de soufflerie, deux empreintes au sol correspondent aux supports des soufflets et permettent de situer leur emplacement. Du parement de l’embrasure ne subsistaient que quelques briques et un bloc de grès en partie éclaté dans lequel était taillé le trou d’amenée d’air donnant la position de l’ancien orifice de tuyère . L’ensemble a fait l’objet d’une réfection totale Lors de fouilles, les soubassements supportant la meule dormante d'un moulin à noix (Diamètre intérieur de roulement 1,50 m) ont été mis au jour 4. Côté halle de coulée, l’ouvrage par où sortait la fonte liquide nécessite une restauration.

A l’extérieur, le canal d'amenée et de fuite ne dispose plus du système de vannage. Le dégagement du canal a permis de mettre au jour ce qui pourrait constituer les vestiges des supports des roues hydrauliques, l’emplacements des coursiers et des roues qui activaient les soufflets du haut fourneau, les patouillets et les feux d'affinerie.  

PROJET DE RESTAURATION  DE LA MACHINERIE.

Depuis 1997, un programme de sauvegarde et de valorisation est mené en étroite collaboration avec le Service Régional de l’Archéologie (Direction Régionale des Affaires Culturelles), les propriétaires du site et l’Association des Amis de la Forge de Montagney.

Les actions engagées pour sauvegarder ce patrimoine, témoin d’une activité métallurgique séculaire, s’accompagnent d’une volonté de retrouver et conserver un savoir-faire traditionnel. En plus de la restauration des bâtiments, il s’avère essentiel de reconstruire la machinerie d’origine avec la roue à aubes et les soufflets et que ceux-ci puissent à nouveau s’animer afin de redonner vie à l’ensemble du site.

Reconstruit vers 1810, le haut fourneau possède une architecture XVIII° siècle conforme aux descriptions de La Grande Encyclopédie de Diderot et d’Alembert3.

Une étude est actuellement en cours afin de rechercher les solutions les mieux adaptées pour une mise en valeur de ce complexe métallurgique. Une réhabilitation des bâtiments haut fourneau et maison des ouvriers ainsi que la reconstruction du mécanisme permettraient de créer une réelle attractivité du lieu. Cela impose de reconstruire, entre autres, la roue à aubes, la transmission avec renvoi d’angle (pignon-lanterne), les deux soufflets et leurs bascules, le tout essentiellement en bois.

La roue à aubes.

Dans le cas présent, compte tenu de la position de l’axe et de la profondeur du canal, le diamètre de la roue devait se situer à approximativement six mètres avec une largeur de un mètre, aussi avons-nous opté pour une roue à deux jantes comportant chacune huit rayons. Au niveau de l’assemblage, chaque jante est composée de deux fois huit segments superposés rendus solidaires par des chevilles et les coyaux des aubes. Chaque jante est reliée au moyeu par deux double rayons perpendiculaires, de longueur égale au diamètre de la jante, et quatre rayons intermédiaires ne traversant pas le moyeu. L’assemblage croisé des double rayons permet d’augmenter la rigidité de la roue. Les aubes au nombre de trente-deux sont fixées sur les coyaux eux-mêmes retenus par des clavettes à l’intérieur de la jante. Ces aubes ont un angle d’attaque d’environ 12°. L’ensemble sera réalisé en chêne sec de trois ans d’âge de coupe. L’arbre de section circulaire devra mesurer 6m de longueur avec un diamètre au niveau du moyeu de 90cm sur une longueur de 1,5m. l’extrémité de l’arbre côté rouet aura une section carrée.  

Les soufflets.

D’après le rapport de visite effectué par Georges Dufaud en 1835, nous savons que le débit de la soufflerie en bois à pistons était au maximum de 2,43 mètres-cubes par coup, à raison de huit coups par minute pour chaque piston, soit 39 mètres-cubes par minute5. Les deux grands soufflets bois que l’on souhaite reconstruire sont de technologie plus ancienne correspondant à l’aménagement du haut fourneau de Montagney au XVIII° siècle.. Une opération similaire a déjà été menée avec succès à la forge d’Agorregi en Pays basque espagnol.

Le renvoi d’angle.

Compte tenu de la vitesse du courant au niveau du canal et du diamètre de la roue à aubes, celle-ci pouvait avoir une vitesse de rotation de 6 tours par minute. L’axe de cette roue était perpendiculaire à l’arbre portant les cames qui actionnaient les soufflets, ce qui nécessitait un renvoi d’angle de type pignon-lanterne. En choisissant de fixer à trois le nombre de cames par soufflet pour la future réalisation, le renvoi d’angle devra assurer un rapport de multiplication de 1,5 c’est-à-dire que l’arbre à cames tournera une fois et demie plus vite que la roue.

PERSPECTIVES.

L’Association des Amis de la Forge de Montagney, constituée en 1997 alors que l’établissement était menacé de destruction, a déjà obtenu son inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Plus récemment ce sont les qualités "de valeur cohérente du site" et de "bon état" qui ont motivé un avis favorable au classement de tous les bâtiments relevant de la forge.

Ce lieu de visite doit constituer le point de départ d’un itinéraire de découverte consacré à la sidérurgie, une route du fer s’appuyant sur une sélection de sites depuis l’extraction du minerai jusqu’à la production d’articles en fonte ou en fer.

Cette route comprendrait la visite d’une minière, du sentier des charbonniers et ultérieurement de deux mines de fer caractéristiques des deux principaux minerais injectés dans le gueulard du haut fourneau de Montagney : la mine de fer pisolithique à ciel ouvert de Fallon (Haute-Saône) et la mine de fer oolithique souterraine de Rougemontot (Doubs).

Peut-être faudrait-il y adjoindre d’autres lieux métallurgiques plus éloignés comme :

- les fonderies de Baignes et leurs fours de seconde fusion, où étaient moulés et assemblés les célèbres fourneaux comtois à marmites,

- les forges de Pesmes, spécialisées dans le forgeage d’outils à main,

- la forge de Beaujeu, dont l’architecture du haut fourneau présente une similitude avec Montagney.

L’ensemble de ces établissements pourrait former un témoignage complet des activités métallurgiques s’exerçant autrefois en Franche Comté.

Bibliographie.

1-Les données historiques dont il est fait état ici sont extraites d’un ouvrage de l’abbé Bouveresse Alfred, Histoire des villages et du canton de Rougemont (Doubs), chez l'auteur, Vesoul, 1976.

2- Minaria Helvetica  La Forge de Montagney – Franche Comté, Bâle, Société Suisse d’Histoire des Mines, 2000, 170 pages. Une synthèse des connaissances relatives à la forge de Montagney est rassemblée dans un bulletin spécial de cette revue.

Pour les lecteurs intéressés, cet ouvrage est disponible auprès de l’Association des Amis de la Forge de Montagney (AAFoM),  mairie de Montagney, 25680 Montagney-Servigney.

3- Diderot et D’Alembert, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, 1751-1780.

4- Morin Denis, Permanence et mutations d’un espace sidérurgique. Le haut fourneau de Montagney XVII°- XIX° siècle (Doubs), Minaria Helvetica, 2000, 20b, p. 73-90.

5- Thuillier Georges, Georges Dufaud et les débuts du grand capitalisme dans la métallurgie du nivernais au début du XIX° s. ; en annexe : voyage métallurgique de Georges Dufaud en Franche Comté (Août-Septembre 1833). Paris, SEVPEN, 1959.

 

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