Une Carrière de Meules sur le rivage de Cap d’Ail dans les Alpes Maritimes
par
Henri GEIST, président du Cercle
d’Histoire et d’Archéologie
des Alpes-Maritimes.
Extrait
d’un article de 5 pages, avec cartes et photos de l’auteur.
Pour
découvrir ce site géométrique artificiel, confondu avec celui naturel dû à
l’érosion marine, il faut suivre le sentier du bord de mer entre le lieu-dit
« La Pinède » et le cap Mala1.
Sur
une superficie d’environ 180 m², on relève 17 traces en forme de cercle ;
on en relève une autre à 70 m, en direction du cap Mala. Ces traces sont de
trois types. Le premier type est représenté par des « empreintes
positives » ou des parties de meules nettement taillées et non détachées,
du banc bréchique. Le deuxième type présente des « empreintes négatives »
ou des cuvettes dont le fond et les bords sont bien visibles et marqués par des
tiers ou des moitiés de circonférence qui délimitent l’épaisseur d’une
extraction sur plusieurs dizaines de centimètres. Ces empreintes sont particulièrement
nombreuses en front de taille formant falaise sur le bord de mer. Enfin, le
troisième type est représenté par des ébauches de tailles circulaires marquées
par la trace d’un sillon. Mais l’étendue réelle de la zone
d’exploitation nous est inconnue du fait de l’érosion marine et de la
construction du sentier et des villas.
Une
carrière sur un rivage est insolite, car il n’est pas courant, à notre
connaissance, de trouver dans notre région des exploitations d’extraction
battues par la mer. Le cas de Cap d’Ail est donc intéressant et pose des
interrogations.
D’après la mention du cadastre de 1874, il y avait
à cet endroit une carrière de pierres, mais cette date ne fixe pas le début
de l’exploitation antérieure. Il s’agit bien d’une carrière avec ses
multiples extractions dans une pierre de graviers agglomérés, très dure,
rugueuse, qui, transformée en meules, peut moudre, broyer, concasser, des
grains (céréales), des graines (légumineuses), des furits (olives, etc.) et
des matières minérales.
Pourquoi encore cette carrière a-t-elle été
abandonnée en cours d'exploitation, comme semblent le montrer les ébauches de
taille ?
Enfin, par quels moyens et sur quelles voies les
pierres taillées étaient-elles acheminées ? Vers quelle destination ?
Les grosse meules pouvaient être ripées sur une
sorte de passerelle en madriers et ensuite être hissées, au-delà, au large,
sur un bateau qui, par cabotage, les transportaient en un point de la côte
ayant un accès vers l’intérieur des terres.
Afin de confirmer l’existence de meules immergées,
nous avons procédé à une reconnaissance
du fond marin (environ -5 m) sur approximativement 70 m de long, à partir du
rivage, et sur 40 m vers le large dans l’axe nord-sud de la carrière2.
L’observation sous-marine du site permit de
constater que cette zone d’éboulis, qui s’étend à environ 40 m de la côte
sur 50 m de large, recelait une ou plusieurs meules.
Si
l’on considère le nombre d’extractions reconnues, auquel il faut ajouter
les extractions disparues, on peut supposer que cette carrière était
relativement importante. Mais alors, quelle est l’époque d’extraction et la
destination de ces meules ? Sommes-nous sur un site de production pour
certains des nombreux moulins de la région ?
Reconnaissance
effectuée par le département des recherches archéologiques sous-marines
La
poursuite de l’étude nécessitait de procéder à une exploration sous-marine
afin de reconnaître l’étendue du chaos rocheux. A la suite d’un dossier
transmis au Service Régional de l’Archéologie (S.R.A.), nous avons pris
contact avec Mme Marie-Pierre Jezegou, Ingénieur d’Etudes au Département des
Recherches Archéologiques Sous-Marines (D.R.A.S.M.) responsable de missions
archéologiques à bord de « l’Archéonaute ». Ce navire s’est
rendu en août 1996 sur le site, avec à son bord M. David Lavergne,
Conservateur du Patrimoine des Alpes-Maritimes au S.R.A., M. Thierry Rosso, de
l’Unité de Recherche et d’Expérimentation Archéologique au Laboratoire
d’ethnologie de Nice, M. Raymond Pedretti, de la Mairie de Cap d’Ail et
nous-mêmes. Des plongeurs, dirigés par Mme M-P.- Jezegou, accompagnée de T.
Rosso, procédèrent à une reconnaissance et à un relevé du site sous-marin.
Datation
Les
meules taillées à Cap d’Ail, entre 0,50 m et 2 m, correspondent à des
mesures qui se trouvent sur d’autres carrières de Provence, du Moyen Age à
l’époque moderne, selon Henri Amouric que nous avons invité a visiter ce
site3.
La
datation au Carbonne 14 d’un échantillon d’organismes carbonatés est en
cours dans un laboratoire des Etats Unis. Cela devrait nous permettre d’en
apprendre plus sur la période d’exploitation de cette carrière.
Notes
et bibliographie :
1.
Le 5 février 1995, Bénédict Lacavalerie me fit découvrir des traces
d’empreintes circulaires et des fragments de cylindres taillées dans les
rochers du rivage de Cap d’Ail, à quelques mètres du ressac de la mer.
2.
Cette exploration a été effectuée en présence de Mme Anne Blanchard, M.M.
Jacques Blanchard, Bernard Brunstein (C.H.), Yves Garidel (UREA-C.H.), Bénédict
Lacavalerie (C.H.), Raymond Pedretti (Mairie de Cap d’Ail), Thierry Rosso (UREA-C.H.),
Marcel Ruiz (C.H.), C.H.= Cercle Historique des A.M ; UREA = Unité de
Recherche et d’Expérimentation Archéologique du Laboratoire d’ethnologie
de Nice.
3.
Henri Amouric – 1990, Carrières de meules et approvisionnement de la Provence
au Moyen Age et à l’époque moderne, in « Carrières et constructions »,
pp. 443-464-115e Congrès National des Sociétés Savantes.