61 - Les moulins de l'Orne et de l'Alençonnais dans de nouveaux réseaux

économiques lors de la guerre de 1914-1918 (I)

Patrick Birée

 

Article de 4 pages avec cartes et photos.  Extrait de la thèse soutenue à l’Université de Caen le 1er décembre 2015 : « Les moulins hydrauliques à grains et les minoteries de l’Alençonnais, XVIIe-XXe siècle, de la lumière à l’ombre, quatre siècles d’évolution ». La première partie de cette recherche sur 1914- 1918 a été rédigée avec la contribution d’Alain-Gilles Chaussat. Un recueil de tous les textes législatifs relatifs à cette question émanant de la Préfecture de Seine-et-Oise, le Guide du meunier, 1918 a pu être consulté en ligne : www.corpusetampois.com/che-20-1918guidedumeunier.html.

 

La Première Guerre mondiale marque l’histoire par l’ampleur de ses combats, le nombre d’hommes mobilisés, blessés ou tués, la quantité des destructions sur plusieurs champs de bataille, notamment l’est et le nord de la France et l’impact sur les sociétés civiles plongées dans des économies de guerre. Les moulins semblent loin de cette réalité. Pourtant ils participent en première ligne à l’effort de guerre dès le début du conflit et jusqu’à la fin de celui-ci dans le cadre d’une politique volontariste du ravitaillement, destinée à éviter les crises de subsistance. Ce contexte de crise alimentaire engendre une nouvelle administration entièrement vouée à la gestion des subsistances, aussi bien à l’échelle locale que nationale et ayant la mainmise sur l’ensemble des acteurs du milieu (producteurs, vendeurs, meuniers, distributeurs et consommateurs). Les meuniers et leurs moulins ou minoteries se trouvent donc être les intermédiaires entre les producteurs (locaux ou non) et les consommateurs (civils ou militaires). Ce conflit n’est pas sans conséquence sur l’évolution de la meunerie en France et plus particulièrement dans l’Orne. La Première Guerre mondiale plonge la France dans un nouvel épisode de crise économique puis de subsistance. Certes, il faut nourrir les millions de soldats sur le front, mais également tous ceux qui sont restés à l’arrière. La production agricole marche au ralenti, car tous ces hommes dans les tranchées sont autant de bras en moins dans les sillons. Sans compter les territoires perdus ou qui ne peuvent plus produire au nord-est de de l’hexagone.

 

À partir de 1917, les difficultés s’accumulent : mauvaises récoltes, hausses des prix, difficultés pour les importations, transports maritimes contrariés par les sous-marins

allemands. Le déficit pour l’année à venir (1918) étant évalué à 13 millions de quintaux en comptant le contingent d’importation, il devient plus que nécessaire de prendre des directives de rationnement. Le ravitaillement devient une question de plus en plus importante. Pour gérer efficacement ces nouvelles dispositions, il est érigé au rang de ministère le 20 mars 1917. Un mois plus tard, le 16 novembre 1917, il fusionne avec l’agriculture et devient le ministère de l’Agriculture et du Ravitaillement, jusqu’au 20 juillet 1919. Le 31 juillet 1917, le gouvernement décrète que « l’achat et la répartition de la production totale des céréales sont

placés sous le contrôle de l’État4 ». Par ailleurs, un système de rationnement est mis en place. Chaque chef de famille doit déclarer les quantités de pain qui lui sont nécessaires pour son foyer, dans la limite des proportions instituées pour chaque catégorie de citoyen :

300 grammes par jour pour les enfants de 1 à 6 ans,

500 grammes par jour pour les personnes âgées de plus

de 6 ans,

une ration supplémentaire de 200 grammes pour les personnes qui les déclarent comme indispensables à leur alimentation,

une ration de 400 grammes supplémentaires pour les consommateurs exerçant une profession active.

Un carnet est donc distribué aux consommateurs et ils doivent présenter une feuille chaque fois qu’ils vont demander du pain au boulanger. Celui-ci doit garder ces feuilles et les donner au Bureau permanent pour obtenir la farine nécessaire à la fabrication de son pain. Cela permet à l’administration de connaître réellement les besoins de la population et d’empêcher certains citoyens d’acheter plus de pain que nécessaire pour un minimum vital. Cette mesure

préfigure le système de rationnement avec carte qui sera instauré à partir de 1918. Pour mettre en oeuvre ce nouveau décret, le ministère du Ravitaillement Général se voit doté d’un Office central des céréales et d’un Comité central de la meunerie et de la boulangerie. L’Office est chargé de contrôler l’achat, la répartition et le transport des céréales sur l’ensemble du territoire tant pour la consommation militaire que civile. En cas de déficit d’un département, il peut solliciter d’autres départements excédentaires pour réquisitionner des grains.

Le Comité, lui, doit collaborer à l’approvisionnement des meuneries et des boulangeries et participe au contrôle de la mouture des céréales panifiables. Pour suppléer localement ces deux institutions centrales, chaque département se voit doté d’un Office départemental des Céréales avec un Bureau permanent pour faire l’interface entre les administrés et les dirigeants de ces institutions dans lesquelles on retrouve le préfet, un ou plusieurs négociants en grains, un meunier, des membres du conseil général, un officier du service de l’intendance, un médecin hygiéniste, un boulanger et un représentant d’une société coopérative…

 

 

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