Le moulin tour de Templemars (suite)
par
Yves Coutant
Extrait
d’un article de 7 pages avec photos et dessins
La
structure externe de la calotte
Au comble devant un crepon deseure l’anel [=
joug, sommier du marbre] et, par deriere,
deseure le keuwe, un faux rain. ADN,
B 4372 (1392) 53r° Seclin
Du côté
des ailes, la calotte possédait un crepon,
une croupe, c.-à-d. un versant incliné, et, du côté de la queue, un
faux rain.
Le
faux rain ou faurain, que le Französisches
Etymologisches Wörterbuch classe parmi les matériaux d'origine inconnue et
qu'il définit par « châssis de la fenêtre revêtu de plomb (?) »,
n'est pas propre au moulin, loin s'en faut. Comme j’ai pu le constater en
comparant les nombreux extraits où figurait l’expression, le faux
rain n’est pas un châssis de fenêtre, mais un gâble. Dans les anciens
textes picards décrivant certaines toitures, le second élément, rain,
désignait tantôt un arêtier de croupe tantôt un arbalétrier, comme nous le
voyons dans les deux exemples suivants, le premier se rapportant au moulin à
vent sur pivot d’Ostricourt (20 km au sud de Lille), le second au moulin à
eau de la Gorgue (25 km à l’ouest de Lille) :
Aux dessus dis carpentiers, pour avoir fait ung
bauch anel audit molin, sur quoy le mabrel porte, là où l’arbre tourne,
auquel bauch anel a deux posteaulx enesvillez à un lez et à l’autre de
l’arbre avec 2 loyens et 2 rains à chascun lez, avoir aissié ledit crepon,
avoir sur lesdis posteaulx enesvillé une penne qui porte les deux arrestiers du
demi crepon (…) ADN, B
4588 (1467) 58r° Ostricourt
ce qui
signifie :
« Aux
charpentiers susmentionnés, pour avoir fait au moulin un joug, qui porte le
marbre là où l’arbre tourne ; à ce joug il y a deux poteaux tenonnés
de chaque côté de l’arbre [il s’agit des lutons] avec deux liens et 2 arêtiers
de croupe, un à chaque côté ; (pour) avoir planchéié la croupe et
avoir tenonné sur les poteaux un entrait de fermette qui porte les deux arêtiers
de la demi-croupe (…) »
À l’autre bout d’icellui maison (…) ung
demi crepon ; item, sur lesdictes panes ung comble espassé de piét demi
de point à aultre et wimer à eswille en ses rains (…)
ADN, B
5067 (1417) 4v° La Gorgue
ce qui
signifie
« À
l’autre bout de la maison (…) une croupe brisée ; item, sur les pannes
assembler un comble dont les chevrons seront espacés d’un pied et demi et
tenonner des entraits dans ses arbalétriers (…) »
Le faux
rain – qualifié à l’origine de faux
pour accentuer qu’il ne faisait pas partie intégrante de la charpente du toit
– a d’abord désigné chacun des deux rampants du gâble, ou l’ensemble de
ces deux rampants .
Bien
vite cependant l’expression s'appliqua aux chevrons-arbalétriers du pignon et
par voie de conséquence à toute la surface délimitée par cette ferme, au
pignon lui-même. Étant donné que, à ma connaissance, le faux rain n’a pas encore été étudié correctement, je montre
ici par quatre exemples les diverses acceptions du terme :
-
chacun des deux rampants du gâble : deux
faurain de 11 pouches de large et pouche et demy d’espés et aussy loing que
requés d’estre (…) ADN, 1 AH 4301 (± 1650) Hellemmes
- arbalétriers :
la cappe avecq 8 couples de combles [=
chevrons] et le forain de 12 piedz de long
et 4 [pauchs] par desoubz et 3 par deseure couvert de planche d’obeau [=
peuplier blanc] (…) ADN, J 472/326
(1579) cahier des charges Templemars
- le
pignon tout entier : pour avoir fait
ung faulx rain de 27 piez de long et 26 de large au bout de la salle du Ploich
et avoir aissié [= planchéié] tout
ledit faulx rain d’icelle salle (…) ; (…) pour avoir livré deux
milliers et demi de claux à aissier ledicte paroit ADN, B 4595 (1476) 30v°
Marcq-en-Baroeul
- le
pignon tout entier avec l’avant-toit : à
l’un desdis pignons ou faux rains ara oussi deux quemineez [= il y aura
aussi deux cheminées] ADN, J 472/220 château de Cysoing
Ce faux
rain délimite le capitiel,
le toit en bâtière qui surmonte le sommet de la queue :
Item, pour 4 livres de ploncq
[=
plomb] servans au capitiel deseure le queuwe dudit moulin, 4 s.
ADN, J 472/306 (1405) 20v°
Templemars
Une
baie était aménagée dans la croupe, au-dessus de la tête de l'arbre :
À
Jaspart Cabit, pour avoir fait une frenestre et livré le bos, deseure l'arbre
dudit moulin, 4 s.
ADN, J
472/312 (1466) 36r° Templemars
Item,
pour avoir fait une fenestre flamenghe [= fenêtre
flamande] de quesne [= chêne] deseure l'arbre, bos et oevre, 20 s. ADN J 472/324 (1544) 33r° Templemars
En picard, la fenestre est un volet
servant de fermeture à une baie, à distinguer du châssis, qui désigne
la baie vitrée.
En
1524, le renouvellement de la toiture requiert une huze,
c.-à-d. une heuse ou chape de
plomb au sommet du cône, ainsi qu’une festissure
ou faîtage de plomb au faîte de l’avant-toit à croupe et de l’arrière-toit
à pignon droit . Comme dans de nombreux moulins
à vent en bois, la toiture était couverte de bardeaux sciés dans des fûts à
vin ou en bois de la Marche. La déformation
de cette expression en bois d’Allemarche,
puis en bois
de Danemarche a trompé plus d’un chercheur. Ce n’est pas un bois
provenant du Danemark, mais un bois de chêne bien résistant à l’humidité,
importé essentiellement d’Allemagne et plus spécifiquement de la Marche,
appellation d’un territoire frontalier, en l’occurrence la Marche rhénane.
On en trouve une belle description chez Gay, qui l’a lui-même reprise au
naturaliste italien Aldrovandi (1525-1605) : « Une des nombreuses variétés
de chêne, réputée incorruptible et recherchée autrefois en Flandre pour les
ouvrages délicats. Elle se distingue du chêne commun par sa ressemblance avec
le cornouiller. Son tissu très dense la rend susceptible d’un beau poli ;
sa nuance d’un gris terreux est voisine de celle du noyer. Elle est maillée
et veinée transversalement. » L’origine allemande se déduit plus
facilement du nom flamand de ce bois, Spiersche
berderen « planches de Spire (Rhénanie-Palatinat) ». Le
chroniqueur Molinet n’écrit-il pas : « Sur
la grosse riviere du Rin estoit une très belle et grosse forest toute de
allemarche, qui venoit bien à poinct à faire logis, bolwers et bastillons » ?
Grâce
à son contact avec le vin, le bois de fûts usagés était lui aussi idéal
pour couvrir une surface exposée à l’humidité. Les comptes médiévaux des
moulins fourmillent de revêtements en bois provenant de fûts de Saint-Jehan
(vin de Saint-Jean d’Angély), de fûts de Poitau
(vin du Poitou), de fûts de Gasconne
(vin du Bordelais), etc.
Pour
avoir couvert ledit moulin d'eskeule [=
bardeaux] de Danemarche (…)
ADN, J
472/305 (1388) 64r° Templemars
Pour 12
wuides keuwes [= queues vides, tonneaux vides] (…) dont
on recouvry ledit mollin à vent (…). Pour 2 milliers de claux espinglerés [litt.
« clous-épingles »] dont on recouvry d'eschanle [= bardeaux]
ledit moullin (…)
ADN,
J 472/306 (1396) 25v° Templemars
Les
nombres mentionnés dans le compte de 1501 évoquent une calotte plutôt
volumineuse. Cette année-là on achète 27 650 claux
d’eschanne chez deux marchands différents ainsi que 17 000 eschannez
pour couvrir le moulin de Templemars, ce qui fait une dépense de 13 lb 1 s
pour les seuls clous et 73 lb 2 s pour les bardeaux.
Autres
chapitres de cet article : La queue, la roue d'appui, la fixation et la
consolidation, et enfin la manœuvre de la queue
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Cette étude ne résout pas tous les problèmes concernant le plus ancien
moulin‑tour flamand, loin de là. Il faudra attendre un autre heureux
hasard pour que, par une confrontation avec des constructions similaires, les
moulins‑tours de Seclin et de Templemars livrent tous leurs secrets.