Les moulins à vent de Châlons-en-Champagne, par Paul Damagnez

 

Article de 5 pages avec photos d’archives

Selon l’enquête impériale de 1809, le nombre de moulins recensés dans le département de la Marne se répartissait en 444 moulins à eau et 400 moulins à vent. Le même dénombrement lors de l’établissement de la statistique industrielle de 1848 ne donne plus que 665 moulins. Mais alors que ceux à eau sont toujours en progression avec 494 usines, le nombre de moulins à vent s’effondre, et ne représentant plus que 171 unités.

Inventaire des moulins à vent de l’arrondissement de Châlons-en-Champagne :

C’est le seul arrondissement ayant su conserver un effectif relativement stable. Cette donnée nous a incités à en faire l’inventaire au moyen des documents d’archives disponibles. Toutes époques confondues, nous avons ainsi pu relever un ensemble de 95 moulins à vent, répartis sur le territoire de 65 communes. Sous l’Ancien Régime, la grande majorité de ceux-ci est constituée de moulins avec cage en bois. Nous n’avons en effet relevé que 8 moulins tours pour cette période, cependant certains sont connus fort anciennement : Matougues (1546), Fagnières (1570), Poix (1572), Athis (1587), Saint-Germain-la-Ville (1621)…

La situation est toute différente après la Révolution. La suppression des moulins de la rivière de Marne, engagée afin de faciliter la navigation vers Paris, a conduit entre 1790 et 1830, à la construction (ou reconstruction) de nombre de moulins à vent autour de Châlons. La proportion pivot / tour s’équilibre alors, avec un très léger avantage pour les moulins tours (51%).

Le moulin tour champenois :

Champagne crayeuse oblige, sa construction est le plus souvent en moellons de craie. Ceci n’est pas fortuit, nombre de ces moulins sont effectivement établis sur, ou à proximité, de lieux-dits portant le nom de Perrière ou Crayère ; les matériaux de construction étant à portée de main.

Chacun des paliers de la tour est souligné par un cordon de pierres appareillées en glacis. La brique rouge est parfois employée en parement pour séparer les étages et encadrer les ouvertures (Corroy). La charpente supporte une couverture mi conique mi à bâtière, dont la faîtière commence au poinçon (Camp de Châlons, Vatry, Courtisols, Montbré…).

Le moulin à cage en bois :

Le moulin sur pivot champenois présente quelques caractéristiques locales :

-          le chandelier repose sur 8 dés en maçonnerie et la face avant, côté volée, arbore fréquemment une sorte de bavette protégeant le pied des projections d’eau.

-          le rouet implanté très haut dans le toit, nécessite de prévoir un aménagement particulier : dans la région de Châlons, une sorte de renflement en permet le passage ; dans celle de Reims, il semble qu’on lui ait préféré le toit à la Mansard : Loivre, La Neuvillette, Witry-les-Reims, Prunay…

 

Les ailes avec volées à planches :

Les ailes Berton ou volées parisiennes ont rencontré un grand succès en Champagne. Après 1860, la presque totalité des moulins à vent encore en fonctionnement en est équipée. Signalons, sur un axe Reims-Châlons, la présence de moulins pourvus de six ailes à planches : Montbré, Louvois, Trépail, Isse et 2 à Juvigny. Un constructeur était établi à Châlons près de la gare. En 1858, il faisait passer dans le Journal de la Marne l’encart publicitaire suivant : Le sieur Constant Ramirez, ouvrier chez Arsène Regnauld, en son vivant maître charpentier, prévient qu’il continuera les Entreprises de Bâtiments et Ailes en Planches pour Moulins à vent.

Quelques moulins de la région châlonnaise

Notre choix s’est naturellement porté sur 3 sites, pour lesquels les moulins présentent une certaine originalité, que ce soit par leur type et durée d’activité, ou encore par leur conception insolite.

Le moulin du Haut-Chaillot à Châlons. Construit en 1797, ce moulin tour en craie est situé au sommet d’une côte crayeuse dominant la vallée de la Marne en rive gauche, établi sur l’emplacement d’une carrière souterraine.  Pour ce faire, Nicolas Colliquet, meunier de son état, achète au citoyen Antoine Patelart un moulin tour en démolition, sur la commune de Coupéville. Le marché traité à 6.000 livres est assorti d’un intérêt annuel de 20 setiers de froment. Moyennant quoi, le transport et la reconstruction du moulin en lieu-dit le Haut-Chaillot sur le territoire de Fagnières [en 1826, une modification des limites communales devait mettre l’édifice en terre châlonnaise], sont à la charge du vendeur.  Mais, un an plus tard, ce dernier alors meunier à Rancourt (55), n’a toujours pas rempli ses obligations. Souhaitant éviter un procès long et coûteux, les parties transigent : l’acheteur proposant de prendre le moulin en l’état, à la condition que le prix porté au contrat soit réduit à 3.000 livres, et l’intérêt annuel de moitié. Nicolas Colliquet exploite le moulin jusqu’en 1819, année où il le cède à Vincent Gély, meunier à Tours s/ Marne, qui en prend possession moyennant 5.800 Fr. payables, en monnaie d’or et d’argent.

Puis, il sera acquis en 1831, moyennant 7.000 Fr., par un jeune garçon de 20 ans, Pierre-Prosper Oudéa, issu d’une famille de meuniers qui exploitait le moulin à vent de Vaudemanges depuis la fin du XVIIe siècle.

En 1859, anticipant sur la disparition des moulins à vent céréaliers, la société créée par M. Varin sous la raison sociale Varin et Cie, tente une reconversion du moulin du Haut-Chaillot pour la fabrication et la commercialisation de boules de Blanc de Champagne.

L’usine est capable de produire 4 tonnes de pâte en 12 heures.

Ce processus de fabrication était traditionnel de la campagne châlonnaise où de petits ateliers familiaux équipés de manèges à chevaux, s’adonnaient à cette industrie dès le XVIIe siècle. Plus tard, la création à Saint-Germain-la-Ville vers 1872 de deux usines mues, l’une par l’eau, l’autre par la vapeur, initiera l’ère industrielle de la production du Blanc de Champagne ; aboutissant à la création d’une entreprise de renommée internationale, la société OMYA, mais ceci est une autre histoire…

Revenons à M. Varin, les affaires ne tournent pas à son avantage et, dès 1860, ses biens immobiliers sont mis en vente sur saisie judiciaire, puis de nouveau en 1863. La mise à prix est fixée par les experts du tribunal à 5.835 Fr. L’usinier, s’il possède les bâtiments, ne dispose par ailleurs que d’un droit d’exploitation des crayons, qui cours jusqu’en 1872. Appartenant aux frères Auguste et Eugène Sellier, propriétaires châlonnais, le terrain n’est donc pas saisi. L’usine est toujours à vendre en 1867, une scierie mue par le vent y a été adaptée, puis elle sera abandonnée.

En 1974, le moulin est en assez triste état. Son dernier propriétaire, M. Emile Morel, professeur à l’Ecole des Arts & Métiers de Châlons, le cède à la Région Champagne-Ardenne, sous réserve de sa restauration. Inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques, il se situe aujourd’hui dans le parc du CFA.

Le moulin d’Isse : Au XIXe siècle, le moulin à vent d’Isse présente une silhouette élancée tout à fait singulière. Une sorte de hucherolle équipée de 6 ailes à planches s’orientait sur un pivot creux, dont le mécanisme intérieur avait été mis au point conjointement, par les frères Marandon mécaniciens, et Cochut 2 meuniers locaux. Le Journal de la Marne du 1er juin 1859 annonce en effet le dépôt d’un Brevet d’invention pour un système de Moulin-Batteur agricole, mû par le vent. Cette innovation revendique un système au moyen duquel on peut simultanément battre le blé et le convertir en farine. Il est adaptable à tous moulins à vent et fonctionne déjà au moulin d’Isse.

Toujours exploité par la famille Marandon, ce moulin existait encore en 1930, associé à une machine à vapeur. Il écrasait alors 10 quintaux par jour de céréales secondaires, destinées à l’alimentation animale. Détruit en 1956, il alimentait alors une scierie.

Les moulins de Juvigny : Au XIXe siècle, les 2 moulins à vent de Juvigny sont détenus par les frères Goujard, issus d’une dynastie de meuniers à vent qui ont officié depuis le début du XVIIe siècle, dans nombre de moulins des environs de Châlons : Aulnay s/ Marne, Matougues, Vraux, Recy, La Veuve, Sarry, Saint-Germain-la-Ville…

Le moulin des Crayères : Situé en lieudit Les Crayères, au finage de Vraux, c’est le plus ancien moulin de Juvigny ; c’est aussi celui qui figure sur la carte de Cassini. Il nous apparaît en 1518, lorsque la duchesse d’Angoulême, dame d’Espernay, accorde à Pierre de Morillon, receveur du grenier à sel de Chaalons, l’autorisation de construire un moulin à vent sur une pièce de terre lui appartenant. Moyennant quoi, il s’oblige à payer à la recepte ordinaire d’Espernay, la somme de 20 sols de cens par an, pour le droit de vent.

En 1594, c’est un charpentier du lieu, Jacques Mestrude qui est titulaire du bail. Deux ans plus tard, le moulin est cédé à Claude Girardin, bourgeois de Châlons. Puis il passe dès 1599 à Geoffroy Le Gorlier. Les frères Mestrude, Mathieu et Jacques, en restent meuniers jusqu’en 1613.

En 1647, le même propriétaire cède moyennant 700 livres, le surpoids d’un ancien moulin à vent situé au terroir de Juvigny. L’acheteur Charles Clement, seigneur de Lespine et du Ban de Bussy s’oblige à le faire desmolir, transporter et restablir audit Ban de Bussy à Courtisols. Un nouveau moulin sera reconstruit aux Crayères.

En 1808, l’édifice qui porte maintenant l’appellation de Moulin Bastien est détenu par Claude-Sébastien Goujard. Lui succèdent successivement Louis-Joseph son fils (1825), puis Louis-Auguste Delacour gendre de ce dernier (1858). Le moulin est alors équipé de deux paires de meules faisant de blé farine, avec tous ses accessoires y compris la bascule et la voiture qui sert à la collée. Il travaille en binôme avec le moulin à eau à deux tournants de Vraux, nouvellement établi sur La Gravelotte (1856), petit affluent de la rive droite de la Marne.

Le moulin du chemin de la Lignette : Ce moulin est acquis en 1804 par Nicaise-Thomas Goujard (frère de Claude-Sébastien). Appartenant à 2 propriétaires vosgiens, le contrat de vente est signé chez un notaire parisien.

En 1833, le meunier cède le moulin à 2 tournures à son fils Jean-Baptiste. Dix ans plus tard, lors de la liquidation de la succession de Jean-Baptiste Goujard père, font partie de l’adjudication la maison, le moulin et ses accessoires : huit toiles, un câble et petits cordages, un fléau, des poids (20 kg) et balances, douze marteaux à battre les meules, une pince, deux masses et un cizeau, un double décalitre et un hectolitre, deux corbeilles à engrener. Le tout est adjugé pour 10.800 Fr. à Jean-Baptiste Goujard fils, l’un des cohéritiers. Eugène-Alexandre Goujard sera son dernier exploitant, les Allemands ayant fait sauter les 2 moulins de Juvigny en 1914.

 

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