Le frein dans les moulins flamands avant 1500

par Yves Coutant, article de  8 pages avec dessins de Gerrit Pouw et Paul Groen

 

Avec les volants, l’élément le plus spécifique du moulin à vent est bien le frein. En effet, pour stopper le moulin hydraulique, il suffit de fermer l’adduction d’eau. Le vent, par contre, ne peut être arrêté. Il fallait donc un système capable de contrer la force du vent.

Les tout premiers moulins à vent, plus petits que les actuels, étaient probablement dépourvus de frein. On pouvait les arrêter, comme le suppose Rex Wailes, en les mettant hors du vent, procédé qui s’applique encore toujours sur certains moulins grecs et portugais. On pouvait aussi les arrêter en remplissant de grains l’espace entre les deux meules et en laissant reposer la meule courante de tout son poids sur la meule gisante. Faut-il préciser que de tels systèmes de freinage sont inefficaces ou trop lents sur les grands moulins ? N’oublions pas qu’au 14e et surtout au 15e siècle la hauteur des cages des principaux moulins sur pivot flamands était à peu près celle qu’on observe encore sur les moulins subsistants et que la force d’un moulin est proportionnelle à la surface du cercle formé par l’extrémité des ailes. Les moulins que nous étudions devaient donc être équipés d’un système de freinage à peu près aussi performant que celui qui, de nos jours, équipe les moulins flamands.

En simplifiant à l’extrême, nous pouvons dire que le frein est un cerceau (le feuillard ou la ceinture) placé parallèlement à la circonférence du rouet et pouvant être serré à la manière d’un frein à tambour.  Une des extrémités de la ceinture est fixée à la cage ; à son autre bout pend une longue et lourde pièce de bois horizontale, qui sert de levier (la bascule). Lorsque tout le poids de cette pièce de bois, qui pivote autour d’un point d’attache, agit sur le frein, le rouet est immobilisé. Pour le libérer, il suffit de soulever et de caler cette bascule. Pour simple qu’est le principe, son application requiert de la part du charpentier la plus grande précision.  En 1410, par exemple, la mise en place du nouveau frein du moulin sur pivot d’Erquinghem-Lys a duré six jours et demi[1].

Le Moyen Âge connaissait deux genres de ceintures : la planche de bois et un ensemble de segments (patins) reliés par des pièces métalliques.

Malgré ses faiblesses, ses maladies infantiles, le frein du moulin médiéval mérite notre admiration: les meuniers à vent des 14e et 15e siècles s’étaient dotés d’un outil qui traverserait les siècles sans subir de métamorphose radicale. Si, de nos jours, la ceinture est assez souvent une lame d’acier, le principe du frein et son maniement  n’ont guère changé. Existe-t-il beaucoup de techniques de pointe qui ont ainsi résisté au temps ?

Yves Coutant a tout lu, tout vu sur les moulins. Voilà plus de 20 ans qu'il  fouille dans les archives des XIVe et XVe siècles en Belgique, aux Pays-Bas ainsi qu’en France à la recherche de comptes de moulins flamands et picards.  Il a soutenu en 1990 à l’université de Lille III  une thèse de doctorat  « Lexique et technique du moulin à vent destiné à la mouture du blé d’après les comptes flamands des XIVe et XVe siècles ». Â partir du vocabulaire glané dans les archives il fait paraître en 1994 « Terminologie du moulin médiéval dans le comté de Flandre » (Mémoire de la Commission royale de Toponymie et Dialectologie n°18) et en 2009 un ouvrage capital pour les molinologues «  Dictionnaire historique et technique du moulin dans le nord de la France - De Lille à Cambrai du 13e au 18e siècle ». Il y  définit des milliers de mots techniques,  25 à 30 % des définitions  ne figurent dans aucun autre ouvrage. Un condensé de sa thèse a été publié par la TIMS, en 2 volumes : le premier consacré aux parties fixes du moulin à vent est paru en 2001, le second qui vient de paraître , en étudie le mécanisme. Yves Coutant  est aujourd’hui considéré comme un des grands spécialistes des moulins d'Europe occidentale .

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