Le
village de Froncles en Haute-Marne se niche dans l’étroite vallée creusée
par la rivière Marne qui serpente à cinquante kilomètres du Plateau de
Langres où elle prend sa source. Un peu de minerai, des bois, de l’eau, il y
avait là certainement, dès les premiers temps de la métallurgie du fer, les
éléments nécessaires à une production par des forges volantes de telle sorte
que le village en tira son nom. Puis se construisit sur la rive gauche de la
rivière, au 12e ou au 13e siècle, le moulin banal du
seigneur.
Jusqu’en
1754, le moulin œuvra « banalement » selon ce qu’on attendait de
lui. A cette
date, le seigneur demande l’expertise de son moulin, trois ans plus tard
apparaissent sur les registres de l’état-civil un maître-platineur et son
fils. La forge de Froncles est née.
Dans
les premiers temps la forge se résume à un bocard, une batterie, un chauffeur
et un marteleur. Pas de haut-fourneau, pas d’affinerie, ne s’y travaille que
du fer affiné venu d’ailleurs transformé sous l’action d’un martinet, en
fers de batterie c’est-à-dire en tôles. Elle devient progressivement complète
avec l’installation d’une affinerie qui transforme les gueuses de fonte en
fer, puis en 1773, par autorisation royale, celle d’un haut-fourneau qui
transforme le minerai en fonte.
En 1857, le maître de forge vieillissant, la forge décline,
elle fonctionne au ralenti. Le jeune Télèphe de Bonnecaze succède à son père.
Il veut faire de la petite forge comtoise des origines une forge anglaise dont
les besoins en force motrice imposent de creuser davantage le sous-bief et par
ailleurs de remettre en marche le bocard et le patouillet pour la préparation
du minerai de fer. La commune et les riverains s’opposent à ces projets ;
la commune argue que le canal qu’il considère comme le prolongement de son
sous-bief, lui appartient, les riverains font ressortir le risque de comblement
de la rivière qu’entraînerait le déversement des eaux boueuses du
patouillet.
Concernant
le sous-bief et son canal, chaque partie ayant des raisons valables à avancer,
les pouvoirs publics les laisseront trouver une solution amiable ; quant au
bocard et son patouillet, un décret précisera les aménagements à apporter de
telle sorte que tout le monde y trouve son compte. Les dépôts boueux de
laitier sur les rives seront enlevés, le niveau des eaux du bief sera abaissé
toutes les fois que le maire de Buxières le demandera, les vannes de décharge
seront levées dès que les eaux dépasseront le niveau légal, le curage du
fond du bief de l’usine se fera toutes les fois qu’il en sera requis par
l’autorité administrative. La rivière reste un élément constant de
dissensions entre la commune et la forge.
En décembre 1872, avec l’achat de la forge de
Vraincourt elle-même située sur la rive de la Marne, la forge de Froncles s’était
constitué une filiale qui lui permit d’augmenter sa production de tôle et
d’ouvrir une chaudronnerie. Dans le rapport de la visite qu’il fait en 1892,
un ingénieur de la forge Chatillon-Commentry exprime son opinion concernant les
deux forges (extraits) : « A propos de Froncles : […] J’ai été
frappé par les avantages que présente la situation géographique de la forge.
Sa position entre le canal de la Marne et la voie du chemin de fer de l’Est,
la met au point de vue des transports dans des conditions particulièrement
favorables […]. Je ne pense pas que l’on puisse trouver une usine mieux placée
soit pour recevoir ses approvisionnements, soit pour expédier ses produits
finis. Si le canal donne à Froncles la vie commerciale, la Marne lui donne la
vie industrielle : car c’est à elle qu’elle emprunte soit à Froncles,
soit à Vraincourt, la force hydraulique sans laquelle elle n’aurait plus sa
raison d’être ».
La forge de Froncles existe encore. Après s’être
forgé une réputation dans la fabrication des tôles, elle se spécialisa en
1927 dans la tôle de carrosserie pour la firme Citroën qui innovait avec le
procédé américain du « Tout-Acier ». Elle en devint filiale
jusqu’en 1981. Cette fabrication s’est arrêtée en 1990. Aujourd’hui, la
forge continue sa route, elle produit au bord de la rivière des pièces
automobiles en forge à froid.