Continuer cette politique est un suicide et un pur scandale !

 

    Jean-François REMY. Avocat au Barreau de Nancy

 

A l’heure de l’explosion et des fuites radioactives qui s’échappent de 4 des 6 réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon, avec toutes les conséquences catastrophiques que l’on sait sur la terre mais aussi sur les océans, la politique de la France s’oriente avec assurance vers… un maintien voire une réactivation du programme nucléaire civil !

A croire que les leçons qui auraient dû être tirées des accidents de Three Mile Islands aux Etats-Unis et de Tchernobyl en Ukraine n’ont absolument pas porté…

Dans le même temps, les services de l’Etat français continuent, sur le terrain, à œuvrer pour le démantèlement de plusieurs centaines de petits ouvrages hydroélectriques, accusés de nuire à la continuité écologique. Sans même semble t’il s’interroger sur l’absolu décalage de ces actions dans la période actuelle, ni même accorder d’importance au fait que, depuis des siècles, ces moulins apportent leur pierre à l’édifice énergétique, et sont parfaitement intégrés à leur environnement.

Continuer cette politique, c’est un suicide et un pur scandale !

Outre qu’elle est la preuve une fois encore rapportée que les intérêts économiques de grands groupes énergétiques, ou encore des lobbies écologistes totalement déracinés de la réalité, continuent à écraser le bon sens quotidien, l’individu, les petites entreprises mais aussi – purement et simplement – la propriété privée.

Que nos Hommes politiques ne viennent pas se plaindre, dans ces conditions, des effets pervers de la mondialisation, qu’ils favorisent à chaque instant, et de la dégradation de notre environnement.

Dans ce tableau bien noir, la petite hydraulique conserve toutefois des droits, que nous devons défendre pied à pied, les exploitants de moulins étants les gardiens d’une partie de notre patrimoine commun.

Et la justice peut nous donner raison.

Dans un paysage de plus en plus répressif pour la petite hydraulique, notamment sous les coups portés par la Circulaire sur le rétablissement de la continuité écologique visée précédemment, l’histoire vient en effet encore et toujours au secours des moulins.

Un arrêt rendu récemment par la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, contre l’avis du Ministère de l’Ecologie, nous le confirme.

Dans le massif central, un jeune exploitant décide il y a quelques années d’acquérir une petite centrale hydroélectrique d’environ 100 kW. L’ensemble est alors en très mauvais état, une partie des turbines étant hors service, la partie électrique étant à revoir, etc…

L’heureux propriétaire prévoir de tout remettre en état, pour la plus grande partie par ses propres moyens, cette rénovation devant par ailleurs lui permettre d’obtenir un nouveau contrat d’achat avec EDF. Peu après l’acquisition, il informe l’administration de son acquisition, et demande le transfert à son bénéfice du droit d’eau délivré par le Préfet au XIXème siècle. L’administration prend acte de cette demande, mais demande à l’exploitant de lui indiquer la puissance maximale brute de l’usine.

Compte tenu d’une puissance électrique de 100 kW, l’exploitant informe le Préfet que la puissance maximale brute de son installation – PMB est de 140 kW, soit moins de   150 kW, ce qui l’exonère d’avoir à renouveler son droit d’eau à compter de 1994 (article 18 de la loi du 16 octobre 1919 sur l’utilisation de l’énergie hydraulique).

Les services de l’Etat réfutent cette explication, évoquant les chiffres précédemment avancés par l’ancien exploitant qui, ignorant manifestement les conséquences que cela pourrait avoir, avait parlé d’une puissance plutôt égale à 160 - 170 kW.

Estimant dans ces conditions que l’arrêté d’autorisation d’origine serait arrivé à échéance en octobre 1994, le Préfet indique à l’exploitant qu’il doit déposer un dossier de demande de renouvellement de son autorisation administrative.

L’exploitant refuse, expliquant que compte tenu du débit maximal utilisable par ses turbines (environ 1,2 m³/s) et de la chute brute de la dérivation (environ 12 m), la puissance maximale brute s’établit en fait à 140 kW.

L’administration se lance dès lors dans une démonstration confinant au délire…Estimant dans un premier temps que la chute à prendre en compte varierait en fonction des niveaux constatés en période de crue (plus les eaux s’élevant au-dessus du barrage, plus la chute étant importante… !) – elle y renoncera ensuite – les services de l’Etat maintiennent en revanche que le débit à prendre en compte doit être estimé en fonction de la section de passage dans la vanne de tête, qui pourrait permettre – en cas de crue et donc de mise en pression – un débit d’environ 6 m³/s.

Le Préfet soutenait dès lors sans ciller que la puissance de l’installation serait de… 700 kW bruts, et qu’en conséquence son autorisation serait bien arrivée à échéance en octobre 1994.

NB : ce qui a eu des effets connexes, puisque pendant ce temps, l’exploitant n’a pas pu obtenir un nouveau contrat d’achat d’électricité auprès d’EDF pour rénovation de son installation…

Ce raisonnement était bien entendu ubuesque, et par ailleurs totalement contraire à ce que soutient l’administration pour les droits fondés en titre où, bien entendu, le débit est alors classiquement minimisé.

Devant le Tribunal Administratif de Limoges, l’exploitant attaque la décision du Préfet, expliquant que la puissance de son installation est inférieure à 150 kW bruts et que par conséquent son autorisation n’est pas limitée dans le temps.

La démonstration repose sur le calcul du débit maximum susceptible d’être utilisé par les machines (la loi de 1919 parlant bien à ce sujet d’autorisation pour l’utilisation de l’énergie hydraulique), les débits supplémentaires qui entreraient dans le canal et déverseraient n’étant pas destinés à être utilisés pour la production d’énergie.

Au terme de ce raisonnement, la puissance pouvait être fixée à 140 kW.

Maintenant sa position, l’administration soutenait que le débit à prendre en compte était le débit maximal susceptible de passer dans la vanne de prise d’eau, s’appuyant sur la jurisprudence applicable aux droits fondés en titre (où selon le Conseil d’Etat, doit être retenu le débit maximal susceptible de transiter par les ouvrages régulateurs).

A notre grande surprise, le Tribunal Administratif a dans un premier temps donné raison à l’administration.

Devant la Cour Administrative d’Appel, coup de théâtre !

La fouille des archives départementales ayant permis à l’exploitant de retrouver des actes d’état civil faisant état de plusieurs naissances intervenues dans son moulin avant la Révolution française de 1789, mais aussi d’une mise sous séquestre et d’une aliénation au tire des ventes de biens nationaux, il devenait possible de revendiquer un droit fondé en tire à l’usage de l’eau… pour la puissance évoquée initialement par l’administration, bien entendu… !

Surpris mais pas déstabilisé, le Ministre a fait valoir toutes sortes d’arguments aussi injustifiés et de mauvaise foi les uns que les autres :  

- La destruction du barrage par une crue au XIXème Siècle aurait fait disparaître le droit fondé en titre à l’usage de l’eau,

- La chute de 12 mètres n’aurait pas pu être exploitée par une seule roue à aubes à l’époque, de sorte que ceci démontrerait l’intervention d’une augmentation de puissance après la Révolution française,

- Le canal de fuite serait profondément creusé dans la roche mère, ce qui aurait été impossible antérieurement à 1789.

Autant d’arguments non justifiés et faisant fi de la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière :

- Une destruction d’ouvrage provoquée par un fait naturel, et non par la volonté du propriétaire, ne permet pas – en tant que tel – de constater la perte du droit fondé en titre à l’usage de l’eau,

- La consistance légale ou puissance d’une installation fondée en titre doit être présumée conforme à l’état actuel, sauf preuve tangible rapportée par l’administration d’une augmentation de puissance intervenue depuis 1789, la chute de la dérivation étant par ailleurs appréciée en fonction de la différence entre le point de prise et le point de rejet, peu important à cet égard que la perte de charge dans les canaux soit importante, toute la chute utilisée, ou non.

Par un arrêt du 24 janvier 2011, la Cour Administrative d’Appel a littéralement balayé toutes les critiques exprimées par le Ministre, reconnu l’existence d’un droit fondé en titre à l’usage de l’eau attaché à la centrale litigieuse, précisé que son débit réservé restait fixé à 2,5 % du débit moyen du cours d’eau jusqu’au 1er janvier 2014, et accordé une indemnité à l’exploitant au titre des frais de justice.

Le Préfet, qui avait entamé une procédure d’infraction pénale contre l’exploitant, et une démarche visant à suspendre le contrat d’achat existant avec EDF, est clairement sanctionné.

"Tel est pris, qui croyait prendre"… nous enseignait ce bon Jean de La Fontaine au XVIIème siècle… 

 

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