Article de 7 pages
avec carte et photos, par Vincent MARABOUT, chercheur, chargé de
mission, au service de la Conservation du patrimoine Conseil général de la
Dordogne
Demeuré à l’ombre des
grottes préhistoriques et des « mille et un châteaux », le
patrimoine industriel périgourdin se révèle peu à peu. Forges, papeteries,
minoteries et autres manufactures bénéficient d’attentions nouvelles qui
donnent à ce patrimoine, bien au-delà d’un quelconque effet de mode, une
place parfaitement légitime au regard de l’histoire du Périgord. Mais ce
passé industriel, en grande partie oublié par les jeunes générations et peu
connu des néo-ruraux, conserve de biens fragiles témoins d’une activité,
alors foisonnante. L’état des moulins en Dordogne fait craindre quant à
l’avenir de ce patrimoine. L’inventaire du patrimoine mené en Val de Dronne
à permis de faire le bilan du parc molinologique sur 5 cantons situés au
nord-ouest de Périgueux.
L’arrière-plan
historique
Les plus anciennes mentions de
moulins se rencontrent dans les recueils de chartes des abbayes périgourdines
sous les termes molendinum ou moli, mounar étant réservé au droit de bief. Le
cartulaire de l’abbaye de Chancelade cite les moulins de Rochereuil (1129,
Grand-Brassac), du Pont de Parduz (1168, Montagrier), de Salles (1189,
Tocane-Saint-Apre), tous situés sur la Dronne, ainsi que le moulin d’Anglars
(1167, Lisle) qui se trouvait sur la Donzelle. Aux 12e et 13e
siècles, la seigneurie banale encourage la multiplication des moulins sur les
rivières principales.
A la fin de la guerre de Cent
Ans, de nombreux moulins sont reconstruits parallèlement à la remise en valeur
des terroirs. Nombres de ces édifices portent le nom de « Moulin Neuf »
et remplacent des structures anciennes, abandonnées ou détruites lors des
crises précédentes. C’est lors de la période des « gros épis »,
débutant avec le règne de Louis XIV, que se multiplient les moulins à
farine sur le réseau hydrographique secondaire. Ils apparaissent sur tous les
cours susceptibles de les accueillir, sur des sites parfois très proches les
uns des autres. Très vite ces moulins atteignent une densité maximale
conduisant à une véritable saturation du réseau. A la fin du 19e
siècle, la technologie mise en œuvre dans ces moulins est semblable à celle
en usage au Moyen Age.
La révolution industrielle va
sonner le glas de tous les petits moulins. Seules les usines capables
d’investir dans les nouveaux équipements (turbine et appareils à cylindres)
vont se maintenir dans un contexte économique de plus en plus exigeant. Les
petites unités, aux rendements trop faibles et donc non rentables, vont
rapidement péricliter. Certaines, abandonnées à la ruine, vont disparaître.
D’autres, désaffectées, vont être transformées en habitation avec parfois
l’utilisation de l’ancienne machinerie comme éléments de décoration.
Quelques moulins vont survivre un temps grâce à des activités annexes, comme
le sciage du bois ou par le biais d’activités non commerciales telle la
fabrication de farines non panifiables destinées à l’alimentation animale.
D’un point de vue général, l’enquête de contingentement menée en 1936
montre qu’une majorité des moulins du Val de Dronne sont déjà en dehors de
tout circuit de distribution même local.
Lors de la seconde guerre
mondiale, certains moulins vont reprendre du service, notamment en ce qui
concerne l’élaboration d’huile de noix. La crise passée, les échanges
commerciaux reprennent et quelques minoteries, pour la plupart situées sur la
Dronne et à proximité des terres céréalières du Ribéracois, vont perdurer,
rarement au-delà des années 1970. Aujourd’hui, seule la minoterie Duchez à
Comberanche-et-Epeluche produit encore de la farine.
Malgré l’importance de son équipement en
moulins révélé par la statistique de 1809 (2710 moulins), la Dordogne est très
en retard sur l’étude de ses moulins. A ce titre, François Bordes faisait la
remarque suivante : « Et comment ne pas s’étonner, sinon
s’agacer, de l’absence d’une étude globale sur ce type d’équipement
qui jusqu’à l’âge de la récente industrialisation, constituait un élément
vital de notre région. Car ces bâtiments, hormis quelques monographies ne
touchant que certaines zones du Périgord ou des analyses ne concernant qu’un
type d’activité, n’ont pas encore trouvé leur historien ». A ce
jour, aucune confrontation n’a encore été réalisée entre les données
statistiques, qu’un rapide coup d’œil sur la carte de Belleyme confirme, et
la réalité du terrain. Seules les papeteries, ainsi que les forges,
principales industries périgourdines liées à l’énergie hydraulique, ont
suscité quelque attention. Les moulins à blé ou à huile de noix n’ont
toujours pas fait l’objet de recherches poussées. Quelques rares articles
s’y consacrent brièvement. Ce retard peut se lire tant dans l’action
associative que dans celle des institutions. En Périgord, succédant à la délégation
de Dordogne de l’ARAM GSO, l’APAM (Association Périgordine des Amis des
Moulins) a été créée le 30 mars 2001 alors que ce type de structure existe
depuis près de 30 ans ailleurs. Ce constat reste à nuancer par la création
des « Amis des moulins du Bandiat-Tardoire » dès 1985, mais dont
l’action se limite au bassin versant de ces deux cours d’eau, situé
essentiellement en Charente. Sur le plan institutionnel, on observe que la
quantité ainsi que les dates des mesures de protection des moulins au titre de
la loi sur les Monuments Historiques reflètent également ce retard.
À partir des données
cartographiques et archivistiques, le repérage des moulins a permis la
constitution d’un corpus de 193 édifices répartis sur l’ensemble du réseau
hydrographique de l’espace considéré. Il faut ajouter à ce corpus les deux
seuls moulins à vent repérés, soit 195 moulins au total. Cette densité
conforte ce que présupposaient les statistiques de 1809.
La Dronne est alimentée par de nombreux affluents. Sur les cantons étudiés, plus d’une trentaine de cours d’eau du chevelu sont équipés en moulins. Les plus importants sont la Lizonne (51 moulins dont 14 sur le secteur concerné), la Pude (20 moulins pour un cours d’eau d’une longueur de 19,7 km), la Sauvanie (13 moulins) et la Rizonne (9 moulins). Ainsi, en prenant les cours d’eau pour lesquels nous avons une connaissance précise de la longueur de leur linéaire, nous obtenons une moyenne d’un moulin tous les 1,7 kilomètres. Cette moyenne est identique à celle de la seule Dronne.
A suivre…