Var – Comment les tropéziens  ont résolu la gestion de

la mouture du grain sous  l’Ancien régime,

Article de 5 pages avec carte et photos, par Bernard Romagnan, SIVU Golfe de Saint-Tropez / Pays des Maures, membre de l’ARAM Provence

 

Le 4 février 1470, 21 colons originaires de la rivière de Gênes signèrent un acte d’habitation avec le seigneur piémontais Raphaël de Garessio, vassal de Jean Cossa, baron de Grimaud afin de s’établir et repeupler le terroir de Saint-Tropez. Le problème de la mouture des grains et de la construction des moulins n’apparaît pas dans ce premier acte, par contre il est connu par deux allusions concernant le deuxième acte d’habitation daté du 14 octobre 1470. La première se trouve sous la cote AA 4 dans l’analyse de l’inventaire dit « Mireur », qui nous signale « la défense d’établir des moulins ». La seconde, dans les minutes d’un procès intenté à la fin du XVIIe siècle par Rosine d’Artigue de la Garde, veuve héritière de Louis de Grasse, seigneur de Saint-Tropez contre la communauté, et dans lesquelles il est écrit que :

 

« le 14 octobre 1470, les habitants et les seigneurs de St-Torpés passèrent transaction pour lacquelle il est dit expressement qu’aucun habitant ne pourroit faire bastir aucun moulin dans le terroir de St-Torpés et que le seigneur seul auroit droit et faculté de fere ediffier un ou plusieurs moulins en quel endroit du terroir dudit Saint-Torpés que bon luy sembleroit, ainsi qu’il est formellement exprimé aux articles 27 et 28 de ladite transaction (…) ».

 

Ainsi dès 1470, sont clairement établies les règles qui vont régir les liens entre la communauté et son seigneur et dont vont découler des rapports de force, deux procès et l’approvisionnement en grain des habitants de Saint-Tropez. Comme il n’y avait aucun moulin à Saint-Tropez à cette date, les habitants avaient le droit d’aller moudre leur blé ailleurs, en vertu du droit coutumier.

 

 

Quels sont les moulins à eau dont disposaient les Tropéziens pour faire moudre leur grain dans le golfe de Grimaud[1]à la fin du XVe siècle et à quelle distance à vol d’oiseau se trouvaient-ils de Saint-Tropez ? A Ramatuelle : un moulin était au quartier du Plan, près des Tournels, là où le chemin traverse le gros Valat distant de 7,5 km. A Gassin : le moulin de Benet attesté en 1516, se trouvait probablement dans la vallée du ruisseau Bélieu sur le chemin de Saint-Tropez, distant de 5 km. A Grimaud, au moins trois moulins étaient bâtis sur la rivière du Refren, appelée aujourd’hui la Garde : les moulins de Vaissel, de la Lause et des Barilles, distants de 10,5 km.

 

            Vers 1500, les habitants de Saint-Tropez avaient donc la possibilité de faire moudre leur blé dans plus de cinq moulins à eau[2], distants au minimum de 5 km à vol d’oiseau de leur lieu d’habitation et répartis sur l’ensemble des communautés avoisinantes.

 

 

Comme la pauvreté du réseau hydrique du terroir de Saint-Tropez n’autorisait pas la construction de moulins à eau, on vit apparaître la silhouette de moulins à vent sur la colline dite de Lambien haute de 56 m. A la fin du XVIe siècle, cinq moulins dominaient la ville. L’absence de documentation ne nous permet pas de connaître l’évolution qui a permis aux Tropéziens de disposer de 1 à 5 moulins au cours du XVIe siècle. Mais, les troubles causés par les Guerres de religion entraînèrent les consuls à protéger leur cité. Le 6 août 1589, ils proposèrent de construire un bastion sur la colline des Moulins 

Et après l’avis des ingénieurs du gouverneur de la Valette, lieutenant général de Provence, il apparut « nessessayre ce fortifier pour resister contre le canon et remettre la borgado et la montagnon dez mollins dans l’enclos de la villo ».

 

Le gouverneur de la Valette fut tué à Roquebrune en 1592 et remplacé par le duc d’Epernon. La paix revenue, celui-ci se révolta contre Henri IV et maintint ses troupes sur la colline des Moulins. Il entreprit alors la construction « d’un retranchement en forme de citadelle », ouvrage dont nous ne savons pas grand chose. Ces nouvelles fortifications et la présence des soldats empêchaient la population d’aller « fere farines aux mollins come est de coustume par le passé ». Et c’est pourquoi les moulins se sont progressivement déplacés de la colline de Lambien, appelée alors colline des Moulins, sur le collet de la Jovenine. Ainsi le 15 janvier 1594, René de Grasse, seigneur de Saint-Tropez :

 

Au XVIIe siècle, les habitants de la communauté ne disposaient plus que des quatre moulins qui avaient été reconstruits. Au XVIIIe siècle, ceux-ci étaient appelés : le Brûlot, l’Amiral, le Brésé et du quatrième, il ne restait que la tour dite de Saint-Louis. Ainsi, l’enquête lancée par la Convention en 1794 (an II), indique que Saint-Tropez ne pouvait utiliser que 3 moulins à vent. En octobre 1798, un quatrième moulin fut bâti sur la colline des Moulins. Enfin, c’est au cours de cette période que furent vraisemblablement édifiés deux autres moulins à vent à la limite de la commune avec Gassin, entre la route et le bord de mer, aux quartiers du Pilon et de la Pinède. Le cadastre dit napoléonien dont la mise au propre est datée de 1808, signale 6 moulins à vent, 4 sur la montagne des Moulins, 2 à la limite de la commune avec Gassin. Il nous faut également observer que les moulins tropéziens ne fonctionnaient que quelques mois de l’année, lorsqu’ils disposaient de leur force motrice : le vent.

 

Les Tropéziens appliquant la vieille maxime « on n’est jamais mieux servi que par soi-même » surent trouver le meilleur moyen pour subvenir à leur besoin de mouture de farine et passer outre les droits du seigneur, en achetant ou en faisant construire des moulins dans les terroirs voisins. En effet, Saint-Tropez a bénéficié à l’époque moderne d’un développement économique basé sur le commerce maritime, particulièrement avec la Barbarie et le Levant, ce qui a permis à certaines familles de marins, devenus bourgeois, de s’enrichir. Ces bourgeois, avocats, lieutenants de l’amirauté, tous habitants Saint-Tropez et qui pouvaient être coseigneurs de Ramatuelle ou de Gassin, ont investi en masse dans les biens fonciers des terroirs les plus proches. Au milieu du XVIIIe siècle, 55 % des taillables de Ramatuelle et 33 % de ceux de Gassin, étaient des Tropéziens. La liste est longue des moulins des lieux circonvoisins leur appartenant :

 

L’exemple de Saint-Tropez illustre parfaitement d’une part, le diversité des banalités et de leurs composantes ainsi que des liens qui régissaient le seigneur et sa communauté sous l’Ancien Régime et d’autre part, l’originalité des solutions apportées par les habitants pour passer outre la puissance seigneuriale.



[1] Appelé golfe de Saint-Tropez depuis le début du XIXe siècle.

[2] Il est probable mais pas certain qu’il y ait eu d’autres moulins sur le ruisseau du Bourrian à Gassin, sur la Giscle à Cogolin et sur  la Garde à Grimaud.

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