Le droit d’eau : Histoire et Perspectives

Résumé d’un article de 6 pages, par Annie Bouchard, Présidente de la FFAM

 

Le « droit d’eau » fondé en titre. Les moulins existants au moment de la Révolution, bénéficient de droits acquis, et sont considérés comme ayant une existence légale consacrée par leur ancienneté. Leur existence légale est fondée soit sur la vente des biens nationaux, soit sur l’existence de l’usine avant l’abolition de la féodalité.

La consistance légale. Le droit est attaché à la prise d’eau et à l’utilisation de la force hydraulique et non au moulin en tant que tel. C’est ce que le juriste appelle l’existence légale du moulin fondé en titre. Il s’agit d’un régime juridique protégé : l’usine fondée en titre peut utiliser l’énergie hydraulique sans « autorisation », dans la limite de la puissance résultant de sa consistance légale. La consistance légale s’est traduite, dans la jurisprudence, par la puissance de la force motrice évaluée au regard du titre d’origine. Comme il est difficile d’en apporter la preuve, elle est présumée conforme à la force motrice nécessaire pour entraîner les mécanismes actuels s’ils existent toujours, ou à l’état des installations décrit dans des documents même postérieurs à 1790

Les « Ouvrages autorisés » Dès 1791, les privilèges féodaux n’étant pas encore abolis par la Révolution, un avis au public stipule que « chaque particulier peut ériger sur son terrain un moulin ».

La nécessité qu'a un nouveau moulin hydraulique de disposer d'une prise d'eau va se trouver soumise à une autorisation administrative, conformément à un « règlement d'eau » destiné à préserver la conservation des cours d'eau en imposant certaines contraintes. Les moulins antérieurs à la Révolution ont pu faire l'objet soit d'un règlement d’eau judiciaire à la suite de litiges entre différents usagers de l’eau, soit d’un règlement d’eau administratif à la demande expresse du propriétaire souhaitant augmenter la puissance de son installation hydraulique. La majorité des moulins, notamment ceux situés en plaine, fut régularisée au cours du XIXe siècle. Dans la plupart des demandes récentes, il semble que les agents de la Police des eaux aient tendance à faire une lecture extrême du code de l’Environnement. Pourtant, quand un propriétaire de moulin demande l’autorisation de réinstaller une roue, une turbine ou des vannes, il est difficile de soutenir que les ouvrages sont abandonnés, ou de prétendre que leur remise en état va nuire à la salubrité publique ou menacer la sécurité publique…

Le règlement d’eau. Le règlement est la pièce administrative essentielle pour un moulin, car elle autorise l’ouvrage et fixe ses conditions de fonctionnement. A défaut d’avoir obtenu ce document de son vendeur, le propriétaire doit pouvoir l'obtenir à la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt (DDAF), ou à celle de l’Equipement (DDE), ou à la Mission InterServices de l’Eau (MISE). Officiellement, ce n’est en effet pas au propriétaire de donner la preuve de son droit d’usage mais à ces services dont le rôle est justement de le faire appliquer. Le règlement d’eau peut aussi être recherché aux Archives départementales dans la série S (cours d’eau, usines).

Droit de riveraineté. Le lit d’une rivière non domaniale appartient aux riverains, chacun pour moitié, avec droit d’usage dans les limites déterminées par la loi, la contrepartie étant l’obligation d’entretien. Le droit de riveraineté permet au riverain de puiser de l’eau pour l’irrigation, de pêcher, d’extraire du sable, des pierres, et de se clore. Le riverain est tenu de n’user de son droit que de façon « normale » et sans porter atteinte aux droits concurrents des autres riverains. L’article 644 du Code civil (inspiré de l’article 206 de la Coutume de Normandie) fait en outre obligation à celui qui use de l’eau de la restituer à son cours naturel. Composante du droit de riveraineté, le droit d’usage préférentiel est une équitable compensation aux contraintes et aux risques liés à la situation au bord de l’eau. L’eau passant par le moulin est détournée de son cours naturel en application de ce droit d’usage. Le propriétaire du moulin est responsable, y compris pénalement, de la manœuvre de ses vannes et l’état d’entretien des canaux doit être tel qu’il ne porte pas préjudice au libre écoulement des eaux.

Les canaux ne sont pas des cours d’eau. Les différents éléments hydrauliques du moulin ont à l’origine été généralement implantés sur des terrains appartenant au propriétaire du moulin. Le moulin, pièce centrale, et tout ce qui s’y unit artificiellement (déversoirs, biefs, vannes, canaux) forment un tout dont la fonction est indivisible du point de vue hydraulique. Cependant, au cours des siècles, des démembrements de propriété et la réalisation de nouveaux cadastres ont pu modifier les limites d’origine. Les canaux creusés de main d’homme pour le service de l’usine étant dépendances du moulin, ils sont privés contrairement à la rivière. A défaut de preuve contraire, la présomption de propriété (canal d’amenée, canal de fuite, bief, et leurs francs-bords) vaut au profit du propriétaire du moulin. A la charge exclusive de l'usinier, leur entretien lui incombe même s’ils traversent des terrains appartenant à un tiers.

VERS UNE NOUVELLE LÉGISLATION SUR L’EAU

Durant des siècles, la gestion des milieux aquatiques fut essentiellement hydraulique.

L’Office international de l’eau, il y a quelques années, s’était efforcé de recenser le nombre de textes qui, de près ou de loin, touchaient au droit de l’eau et il avait retenu le nombre de 1 700 textes qui, pour la plupart, sont toujours dispersés malgré l’existence du nouveau code de l’environnement dans lequel on retrouve la plupart des principales dispositions concernant le droit de l’eau, autrefois incluses dans le code rural. La loi nous rappelle que les moulins n’ont pas été créés pour l’agrément d’une propriété mais pour la production d’énergie…

C’est en 1865 que l’on assiste à un premier classement de cours d’eau soumis à obligation d’échelles à poissons, sorte d’« escalier » destiné à permettre aux poissons migrateurs de remonter les cours d’eau pour frayer. Cette mesure fut prise pour lutter contre la disparition du poisson en tant que ressource économique importante à l’époque pour l’alimentation des populations rurales.

La loi sur le régime des eaux de 1898 définit les droits et obligations des riverains, codifiés dans le Code civil, que l’on retrouve aujourd’hui dans le Code de l’Environnement Titre 1er Eaux et Milieux aquatiques (notamment Chapitre V, Dispositions propres aux cours d’eau non domaniaux).

Un règlement d’administration publique de 1905 et une circulaire ministérielle du 1er juin 1906 arrêtent les bases de la Police des cours d’eau ; ces textes, toujours en vigueur, sont repris au niveau départemental sous forme d’un règlement de police des cours d’eau signé par les préfets dans le courant du second semestre 1906.

S’agissant plus particulièrement de ce que l’on appelle l’usage hydraulique, l’usage industriel, c’est, pour l’essentiel, un usage qui est régi par la loi sur l’énergie hydroélectrique du 16 octobre 1919. Texte de référence, les textes suivants n’ont fait qu’en préciser les termes et les adapter à l’évolution du monde moderne, notamment en matière de pollution et de libre circulation des espèces piscicoles migratoires.

La plus grande partie des « vieux moulins », d’une puissance inférieure à 150 kW, ne sont pas visés par la Loi de 1919. Qu’ils aient bénéficié d’un règlement d’eau antérieur à 1919 ou qu’ils soient fondés en titre, ils sont autorisés sans formalités et sans limitation de durée. Contrairement aux autorisations accordées dans le cadre de la loi de 1919, leurs droits d’eau sont cessibles, ils suivent le moulin en cas de changement de propriétaire.

Texte fondateur des Agences de l’eau et des taxes pollueurs/payeurs, la loi du 16 décembre 1964 est qualifiée de texte « qualité de l’eau ».

Dans la décennie 1980/1995, des analyses de plus en plus fines se sont développées quant à l'ensemble des questions liées à l'équilibre général à maintenir ou à rétablir dans les écosystèmes en vue de permettre un « développement durable », malgré la croissance des besoins en 'eau. Avec l’arbitrage entre pêche et production électrique, un débat sur les conséquences environnementales des aménagements hydrauliques est apparu.

Dans la plupart des pays développés, et notamment en France, tout un corps de textes législatifs et réglementaires a été établi dans ce but. La loi-pêche du 29 juin 1984, venue compléter les dispositions déjà existantes du code rural, organise la gestion des milieux aquatiques et des ressources piscicoles. Ayant pour objectif la préservation des poissons et la protection de leur habitat, elle pose, au travers de la question de la « libre circulation » des poissons, le problème des moulins et de l’entrave que sont supposés constituer dérivations et seuils assimilés à tort à des barrages.

La loi du 3 janvier 1992, intitulée Loi sur l’eau, reprend l’ensemble des réglementations en vigueur en les élargissant (maîtrise de la gestion quantitative de l’eau, pollution). Elle affirme la priorité de l’intérêt général sur les intérêts individuels, et renforce les pouvoirs des collectivités territoriales quant à la gestion des rivières.

La nouvelle législation impose le maintien d’un débit minimal dans tous les cours d’eau, ainsi que des dispositifs assurant la circulation des poissons migrateurs. Si toute nouvelle installation doit naturellement intégrer cette dimension nouvelle, souvent ignorée ou négligée dans le passé, de nombreuses installations existantes sont susceptibles d’être considérées inadaptées à ces nouvelles règles. La loi ne prévoit pas d’indemniser les propriétaires. Ainsi, de la même façon que l’usinier du XIXe siècle avait à sa charge les travaux de « mise aux normes » consécutifs au règlement d’eau de son moulin, les propriétaires d’aujourd’hui ont à leur charge les travaux résultant de l’application du code de l’Environnement. Cependant, il est admis que les propriétaires de moulins, n’en tirant plus de revenus, puissent bénéficier de subventions.

La Directive cadre européenne du 23 octobre 2000 transposée en droit français par la loi du 21 avril 2004 confirme les principes de gestion institués par les lois sur l’eau françaises de 1964, 1984 et 1992, et fixe des objectifs écologiques, une méthode de travail et un calendrier visant à atteindre en 2015 le bon état de la ressource en eau dans les pays de l’Union.

La loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006 intègre les directives conformes au droit européen quant à l’usage de l’eau, la qualité de l’eau potable et celle des poissons, tandis que le droit de riveraineté est de plus en plus encadré par la réglementation. Quant à la jurisprudence, la pérennité des droits fondés en titre y est affirmée de manière constante.

Toutefois, si la loi sur l’eau privilégie le milieu aquatique, la loi de programme sur l’énergie du 13 juillet 2005 définit des mesures favorables à une optimisation de l’énergie hydraulique. Et surtout le rapport de Fabrice Dambrine, haut Fonctionnaire à la Direction générale de l’Energie au MINEFI, rendu en mars 2006, après avoir affirmé que l’hydroélectricité constitue un enjeu majeur au regard de la production d’électricité par les énergies renouvelables, propose diverses pistes de réflexion et d’action pour permettre une valorisation optimale du potentiel hydroélectrique français, dans un nécessaire compromis entre les divers usages de l’eau.

CONCLUSION

Aujourd’hui se trouve effacé de la mémoire de la plupart de nos concitoyens un ensemble d’aspects liés à la présence de l’eau courante en tant qu’énergie dans une vallée. Les moulins ont fait partie de notre monde durant un millénaire. Lieux de vie par excellence au cours des siècles, ils peuvent continuer à vivre. En effet, même s’ils ne sont plus des usines, leurs droits à utiliser l’eau n’ont pas disparu… Chaque moulin remis en état contribue à la logique d’un environnement respecté et participe à la vie de l’eau. Leur sauvegarde passe par la remise en fonctionnement des systèmes hydrauliques.

A l’heure où la société s’inquiète de son environnement et où les ressources énergétiques commencent à s’épuiser, il est plus que jamais essentiel de préserver le potentiel de production hydroélectrique de faible puissance dont l'histoire, on l’a vu, remonte très loin dans le passé, ainsi que les petits aménagements hydrauliques qui sont les héritiers de cette histoire. Ils doivent être protégés et restaurés, voire reconstitués, non seulement pour la conservation du patrimoine et du savoir-faire de nos anciens, mais également et surtout comme source d’énergie qui, pour négligeable qu’elle semble, n’en est pas moins réelle… Ils peuvent aujourd’hui, tout en gardant leur âme et leur image patrimoniale, produire de l’électricité ne serait-ce que pour un usage privé, avec la satisfaction de contribuer à la protection de l’environnement.

D’après exposé d’Annie Bouchard, 19e Rencontres historiques du Léon à Lesneven (Finistère), 7 octobre 2006

 

Bibliographie

BOUCHARD, Annie, Il était une fois sur la Guigne, Ed. du Lys, Caen. 1997. épuisé.

BOUCHARD, Annie, Les moulins et l’eau, ARAM Basse-Normandie, 2002.

Album du Congrès FFAM 2000 à Blainville-sur-Mer (Manche), ARAM Basse-Normandie/FFAM, 2000, exposé Annie Bouchard.

VIOLLET, Pierre-Louis, Histoire de l’énergie hydraulique, Presse des Ponts et Chaussées, 2005

Guide pour le montage de projets de Petite hydroélectricité. 2003. ADEME.

Actes du Forum de Sarré 2003, FFAM, 2004, Droits d’eau et propriété des ouvrages hydrauliques, par Me Xavier Larrouy Castera.

BOUCHARD, Annie, GAU, Gérard, Défense des moulins hydrauliques, 2004.

GAU, Gérard, Les Moulins à eau, Droits, devoirs, défense, 2005.

Code de l’environnement et textes législatifs.

LEMA du 30/12/2006 et rapport Dambrine voir http://www.moulinsdefrance.org/ffam/nouveautes.html

 

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