Le droit
d’eau : Histoire et Perspectives
Résumé
d’un article de 6 pages, par Annie Bouchard, Présidente de la FFAM
La nécessité qu'a un
nouveau moulin hydraulique de disposer d'une prise d'eau va se trouver soumise
à une autorisation administrative, conformément à un « règlement d'eau »
destiné à préserver la conservation des cours d'eau en imposant certaines
contraintes. Les moulins antérieurs à la Révolution ont pu faire l'objet soit
d'un règlement d’eau judiciaire à la suite de litiges entre différents
usagers de l’eau, soit d’un règlement d’eau administratif à la demande
expresse du propriétaire souhaitant augmenter la puissance de son installation
hydraulique. La majorité des moulins, notamment ceux situés en plaine, fut régularisée
au cours du XIXe siècle. Dans la plupart des demandes récentes, il semble que
les agents de la Police des eaux aient tendance à faire une lecture extrême du
code de l’Environnement. Pourtant, quand un propriétaire de moulin demande
l’autorisation de réinstaller une roue, une turbine ou des vannes, il est
difficile de soutenir que les ouvrages sont abandonnés, ou de prétendre que
leur remise en état va nuire à la salubrité publique ou menacer la sécurité
publique…
Droit de riveraineté.
Le
lit d’une rivière non domaniale appartient aux riverains, chacun pour moitié,
avec droit d’usage dans les limites déterminées par la loi, la contrepartie
étant l’obligation d’entretien. Le droit de riveraineté permet au riverain
de puiser de l’eau pour l’irrigation, de pêcher, d’extraire du sable, des
pierres, et de se clore. Le riverain est tenu de n’user de son droit que de façon
« normale » et sans porter atteinte aux droits concurrents des
autres riverains. L’article 644 du Code civil (inspiré de l’article 206
de la Coutume de Normandie) fait en outre obligation à celui qui use de l’eau
de la restituer à son cours naturel. Composante du droit de riveraineté, le
droit d’usage préférentiel est une équitable compensation aux contraintes
et aux risques liés à la situation au bord de l’eau. L’eau passant par le
moulin est détournée de son cours naturel en application de ce droit
d’usage. Le propriétaire du moulin est responsable, y compris pénalement, de
la manœuvre de ses vannes et l’état d’entretien des canaux doit être tel
qu’il ne porte pas préjudice au libre écoulement des eaux.
Les canaux ne sont
pas des cours d’eau. Les différents éléments
hydrauliques du moulin ont à l’origine été généralement implantés sur
des terrains appartenant au propriétaire du moulin. Le moulin, pièce centrale,
et tout ce qui s’y unit artificiellement (déversoirs, biefs, vannes, canaux)
forment un tout dont la fonction est indivisible du point de vue hydraulique.
Cependant, au cours des siècles, des démembrements de propriété et la réalisation
de nouveaux cadastres ont pu modifier les limites d’origine. Les
canaux creusés de main d’homme pour le service de l’usine étant dépendances
du moulin, ils sont privés contrairement à la rivière. A défaut de preuve
contraire, la présomption de propriété (canal d’amenée, canal de fuite,
bief, et leurs francs-bords) vaut au profit du propriétaire du moulin. A la
charge exclusive de l'usinier, leur entretien lui incombe même s’ils
traversent des terrains appartenant à un tiers.
VERS
UNE NOUVELLE LÉGISLATION SUR L’EAU
Durant des siècles, la gestion des milieux aquatiques fut
essentiellement hydraulique.
L’Office international
de l’eau, il y a quelques années, s’était efforcé de recenser le nombre
de textes qui, de près ou de loin, touchaient au droit de l’eau et il avait
retenu le nombre de 1 700 textes qui, pour la plupart, sont toujours
dispersés malgré l’existence du nouveau code de l’environnement dans
lequel on retrouve la plupart des principales dispositions concernant le droit
de l’eau, autrefois incluses dans le code rural. La loi nous rappelle que les
moulins n’ont pas été créés pour l’agrément d’une propriété mais
pour la production d’énergie…
C’est en 1865 que l’on
assiste à un premier classement de cours d’eau soumis à obligation d’échelles
à poissons, sorte d’« escalier » destiné à permettre aux
poissons migrateurs de remonter les cours d’eau pour frayer. Cette mesure fut
prise pour lutter contre la disparition du poisson en tant que ressource économique
importante à l’époque pour l’alimentation des populations rurales.
La loi sur le régime des
eaux de 1898 définit les droits et obligations des riverains, codifiés dans le
Code civil, que l’on retrouve aujourd’hui dans le Code de l’Environnement
Titre 1er Eaux et Milieux aquatiques (notamment Chapitre V,
Dispositions propres aux cours d’eau non domaniaux).
Un règlement
d’administration publique de 1905 et une circulaire ministérielle du 1er juin
1906 arrêtent les bases de la Police des cours d’eau ; ces textes,
toujours en vigueur, sont repris au niveau départemental sous forme d’un règlement
de police des cours d’eau signé par les préfets dans le courant du second
semestre 1906.
S’agissant plus
particulièrement de ce que l’on appelle l’usage hydraulique, l’usage
industriel, c’est, pour l’essentiel, un usage qui est régi par la loi sur
l’énergie hydroélectrique du 16 octobre 1919. Texte de référence,
les textes suivants n’ont fait qu’en préciser les termes et les adapter à
l’évolution du monde moderne, notamment en matière de pollution et de libre
circulation des espèces piscicoles migratoires.
La plus grande partie des
« vieux moulins », d’une puissance inférieure à 150 kW, ne sont
pas visés par la Loi de 1919. Qu’ils aient bénéficié d’un règlement
d’eau antérieur à 1919 ou qu’ils soient fondés en titre, ils sont autorisés
sans formalités et sans limitation de durée. Contrairement aux autorisations
accordées dans le cadre de la loi de 1919, leurs droits d’eau sont cessibles,
ils suivent le moulin en cas de changement de propriétaire.
Texte fondateur des
Agences de l’eau et des taxes pollueurs/payeurs, la loi du 16 décembre 1964
est qualifiée de texte « qualité de l’eau ».
Dans la décennie
1980/1995, des analyses de plus en plus fines se sont développées quant à
l'ensemble des questions liées à l'équilibre général à maintenir ou à rétablir
dans les écosystèmes en vue de permettre un « développement durable »,
malgré la croissance des besoins en 'eau. Avec l’arbitrage entre pêche et
production électrique, un débat sur les conséquences environnementales des aménagements
hydrauliques est apparu.
Dans la plupart des pays développés,
et notamment en France, tout un corps de textes législatifs et réglementaires
a été établi dans ce but. La loi-pêche du 29 juin 1984, venue compléter les
dispositions déjà existantes du code rural, organise la gestion des milieux
aquatiques et des ressources piscicoles. Ayant pour objectif la préservation
des poissons et la protection de leur habitat, elle pose, au travers de la
question de la « libre circulation » des poissons, le problème des
moulins et de l’entrave que sont supposés constituer dérivations et seuils
assimilés à tort à des barrages.
La loi du 3 janvier
1992, intitulée Loi sur l’eau, reprend l’ensemble des réglementations en
vigueur en les élargissant (maîtrise de la gestion quantitative de l’eau,
pollution). Elle affirme la priorité de l’intérêt général sur les intérêts
individuels, et renforce les pouvoirs des collectivités territoriales quant à
la gestion des rivières.
La nouvelle législation
impose le maintien d’un débit minimal dans tous les cours d’eau, ainsi que
des dispositifs assurant la circulation des poissons migrateurs. Si toute
nouvelle installation doit naturellement intégrer cette dimension nouvelle,
souvent ignorée ou négligée dans le passé, de nombreuses installations
existantes sont susceptibles d’être considérées inadaptées à ces
nouvelles règles. La loi ne prévoit pas d’indemniser les propriétaires.
Ainsi, de la même façon que l’usinier du XIXe siècle avait à sa charge les
travaux de « mise aux normes » consécutifs au règlement d’eau de
son moulin, les propriétaires d’aujourd’hui ont à leur charge les travaux
résultant de l’application du code de l’Environnement. Cependant, il est
admis que les propriétaires de moulins, n’en tirant plus de revenus, puissent
bénéficier de subventions.
La Directive cadre européenne
du 23 octobre 2000 transposée en droit français par la loi du 21 avril 2004
confirme les principes de gestion institués par les lois sur l’eau françaises
de 1964, 1984 et 1992, et fixe des objectifs écologiques, une méthode de
travail et un calendrier visant à atteindre en 2015 le bon état de la
ressource en eau dans les pays de l’Union.
La loi sur l’eau et les
milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006 intègre les directives conformes
au droit européen quant à l’usage de l’eau, la qualité de l’eau potable
et celle des poissons, tandis que le droit de riveraineté est de plus en plus
encadré par la réglementation. Quant à la jurisprudence, la pérennité des
droits fondés en titre y est affirmée de manière constante.
Toutefois, si la loi sur
l’eau privilégie le milieu aquatique, la loi de programme sur l’énergie du
13 juillet 2005 définit des mesures favorables à une optimisation de l’énergie
hydraulique. Et surtout le rapport de Fabrice Dambrine, haut Fonctionnaire à la
Direction générale de l’Energie au MINEFI, rendu en mars 2006, après avoir
affirmé que l’hydroélectricité constitue un enjeu majeur au regard de la
production d’électricité par les énergies renouvelables, propose diverses
pistes de réflexion et d’action pour permettre une valorisation optimale du
potentiel hydroélectrique français, dans un nécessaire compromis entre les
divers usages de l’eau.
CONCLUSION
Aujourd’hui
se trouve effacé de la mémoire de la plupart de nos concitoyens un ensemble
d’aspects liés à la présence de l’eau courante en tant qu’énergie dans
une vallée. Les moulins ont fait partie de notre monde durant un millénaire.
Lieux de vie par excellence au cours des siècles, ils peuvent continuer à
vivre. En effet, même s’ils ne sont plus des usines, leurs droits à utiliser
l’eau n’ont pas disparu… Chaque moulin remis en état contribue à la
logique d’un environnement respecté et participe à la vie de l’eau. Leur
sauvegarde passe par la remise en fonctionnement des systèmes hydrauliques.
A l’heure où la société
s’inquiète de son environnement et où les ressources énergétiques
commencent à s’épuiser, il est plus que jamais essentiel de préserver le
potentiel de production hydroélectrique de faible puissance dont l'histoire, on
l’a vu, remonte très loin dans le passé, ainsi que les petits aménagements
hydrauliques qui sont les héritiers de cette histoire. Ils doivent être protégés
et restaurés, voire reconstitués, non seulement pour la conservation du
patrimoine et du savoir-faire de nos anciens, mais également et surtout comme
source d’énergie qui, pour négligeable qu’elle semble, n’en est pas
moins réelle… Ils peuvent aujourd’hui, tout en gardant leur âme et leur
image patrimoniale, produire de l’électricité ne serait-ce que pour un usage
privé, avec la satisfaction de contribuer à la protection de
l’environnement.
D’après exposé d’Annie
Bouchard, 19e Rencontres historiques du Léon à Lesneven (Finistère), 7
octobre 2006
Bibliographie
BOUCHARD, Annie, Il
était une fois sur la Guigne, Ed. du Lys, Caen. 1997. épuisé.
BOUCHARD, Annie, Les
moulins et l’eau, ARAM Basse-Normandie, 2002.
Album
du Congrès FFAM 2000 à Blainville-sur-Mer (Manche), ARAM Basse-Normandie/FFAM, 2000, exposé Annie
Bouchard.
VIOLLET, Pierre-Louis, Histoire
de l’énergie hydraulique, Presse des Ponts et Chaussées, 2005
Guide
pour le montage de projets de Petite hydroélectricité. 2003. ADEME.
Actes
du Forum de Sarré 2003,
FFAM, 2004, Droits d’eau et propriété des ouvrages hydrauliques, par Me
Xavier Larrouy Castera.
BOUCHARD, Annie, GAU, Gérard, Défense des moulins hydrauliques, 2004.
GAU, Gérard, Les
Moulins à eau, Droits, devoirs, défense, 2005.
Code de l’environnement et textes législatifs.
LEMA du 30/12/2006 et rapport Dambrine voir http://www.moulinsdefrance.org/ffam/nouveautes.html