Les Moulins à blé, mus par des Machines à feu, établis à Paris dans l'ancienne Isle des Cignes.

Résumé d’un article d 4 pages, avec plans, par Jean-Paul Favreau

 

Arrêt du Comité-Provisoire des Subsistances. (1789)

Le Comité considérant que les Moulins qui approvisionnent ordinairement la Capitale, ont été longtems dans l'inaction depuis l'hiver dernier ; que ce n'est que depuis que la récolte est faite, qu'ils sont alimentés ; que les eaux étant fort basses dans la saison actuelle, leur produit suffit à peine à la consommation journalière : que d'après ces observations vérifiées, on ne peut pas se promettre d'ici à l'hiver, un approvisionnement de farine qui puisse garnir la halle dans le cas où les gelées suspendroient seulement quelques jours l'activité des Moulins ; que Paris, au moment de jouir de la plus abondante récolte, est exposé par le seul défaut de mouture, à la plus affreuse disette, si l'hiver prochain est aussi rigoureux que le dernier ; qu'enfin, il est de la plus grande importance de prendre les mesures nécessaires pour assurer la fabrications des farines par des moyens qui soient indépendans de tout événement.

A arrêté que M. PERIER, d'après ses offres, seroit chargé, premièrement de faire exécuter trois cents Moulins à bras, semblables à ceux qui sont établis à l'Ecole Militaire, s'il est possible de se procurer la quantité des Meules nécessaires, d'ici au mois de Décembre prochain ; ces moulins réunissant l'avantage d'occuper utilement un grand nombre de citoyens, que la cessation des travaux pendant l'hiver réduit à la plus grande misère.

Secondement, de faire construire dans l'Isle des Cignes, un moulin mu par deux machines à feu et composé de douze moulages, capables de moudre au moins sept cents setiers de blé par vingt-quatre heures (environ 78000 kg).

M. PERIER fournira un devis estimatif de ces deux établissemens.

Et pour le paiement de ses dépenses, il lui sera délivré des assignations sur le Domaine de la ville, payables en Avril, Août et Décembre de l'année mil sept quatre-vingt dix.

Description du Moulin. (1790)

... L'Isle des Cignes a paru le local le plus favorable, par la facilité de recevoir les blés expédiés par Rouen ( Cette île était située au niveau du pont d'Iéna).

... Un bâtiment de 128 pieds de long sur 40 de large (42m x 13m), contient douze Meules. Trois étages de planchers, sont destinés à recevoir les Meules au premier, les bluteries au second et les tarares au troisième.

... Deux Machines à feu de rotation, donnent chacune le mouvement à six Meules. Ces Machines sont garnies chacune de deux chaudières pour se suppléer l'une à l'autre dans des moments de réparations.

Une pompe mue par la Machine même, élève l'eau de la Rivière par un tuyau d'aspiration prolongé fort au dessous des plus basses eaux et des plus fortes glaces, alimente ces Chaudières, et fournit pour l'injection l'eau froide nécessaire au jeu de ces Machines.

Le Cilindre à vapeur de cette Machine à feu, a 36 pouces (97cm) de diamètre intérieur. Le piston qu'il renferme, met en mouvement  un Balancier ou Fléau de charpente, dont le bras de levier est fixé à deux manivelles qui communiquent par des rouages le mouvement aux Meules et leur impriment une rotation de 60 à 80 tours par minute.

Pour rendre cette rotation parfaitement uniforme, on a fixé sur les axes des manivelles deux roues de fer, d'un poids considérable et de vingt pieds de diamètre (6,50m) qui font l'office de volant ; et les dispositions de cette machine, sont telles que l'ont peut à volonté accélérer ou diminuer son mouvement.

La même Machine fait tourner les Bluteries, les Tarares et monte les Sacs à tous les étages du Bâtiment, en même tems qu'elle fait mouvoir les Meules.

La première expérience de ces Moulins, a été faite le 30 du mois dernier, en présence de M. le Maire et de plusieurs Membres de la Municipalité.

Six Meules seulement qui ont été mises en activité, ont moulu en cinq heures, soixante-six setiers de blé, ce qui fait pour chaque meules par vingt-quatre heures, cinquante-deux setiers deux tiers, et pour la totalité de l'établissement, six cents trente deux setiers (environ 68000 kg) par jour. Il est probable que le produit de ces Moulins sera plus considérable lorsque les Meules seront parfaitement EN MOULAGE.

Mais en partant seulement de ce résultat, les 12 Meules fourniront en mouture parfaite, c'est-à-dire, A MOUDRE ET REMOUDRE au moins 200 sacs du poids de 325 liv. par jour (soit 32000 kg)... et par année en ne comptant que trois cents jours de travail ...

                                                                                      Paris, le 13 Décembre 1790.

 

Expériences faites sur le Moulin par le Citoyen Ovide. (1794)

Le vingt sept Ventose expérience faite par le Cen Ovide avec de la tourbe de Mennessy (Mennecy 91), sur les moulins à vapeur de l'isle des Cygnes. M'étant assuré de 20 mesures de cette tourbe, la mesure pesant 41 (livres) formant un total de 820 (livres). Commencé l'opération à 8 heures 20 minutes du matin et fini à 9 heures 25 minutes. Cette épreuve a été faite sur un seul fourneau qui a donné le mouvement à quatre jeux de meules ; chaque jeu a réduit en farine deux quintaux de bled (par heure) finis selon la Loi ; le balancier donnoit 8 à 9 coups de piston par minute.

Autre expérience faite le 25 ventose avec la tourbe de Mennessy. Sur deux fourneaux. Ils consomment 14 quintaux de tourbe par heure, le balancier donne 8 à 9 coups de piston par minute et fait mouvoir six jeux de meules ; chaque jeu réduit en farine deux quintaux de blé (par heure) fini à l'extraction de 18 Livres de son par quintal .

Autre expérience faite avec le charbon delsise. Les deux fourneaux consomment en 24 heures cinq voies de charbon ; le mouvement du balancier est de 13 à 14 coups par minute. Chaque jeu de meules réduit en farine deux quintaux et demi de blé (par heure) fini à l'extraction de 18 L de son par quintal.

Ce document doit dater de mars 1794. D'après ces mesure, en un jour, le moulin transforme 31000 kg de blé en  farine.

 

Puissance et production du moulin.

A partir des mesures du citoyen Ovide, j'estime pour chaque machine une puissance maximale de 50 kW, et un rendement de l'ordre de 2,5% (les premières machines à feu avaient un rendement de 1 % et vers 1890 les machines à vapeur atteignaient 10 %). Les deux machines entraînent douze meules de diamètre 1,95m à une vitesse de 60 à 95 tours par minute. En 24 heures elles consomment 12 tonnes de charbon ou 30 tonnes de tourbe et transforment en farine, finie suivant la loi, 30 tonnes de blé pouvant nourrir 50 000 parisiens.

 

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