L’Entretien des cours d’eau non domaniaux :

 des droits et devoirs des riverains

 à l’intervention des collectivités publiques

Résumé d’un article de 3 pages, de Xavier Larrouy-Castéra, Avocat à la Cour d'Appel de Toulouse  et de Pau. Spécialiste en Droit de l'Environnement et Stéphane Crozet, cabinet Bruno Ledoux Consultants

(Deuxième partie)

Les propriétaires riverains de cours d’eau non-domaniaux, en contrepartie des avantages qu’ils retirent de la proximité de la rivière (en terme d’irrigation, de pêche, d'extraction de matériaux…; cf. J. Debeaurain, Les cours d'eau non domaniaux, Le Trait d'Union Mars 2001, p.30), supportent théoriquement - et d’un point de vue légal - la charge de l’entretien des berges et du lit de celle-ci.

Toutefois, en pratique, les riverains délaissent l’entretien des cours d’eau. Les causes en sont connues : perte de l’utilité de ces espaces pour le monde agricole, extension des friches en bord de cours d’eau, urbanisation croissante des berges, manque d’information des propriétaires quant aux obligations qui leur incombent, etc..

Cette situation a conduit les collectivités publiques à se substituer de plus en plus fréquemment aux particuliers.

Toutefois, l'intervention des collectivités pose essentiellement le problème de l'accès aux propriétés privées et plus particulièrement celui du passage des engins d’entretien.

L'évolution des méthodes de curage a conduit à instituer une servitude de libre passage des engins mécaniques sur les berges des cours d'eau non domaniaux par un décret du 7 janvier 1959. L’article 1er dudit décret prévoyait que les riverains des cours d’eau non navigables ni flottables étaient “ tenus de permettre le libre passage, soit dans le lit desdits cours d’eau, soit sur leurs berges, dans la limite d’une largeur de quatre mètres à partir de la rive, des engins mécaniques servant aux opérations de curage et de faucardement ”. Cette servitude présentait ainsi un caractère permanent, assimilable a une servitude non aedificandi et destinée à permettre à tout moment le passage des engins mécaniques.

Il faut aussi relever que, fort opportunément, la loi du 2 février 1995, avant même la jurisprudence “ Perreaut ”, est venue instituer une servitude de libre passage pour les engins mécaniques strictement nécessaires à la réalisation de travaux qui doit s'exercer “ autant que possible en suivant la rive du cours d'eau et en respectant les arbres et les plantations existants ”. Cette servitude, fixée à l'article L. 215-19 du Code de l’environnement (article 119 du Code rural) oblige les propriétaires, pendant la durée des travaux, à laisser passer sur leurs terrains les fonctionnaires et agents chargés de la surveillance, ainsi que les entrepreneurs et les ouvriers.

La loi Bachelot, là encore, est venue préciser que cette servitude s'applique dans la limite d'une largeur de 6 mètres (art. 58).

Surtout, la loi Bachelot institue une nouvelle servitude de passage - dont la mise en œuvre reste facultative - pour permettre l'exécution, l'exploitation et l'entretien des opérations visées à l'article 31 de la loi sur l'eau (L. 211-7), dont la liste est du reste élargie et permet dorénavant aux collectivités d'intervenir notamment pour "l'exploitation, l'entretien et l'aménagement d'ouvrages hydrauliques existants". Le projet d'institution de la servitude est soumis à enquête publique, simultanément à la DIG, ce qui présente un double intérêt : son institution n'a pas pour effet de rallonger les délais de procédure et elle permet de briser les éventuelles résistances de propriétaires privés pour des opérations d'intérêt général.

On assiste donc à une généralisation de la servitude de passage qui n'est plus confinée au curage et entretien des cours d'eau (article 119 du code rural; L. 215-19).

Cependant, à la différence de l'article 119, il s'agit d'une servitude facultative, et surtout donnant expressément droit à indemnité. Le texte prévoit en effet que " les propriétaires assujettis à cette servitude de passage ont droit à une indemnité proportionnée au dommage qu'ils éprouvent .

Les responsabilités encourues par les collectivités publiques maîtres d’ouvrage de travaux en rivière

L’intervention des collectivités publiques dans le domaine de l’entretien des cours d’eau non-domaniaux, et plus généralement dans celui de la gestion intégrée de l’eau, expose logiquement celles-ci à de nouvelles responsabilités (B. Drobenko, L. Le Corre, S. Lamothe, Le contentieux des inondations : les responsabilités, décembre 1999).

On manque toutefois de recul, et les retours d’expérience sont insuffisants, pour dégager de grands principes de responsabilité. Seul un examen détaillé de la jurisprudence permet d’en déterminer certaines orientations.

A ce titre, il faut distinguer deux situations : le cas où la responsabilité de la collectivité est engagée du fait de l’inaction de celle-ci (absence de travaux) alors que les circonstances (présence d’embâcles, etc.) semblaient le commander ; et le cas où sa responsabilité est engagée pour exécution de travaux.

Responsabilité en cas d’inaction

Lorsque des dégâts sont occasionnés à des propriétés riveraines par le passage d’une crue dont les effets ont été aggravés par la présence d’embâcles dans le lit ou sur les berges du cours d’eau ou en raison d’un défaut d’entretien, la responsabilité des dommages incombe le plus souvent à l’Etat.

La responsabilité de l'Etat repose sur une idée simple : c'est au préfet d'assurer la police des cours d'eau non-domaniaux (article 103 du Code rural ; article L. 215-7 du Code de l’environnement). Il peut par arrêté spécial et temporaire, prescrire l'exécution d'office du curage.

C’est ce qui ressort d'un arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux du 22 mars 1999 (Gianesini, requête n°96BX01356), qui précise que la seule circonstance qu’un syndicat intercommunal aurait pour mission l’entretien d’un cours d’eau dont le débordement a entraîné un sinistre à une exploitation agricole “ n’est pas de nature à engager sa responsabilité dès lors qu’il appartenait au préfet, autorité de l’Etat, seul chargé en vertu des articles 103 et suivants du code rural, de la conservation et de la police des cours d’eau non-domaniaux, de prendre les dispositions utiles pour veiller au curage dudit cours d’eau ”. Ainsi, le simple fait qu’un maître d’ouvrage public se soit doté de la compétence en matière d’aménagement et d’entretien des rivières ne permet pas, à priori, de retenir sa responsabilité en cas de carence dans l'entretien.

Il convient toutefois de rester prudent quant à l’interprétation de cet arrêt, dans la mesure où il constitue pour l’instant une décision isolée. Il est donc délicat d’en tirer les principes d’une jurisprudence fermement établie.

Responsabilité pour exécution de travaux

Il en va par contre autrement si les dommages ont été causés par la réalisation des travaux d’aménagement et d’entretien, car ici le fait générateur du dommage trouve sa source dans l’exécution de travaux publics. Le régime de responsabilité applicable au maître d’ouvrage dépend ensuite de la qualité de la victime : 

-     soit cette dernière a bénéficié des travaux exécutés par le maître d’ouvrage, et elle est considérée comme un usager du “ service public ” d’aménagement et d’entretien du cours d’eau,

-     soit ce n’est pas le cas, et elle est considérée comme un tiers à la réalisation des travaux.

Dès lors, deux régimes de responsabilité sont susceptibles de s’appliquer :

-     si la victime a la qualité d’usager, la personne publique peut être poursuivie sur le fondement de la responsabilité pour faute, sa faute étant présumée, ce qui entraîne un renversement de la charge de la preuve : c’est le maître d’ouvrage qui doit faire la démonstration qu’il n’a pas eu de comportement anormal ou critiquable, la victime n’ayant qu’à prouver le dommage.

-         si la victime a la qualité de tiers, le régime applicable est celui de la responsabilité sans faute :

ce régime est plus favorable à la victime dans la mesure où il lui suffit de prouver l’anormalité du dommage qu’elle a subi pour se voir indemniser, l’absence de faute de la part de la personne publique étant sans incidence sur la reconnaissance de sa responsabilité.

Les mêmes principes de responsabilité s'appliquent s'agissant des ouvrages de lutte contre les inondations. Par principe, la protection contre l’action naturelle des cours d’eau, domaniaux ou non domaniaux, est à la charge des riverains qui doivent prendre toutes mesures utiles pour lutter contre les inondations (CE 6 mars 1964, Sieur Dumons, Recueil Lebon, p. 164).

Mais la responsabilité de l’Etat peut être retenue si des ouvrages publics ont accentué ou causé des crues génératrices de dommages ( CE 4 avril 1962, Ministre des travaux publics c/ Société Chais d’Armagnac, n° 49258, Leb. p. 245).

Note : [1] Cet article s'inspire d’une précédente publication dans la revue "Le trait d'union de l'expertise agricole foncière immobilière et forestière", n° 3/4 novembre 2002, p. 76 et a été mis à jour pour intégrer notamment les dispositions nouvelles issues de la loi dite "Bachelot" du 30 juillet 2003 sur les risques naturels et technologiques

 

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