Puissance des moulins à vent à farine.

Résumé d’une étude, débutée dans le numéro 58 d’avril 2004, 

avec notes de calcul et graphiques, par Jean-Paul Favreau.

Courriel : favreaucohenner@wanadoo.fr

1 Le cheval comme unité de puissance.

Lorsqu'on a défini à 75 kgm/s (0,736 kw) le cheval-vapeur (symbole ch, CV étant réservé aux chevaux fiscaux) on a voulu faire l'équivalence avec une bête robuste et non avec la Rossinante de Don Quichotte. Aussi lisant qu'un moulin entraînant une meule de diamètre 1,40 m à 120 t/mn développe une puissance de 15 ch je reste stupéfait... Quinze bonnes bêtes pour entraîner cette meule! Tout aussi stupéfiant ce moulin dont les ailes fournissent paraît-il 30 kw  mais où il n'en reste plus que 12 sur l'arbre moteur les 18 autres soit 60% étant perdus dans les paliers et les engrenages. Même avec du matériel rustique, les pertes doivent se situer autour de 10%. Mais supposons que ce soit bien 60%, alors les 18 kw transformés en chaleur auront mis le feu au moulin dès la première mise en service.      

2 Puissance nécessaire pour entraîner une meule.

Après lecture de ces chiffres extravagants, il m'a paru nécessaire de prendre des repères. Une  meule requiert la même puissance, qu'elle soit entraînée par un manège, un moulin à eau, un moulin à vent ou un moteur électrique. En extrapolant à partir d'un moulin à eau, j'ai cherché l'ordre de grandeur des puissances nécessaires pour mouvoir les différentes meules en fonction de leur diamètre et de leur vitesse. La puissance nécessaire est égale au produit du couple résistant multiplié par la vitesse de rotation; et je calcule que le couple résistant doit être, au premier ordre, proportionnel au cube du diamètre.

Voici ces approximations exprimées en ch.

diamètre    couple

45 t/mn

60 t/mn

90 t/mn

120 t/mn

0,65 m        1,2 mkg

 

0,1  ?a

 

 

0,80 m        2,2 mkg

 

0,2  ?b

 

 

1,00 m        4,4 mkg

 

0,4

0,5

0,7

1,20 m        7,5 mkg

 

0,6

0,9

1,3

1,40 m         12 mkg

 

1

1,5

2

1,60 m         18 mkg

 

1,5

2,2

3

1,80 m         25 mkg

 

2,1

3,2

4,3

2,00 m         35 mkg

2,2

3

4,4

 

2,20 m         46 mkg

3

4

6

 

?a) soit la puissance d'un homme travaillant avec les bras.

?b) deux hommes ou un âne.

 

3 Base du calcul de puissance envisagé.

Dans la revue Moulins de France d'avril 2004, j'ai présenté un calcul de la torsion des ailes. Pour un élément d'aile de moulin, m'appuyant sur des résultats d'essais en soufflerie faits au début du XXème siècle, j'ai pris F=0,08 sin i SV2  (F: force en kgf approximativement perpendiculaire à la surface. S surface en m2. V et i: vitesse et angle d'incidence du vent sur l'élément d'aile en mouvement). Tout le calcul de torsion s'appuie sur cette formule et, si ce que j'ai lu est exact, les résultats concordent avec les mesures faites sur des maquettes d'ailes par un dénommé Smeaton en 1759 pour un même coefficient de vitesse de 2,5. Je vais maintenant faire un calcul de puissance en m'appuyant sur cette formule.

4 Moulin choisi pour le calcul.

- quatre ailes rectangulaires planes.

- envergure: 20m.

- distance de la base de l'aile au centre: 2m.

- largeur de l'aile: 2m.

- vent: 5 à 12m/s.

- torsion de l'aile: 14,3° calculée pour un coefficient de vitesse 2,5.

- défauts de torsion de l'aile de l'ordre de 3° faisant perdre 5% de couple moteur positif (voir §6).

- vitesse de rotation maximale des meules: 125 t/mn.

- rapport  vitesse meule / vitesse rotor : 7,8.

- vitesse minimale du rotor 12 t/mn, pour un vent de 5 m/s et un coefficient de    vitesse 2,5.

- vitesse maximale du rotor: 125 /7,8 = 16 t/mn

- moulin à farine équipé de deux paires de meules: un seul jeu en service par vent faible et les deux par bon vent.

5 Force, couple et puissance. (voir croquis 1, 2 &3)

Soient Va la vitesse du vent considérée parallèle à l'axe du rotor et c le coefficient de vitesse. La vitesse du bout de l'aile est égale à c Va.

Pour faire le calcul découpons l'aile en tronçons suffisamment courts pour admettre que la vitesse de l'aile soit la même en tout point d'un tronçon.

A la distance r = xR de l'axe, le vent fait avec le plan du rotor en mouvement un angle a tel que   tg a = 1/xc et sa vitesse par rapport à l'aile est V = Va (1+c2x2)1/2.

Si en ce point la torsion de l'aile est t, l'angle d'incidence du vent sur la face de l'aile est:   i = a – t.

Force. Sur un tronçon de surface S situé à la distance r de l'axe le vent applique une force F = 0,08 sin i SV2 à peu près perpendiculaire à ce tronçon    F en kgf.

La force utile qui fait mouvoir l'aile est:  Fu = F sin t 

Couple. Pour ce tronçon Fu donne par rapport à l'axe un couple égal à r Fu. Le couple C de l'aile est égal à la somme des couples de tous les tronçons.  C en mkg.

Puissance. Si l'aile tourne à n tours par minute, sa vitesse angulaire en radians par seconde est:   w = 2 p n/60. La puissance de l'aile est:  P = C w      P en kgm/s

Multiplier cette valeur par le nombre d'ailes pour avoir la puissance du moulin (en supposant que l'action du vent sur une aile ne soit perturbée par les autres ailes).

6 Couple moteur pour une vitesse constante du vent.

a) Action du vent sur la toile: couple positif.

Ce couple varie peu avec la vitesse de rotation.

b) Action du vent sur la tranche de l'aile: couple négatif.

Les mesures faites en soufflerie auxquelles je me réfère s'appliquent à des plaques minces. Sur une aile la tranche et en particulier la partie de la vergue en sur épaisseur en avant de la toile ne peut pas être négligée. Pour le calcul de la puissance je l'ai considérée comme une aile négative. Le couple négatif croît fortement avec la vitesse de rotation et ne diminue pas quand on réduit la toile.

c)  Couple moteur total: différence entre ces deux couples.

Voir graphique "couples pour un vent de 5 m/s et toile 100%".

7 Couple résistant.

Il provient principalement des forces de cisaillement des grains disposés entre les meules. Si les meules sont correctement alimentées je pense que ce couple varie peu pour une même mouture.

Dans ce calcul je considère que le couple résistant total est constant.

Ce couple résistant constant pour un jeu de meules est équilibré par le couple moteur, même dans les moins bonnes conditions, donc même quand les ailes entoilées à 100% tournent à 12 t/mn sous le vent le plus faible de 5m/s. Dans ce calcul je trouve 126 mkg. Pour deux jeux de meules identiques je prends 252 mkg. 

8 Entoilage des ailes.

Le graphique "couples pour toile à 100%" présente sous forme de courbes les couples moteurs obtenus sur le rotor sous les différents vents pour des ailes entoilées à 100%. Les couples résistants sont représentés par les lignes horizontales 126 et 252 m kg. Les intersections des courbes avec les horizontales donnent les points d'équilibre où la vitesse de rotation va se stabiliser, soit:

 

vitesse du vent en m/s:

5

6

7

8

vitesse du rotor en t/mn pour une meule:

12

18

22

 

"          "        "     "   pour deux meules:

 

 

16

22

 

Si l'on ne veut pas dépasser 16 t/mn, pour une meule à partir de 6 m/s il faut réduire la toile pour ramener le couple moteur à 126 mkg.

Le moulin peut entraîner deux meules à partir d'un vent de 7m/s.

Voici les entoilages calculés en supposant que la toile reste rectangulaire (ce qui est le cas pour les ailes Berton).

 

 

une meule

deux meules

vent m/s

5

6

7

8

9

10

11

12

7

8

9

10

11

12

toile %

100

88

64

50

41

34

30

26

100

76

62

51

44

38

 

9 Démarrage et arrêt du moulin.

Au démarrage, le couple moteur est supérieur au couple résistant d'au moins 33%. Le moulin à vent est donc une machine qui démarre bien en charge.

Pour arrêter le moulin sous le vent il faut un frein puissant. Si par inadvertance les ailes sont restées entoilées à 100% par un vent de 12 m/s, le couple nécessaire sera près de 1000 mkg. Si le diamètre de la jante du frein est de 2,5 m, le point d'ancrage de la sangle supportera une force de 1000 mkg /1,25 m = 800 kgf.

10 Autorégulation du moulin par vent stable.

A vitesse de vent constante, en fonctionnement normal, le moulin se régule seul:

a)      si le couple résistant augmente, la vitesse du rotor baisse et le couple moteur augmente. Il se produit  un nouvel équilibre pour une vitesse  plus faible. Ce moteur ne cale pas. Le moteur diesel non plus, mais lui a besoin d'un régulateur.

b)      si le couple résistant diminue la vitesse du rotor augmente et le couple moteur diminue, d'où un nouvel équilibre pour une vitesse plus élevée.

Cette stabilité est due au couple négatif vu §6. Sans ce couple négatif, le tracé du couple moteur en fonction de la vitesse de rotation serait plus horizontal. Il serait plus difficile de trouver un point d'équilibre entre le couple moteur et le couple résistant. La machine risquerait de pomper.

Mais si l'on oublie d'alimenter les meules, le couple résistant va s'écrouler, et la vitesse peut devenir excessive pour la machine. De plus on risque l'incendie allumé par le frottement de meules mal équilibrées.

11 Régulation du moulin par vent variable.

Si le vent varie peu le moulin s'équilibre tout seul comme ci-dessus.

Quand le vent varie beaucoup il est nécessaire de régler la toile.

12 Puissance du moulin.

Voici la puissance du moulin calculée pour les différentes vitesses du vent.

 

 

une paire de meules

deux paires de meules

vent m/s

5

6

7

8

9

10

11

12

7

8

9

10

11

12

toile %

100

88

64

50

41

34

30

26

100

76

62

51

44

38

ailes   t/mn

12

16

16

16

16

16

16

16

16

16

16

16

16

16

ailes  C mkg

126

126

126

126

126

126

126

126

252

252

252

252

252

252

ailes   P  ch

2,1

2,8

2,8

2,8

2,8

2,8

2,8

2,8

5,6

5,6

5,6

5,6

5,6

5,6

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

meules t/mn

94

125

125

125

125

125

125

125

125

125

125

125

125

125

mles  C mkg

14,5

14,5

14,5

14,5

14,5

14,5

14,5

14,5

29

29

29

29

29

29

meules P  ch

1,9

2,5

2,5

2,5

2,5

2,5

2,5

2,5

5

5

5

5

5

5

 

J'ai considéré une perte de 10% du couple et de la puissance dans les engrenages et les paliers. Ainsi le couple moteur sur l'axe des meules est égal au couple du rotor multiplié par 0,9 puis divisé par le rapport des vitesses.

Si mes estimations du §2 sont bonnes, les meules auront un diamètre de 1,40m et il restera de la puissance pour faire tourner une bluterie et autres accessoires.

Pour le même moulin fonctionnant dans les mêmes conditions, mais avec des ailes vrillées linéairement (25,7° au centre et 9,8° à la périphérie) je trouve les couples et les puissances accrus de 7% soit une puissance maximale du rotor de 6 ch.

13 Validation.

En appliquant ce calcul à quelques moulins dont j'avais la taille des meules et les dimensions des ailes, il me semble que les résultats sont convenables. Mais si l'on augmente fortement la largeur des ailes ou leur nombre, j'ignore jusqu'où le calcul reste acceptable.

Si j'en avais les moyens, par des mesures, je chercherais à parfaire le tableau donnant les puissances nécessaires pour mouvoir les meules en fonction de leur diamètre et de leur vitesse. Alors, pour n'importe quel moulin, connaissant les matériels entraînés on en déduirait immédiatement la puissance.

 

2tr04n58