Les  moulins  à  bêtes de la Martinique    

Résumé d’un article de 4 pages, avec plans et photos, par Philippe BALLY  à qui l’on doit la reconstruction , fin 2002, du moulin à bête des « Rhums Cléments » à la Martiniqe

L’habitation-sucrerie a été pendant les deux premiers siècles de la colonisation des Isles d’Amérique, de 1650 à 1850, le système d’exploitation de la culture de la canne à sucre. Elle associe sur la même unité agricole, la culture de la canne et la fabrication du sucre, regroupant aux abords immédiats des champs, l’architecture domestique, la maison dite de Maître ou la grand-case  ainsi que l’unité de production.

La fabrication du sucre est un processus simple.

Elle consiste à extraire par pressage le jus de la canne ou suc ou encore vesou, canalisé vers un équipage de trois à six cuves demi sphériques chauffées dans la sucrerie par la bagasse, résidu de la canne débarrassée de son jus.

Au fur et à mesure de sa montée en température, le vesou est transvasé dans la chaudière suivante. L’évaporation, la concentration croissante et la cuisson du jus de la canne dans les chaudières successives, donne le sirop de batterie, dans lequel le saccharose se cristallise  par saturation forcée.

Ce mélange de sirop et de cristaux en suspension est ensuite transporté dans la  purgerie,  terme qui s’attache à un bâtiment où s’opère la dernière étape de la fabrication du sucre; il s’agit de purger le sirop de batterie des mélasses qui ne cristallisent plus.

La masse cuite est alors déposée  dans des  formes à sucre, poterie en forme d’entonnoir, par le fond desquelles, s’écoule dans des pots, le résidu de la mélasse.

C’est à partir de ce résidu, et par le jeu de la fermentation et de la distillation, qu’on obtient le rhum, tandis que des formes à sucre démoulées, on obtient les pains de sucre prêts à être consommés.

Les moulins à bêtes

Dès 1640, Daniel Trézel, issu d’une famille bourgeoise de Rouen, d’origine hollandaise, installe des moulins à bêtes en Martinique, élément premier de toute habitation car sans cette machine, rien n’est possible.

Mus par des bœufs, des chevaux ou des mulets, la traction animale, est la première source d’énergie utilisée pour suppléer la force humaine, le moulin à bêtes, est le système de pressage de la canne à sucre le plus ancien connu aux Antilles.

La structure du moulin, le bâti, consiste en un châssis tout en bois, composé de quatre poteaux primitivement plantés en terre, puis plus tard fichés dans des mortaises taillées à l’intersection de quatre soles déposées à même le terrain, tandis que les deux soles transversales embrassent la gouttière qui supportent les axes des trois rolles. L’arbre à pain (artocarpus altilis) dans le nord, le campêche (haematoxylon campechianum) et le poirier (tabebuia pallida) dans le sud de l’île, sont les essences principales utilisées pour la structure. 

Les trois rolles montés dans un plan vertical sont de bois dur, ils seront habillés plus tard d’un cylindre de métal rayé ou non. Le rolle du milieu généralement de diamètre plus important entraîne les deux autres par le jeu  de collerettes composées de dents en bois de campêche ou de bois d’inde, bois réputés pour leur dureté.

Dès la fin du XVIIe siècle, début XVIIIe, les rolles et les collerettes seront totalement en métal.

Les rolles reposent par l’extrémité inférieure de leur axe sur la gouttière.  Ils sont maintenus tant en haut qu’en bas, par des embases horizontales échancrées en leur milieu afin d’épouser la forme des axes.  Comme ces embases sont logées dans des mortaises creusées sur quatre entretoises  qui assurent l’écartement des poteaux, on peut régler l’écartement des rolles par un jeu de coins que l’on force plus ou moins dans l’espace des mortaises.

 Pour maintenir l’ensemble du bâti, huit pièces de contreventement, viennent étayer chacun des quatre poteaux en s’appuyant sur l’extérieur de la base horizontale.

Pas un élément métallique ne vient maintenir les différentes pièces de bois entre elles.

L’animal tourne autour du moulin, à environ 5 à 6 mètres de son axe, tirant par son attelage l’extrémité d’un « bras ». Ce dernier, est fixé par son autre extrémité au sommet de l’axe du rolle central, permettant à celui-ci de tourner, entraînant de ce fait les deux autres par le jeu de collerettes dentées.

La disparition des moulins à bêtes.

La conjonction de divers événements a entraîné au fur et à mesure des ans, la disparition progressive des moulins à bêtes : manque de main-d’œuvre après l’abolition de l’esclavage en 1848 ; introduction de la vapeur et  concentration de la production dans des usines centrales ; création dans les années 1860, d’organismes bancaires facilitant la mise à disposition de capitaux pour les investissements.

Aucun soin n’a été apporté à ces moulins par la suite et presque tous ont disparu.

Restaurations des moulins.

Le moulin des Rhums Clément, qu’une équipe de bénévoles a eu le plaisir de rénover à l’authentique, au cours du mois de novembre 2002 en est un bon exemple de restauration.

Grâce à  Jean-Claude Roubertou, collectionneur d’outils anciens des métiers du bois, qu’il expose dans son musée de Pleaux, et qui a accepté spontanément de nous céder une herminette, nous avons pu équarrir et travailler les pièces de bois « à l’ancienne ». Il a fallu choisir et abattre à la lune descendante, des arbres (du poirier local, tabebuia pallida) quelquefois centenaires pour trouver les sections de bois nécessaires.

Un autre de ces moulins se détache particulièrement. Celui des frères Jouan (Lorrain) qui fonctionne toujours, grâce à la passion de  Lucien et  Emile ainsi que de leurs descendants. Perpétuant la tradition , de génération en générations, tous  les samedis, ils s’adonnent à leur moulin .

Les moulins à bêtes retrouvent vie à la Martinique, ils   reprennent  dans les mémoires de ses habitants, la place à laquelle ils ont droit, celle d’objets, inanimés certes, mais combien chargés de l’histoire  des premiers siècles de la  culture de la canne à sucre

Sur le plan rendement, les moulins à bêtes extrayaient 5% du poids de  la canne, soit 50 litres de jus pour 100 kg de cannes, ce qui laissait pour un rendement moyen de 6% en richesse saccharine, environ 6 kg de sucre pour 100 kg de cannes. Il fallait 8 000 kg de cannes pour faire le millier  de livres de sucre soit une barrique de 500 kg.

Pour mémoire : Vers 1640, Daniel Trézel installe à la Martinique les premiers moulins à broyer la canne mus par des animaux. En 1742,  on comptait  355 moulins à bêtes soit 63% des moulins de l’île. En 1826,  on recense  51% de moulins à bêtes, contre 43% de moulins à eau et 6% de moulins à vent. A la fin du XIXe siècle, la vapeur supplante les autres énergies, force animale, hydraulique, ou éolienne.

 

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