LES MOULINS DU PAYS LYONNAIS

Résumé d’un article de 4 pages rédigé par Jacques RIVOIRE de l’association ARAIRE qui a entrepris depuis 1997 une enquête sur les anciens moulins du Pays Lyonnais. Il s’agissait de sauver le souvenir de ces installations hydrauliques, plusieurs fois centenaires, qui ont existé sur toutes les petites rivières de la région des monts du lyonnais, Coise, Yzeron, Garon, Brévenne, Mornantet, Potensinet, et qui ont disparu durant les dernières décennies.

Deux années d’enquête nous ont permis de rencontrer de nombreux meuniers ou des descendants de meuniers. On était souvent meunier de père en fils pendant plusieurs générations et il n’est pas rare de trouver des moulins qui restaient dans la même famille pendant un ou deux siècles. Les Méry, les Narbonnet, les Charézieux, les Michel, les Grataloup, les Veillon, les Perrichon, formaient de véritables dynasties de meuniers sur le Garon ou sur la Coise. Le record de continuité appartiendrait peut-être à la famille Méry (ou Mérie), installée sur la rivière du Garon, à Messimy, et qui cessa son activité au début du XXe siècle. Un acte de 1529, décrivant les limites de la seigneurie de Soucieux signalait déjà : « le moulin de Mérie de Meyssimie sur la rivière du Garon ».

…Antoine Perrichon, né à  Sainte-Catherine en 1912, fils et petit-fils de meuniers, a exercé sa profession au moulin de la Charonière, sur la commune de Sainte-Catherine, jusqu’en 1972. Il fut l’un des derniers à faire tourner le petit moulin familial hérité de ses aïeux, les Perrichon et les Michel. En écoutant ses souvenirs, on découvre la vie de ces meuniers qui étaient en même temps cultivateurs, et s’adonnaient aux travaux des champs pendant les périodes de sécheresse. Le moulin tournait surtout de l’automne au printemps. Antoine Perrichon a vu s’arrêter, autour de lui, les moulins les uns après les autres : le moulin Vert, chez Gonnet, avant 1939, puis le moulin Veillon, quelques années plus tard. En même temps que les autres meuniers disparaissaient, le moulin Perrichon  ne cessait de se moderniser pour survivre : 1926, installation d’une machine à vapeur - l936, installation  d’un  moteur Diesel -  l937, l938, mise en place d’un appareil  à cylindres pour le broyage du grain - 1945, deuxième appareil à cylindres et mise au rancart des meules... La survie des moulins ne se faisait qu’au prix de transformations incessantes.

…le nombre de lieux-dits contenant le mot “moulin est impressionnant. Sur le Garon, qui prend sa source dans le vallon de Malval, sur la commune d’Yzeron, on trouve successivement : « Le Moulin », près de la Rontalonnière; « le Grand Moulin », près de la piscine de Thurins, « les Moulins », près des Grandes Terres,  « le Moulin Chalamel », près du  pont de Charézieux à Malataverne. Tous ces moulins ne tournent plus : certains ont complètement disparu, l’un d’entre eux est devenu un restaurant, où l’on a conservé la roue à augets qui tourne encore au fil du Garon, un autre sert de résidence au dernier descendant des meuniers. La petite rivière du Potensinet, qui traverse la commune de Saint-Martin-en-Haut et vient se jeter dans la Coise au pont du Nézel, apparaît comme un modèle de l’énergie hydraulique. En suivant son cours on est étonné de découvrir que ce modeste ruisseau, long d’une dizaine de kilomètres, a fait tourner jusqu’au XXe siècle toute une série de moulins situés directement sur son cours, le  moulin Maréchaude, le moulin Garin, le moulin du Chier, le moulin Vaudray, étaient tous habités par des meuniers et les noms leur sont restés. De nos jours, ces lieux sont devenus des exploitations agricoles, le moulin Vaudray, tenu par la famille Couturier, a néanmoins fonctionné jusque vers 1980.

Les moulins sont partout, sur le moindre cours d’eau, se succédant les uns aux autres à quelques centaines de mètres. La moindre source d’énergie hydraulique est utilisée, car le moulin doit être à proximité de chaque village. Ce sont souvent de petits ruisseaux situés sur des pentes à forte dénivellation qui bénéficient d’un équipement important. Ainsi en est-il  de l’Orjolle qui prend sa source sur la commune de Duerne et se jette dans la Brévenne près de Sainte-Foy-l’Argentière ; sur une longueur d’à peine cinq kilomètres, la carte de Cassini indique sept moulins. Le record des installations appartient à la Coise, qui, entre sa source et Saint-Galmier, anime seize moulins. Dix moulins sont situés sur le cours du Garon, cinq sur le cours de l’Yzeron, trois sur le Mornantet, six sur le Potensinet, cinq sur la Ratier, affluent de la Brévenne... etc. Les rivières et ruisseaux des Monts du Lyonnais et du Plateau Lyonnais animent à cette époque une centaine de moulins.

Peu d’historiens ont fait des enquêtes sur ce sujet. Seul, Nicolas-François Cochard, membre de l’Académie de Lyon, nous a laissé, dans son étude « Saint-Symphorien-sur-Coise et ses environs », paru en 1827, un témoignage concernant l’activité des moulins sur la Coise.

“Tous ces ruisseaux, la Coise et ses affluents à l’exception du Rosson, font mouvoir une certaine quantité d’usines, entre autres des moulins à farine, des fabriques à huile, des battoirs pour le chanvre, d’autres pour les écorces, des  foulons à drap, des lavages pour la préparation des peaux destinées à la chamoiserie. Ainsi non seulement  ils contribuent à animer le pays et à y faire prospérer l’agriculture,  mais encore ils développent pour l’avantage des habitants diverses branches d’industrie de la plus grande utilité.

..les moulins hydrauliques étaient adaptés à des utilisations nombreuses et diverses : broyer le chanvre, battre le trèfle, écraser les écorces, fouler le drap, presser l’huile, etc.. Toutes ces opérations étaient réalisées dans des moulins à huile ou des battoirs. Les battoirs - appelés en patois : battou - étaient situés dans un petit bâtiment annexe au moulin, situé en aval, où l’eau de la chute était utilisée une seconde fois. De conception rudimentaire, ces battoirs fonctionnaient avec un mécanisme ancestral. Au siècle dernier, on y  broyait fréquemment des écorces d’arbres, chênes ou châtaigniers. 

Dans ses « Promenades autour de Lyon », le baron de Raverat rappelle cette pratique disparue : « Avant de rentrer à Yzeron, où le soleil couchant nous ramène, disons quelques mots des énormes châtaigniers que nous avons rencontrés sur notre route. Ces arbres séculaires, dont quelques-uns atteignent une grosseur prodigieuse, outre qu’ils produisent d’excellents fruits, fournissent une exploitation industrielle assez lucrative. Précieusement ramassée et pulvérisée sous des meules, leur écorce est vendue pour la teinture, car elle supplée avantageusement à la noix de galle, spécialement employée naguère, pour donner aux soies les beaux noirs qui font la réputation de la fabrique lyonnaise ».

Le XXe siècle a vu s’accélérer la disparition de ces installations parfois millénaires. Tout un monde s’est écroulé sous nos yeux en quelques dizaines d’années, sans que l’on en ait réellement pris conscience 9.

Notes .

-L’ARAIRE : association agréée d’éducation populaire créée en 1969 : Groupe de Recherche sur l’Histoire et le Folklore de l’Ouest Lyonnais. Passage de l’Araire - 69510 - Messimy-en-Lyonnais .

-Le Garon prend sa source sur la commune d’Yzeron à 658 m d’altitude. Il traverse les communes d’Yzeron, Saint-Martin-en-Haut, Thurins,  Messimy, Soucieux, Chaponost, Brignais, Vourles, Milery, Grigny et Givors et se jette dans le Rhône après un parcours de 31 km. Au milieu du XIXe siècle, il faisait mouvoir 18 moulins à blé et à écorce.

-La Coise prend sa source sur la commune Larajasse à 723 m d’altitude. Elle traverse les communes de Larajasse, Sainte-Catherine, Saint-Martin-en-Haut, Coise et pénètre dans le département de la Loire après un parcours de 17 km dans le département du Rhône. Elle faisait mouvoir 14 usines au milieu du XIXe siècle.

-L’Orgeol, affluent de la Brévenne, prend sa source à 715 m d’altitude et a une longueur d’à peine 5 km. Elle traverse les communes de Duerne, d’Aveize, de Saint-Genis-l’Argentière et de Sainte-Foy-l’Argentière. Ces eaux faisaient mouvoir 6 moulins au milieu du XIXe siècle.

-L’Yseron prend sa source à 761 m d’altitude. Il traverse les communes d’Yseron, de Montromant, de Vaugneray, de Saint-Laurent-de-Vaux, de Brindas, de Grézieux, de Francheville, de Sainte-Foy-lès-Lyon, d’Oullins et se jette dans le Rhône après un parcours de près de 27 km. Son débit important faisait mouvoir 11 moulins ou usines et était équipé de 30 biefs et 39 barrages d’irrigation au XIXe siècle.

-Le Mornantet est le principal affluent du Garon. Il prend sa source à 614 m d’altitude et traverse les communes  de Saint-Sorlin, de Chaussan, de Mornant, de Saint-Andéol, de Chassagny, de Montagny, Grigny et Givors, où il se jette dans le Garon après un parcours de 18,500 km. Il faisait mouvoir 8 moulins tant à blé qu’à écorce au XIXe siècle.

-La Brévenne prend sa source dans le département de la Loire et entre dans celui du Rhône après un cours de 4 km. Son cours à partir de son entrée dans le  département du Rhône est de 38 km pour se jeter dans l’Azergues. Elle faisait mouvoir 6 moulins à grain, à broyer les écorces de chêne ou de châtaignier et à faire de l’huile.

-Le moulin du Calichet, sur la centaine de moulins qui tournaient dans le pays Lyonnais au XIXe siècle, est l’un des derniers, car, tout en conservant les traditions de la meunerie, il a su s’adapter aux technologies modernes. A l’origine, il écrasait avec 2 paires de meules d’1,60 m de diamètre. Il fut équipé de cylindres mais l’électricité ne fit son entrée au moulin qu’en 1956. Le moulin a été rénové en 1991. Programmé par informatique, il écrase 3 000 tonnes par an. Sa clientèle se situe principalement dans la région lyonnaise et stéphanoise.Depuis un peu plus de 25 ans, il s’est spécialisé dans la fabrication de farine biologique.

Bibliographie .

-Jean Canard : « 500 moulins entre Besbre et Loire »,

Cahiers du musée forézien, Ambierle, 1979.

-T. et J. Kocher : « Le chemin des moulins oubliés », Mémoire forézienne, Imprimerie Reboul, 1997.

-M. Gouzène et J. L. Quereillahc : « Meuniers et moulins au Temps jadis », Editions France- Empire, Paris, 1987.

--Revue l’Araire, N° 117, publiée en 1999, consacré aux moulins du Pays Lyonnais, elle tente de faire revivre en 152 pages cette histoire, totalement méconnue. Etudes de  J. Rivoire ; T. & J. Kocher ; J. Burdy ; M. Th. Lorcin ; L. Vignon ; A. Perrey ; J.R. ; R. Faure ; A. Hernoud ; M. J. Bally ; A. Dumas ; A. Hernoud ; H. Robert ; P. Forissier. Avec la participation de  Henri Bougnol ; Marcel Second ; V. Cassagne et R. Pelossier.

 

 

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