La
propriété des canaux.
Résumé d’un article de 2 pages, par Maitre Xavier
LARROUY-CASTERA, avocat à la Cour d’Appel de Toulouse et de Pau. Spécialiste
en droit de l’environnement.
Co-auteur
avec J.L GAZZANIGA et J.P OURLIAC de l’ouvrage « L’eau, usages et
gestion » Editions LITEC 1998.
Cette question ne
peut être tranchée d’une manière absolue et il y faut apporter bien des
distinctions ».
Ainsi
s’exprimait Daviel (Traité de la législation et de la pratique des cours
d’eau, 1845, 3ème édition) et de citer Henrys (1615-1662), Avocat
du Roi, posant clairement le principe qui a gouverné tout l’Ancien Droit :
« Comme un
moulin ne peut être moulin sans sa prise d’eau, il s’ensuit aussi que la
prise d’eau en est une partie nécessaire, une partie intégrante et presque
la principale, puisque, sans elle, le moulin serait inutile. D’où il faut
pareillement inférer que le béal ou canal qui conduit l’eau au moulin,
n’est pas seulement un simple accessoire ou dépendance, mais plutôt c’en
est une portion inséparable et qui, prise conjointement avec les bâtiments, ne
fait qu’une même chose. Par conséquent, que celui qui est propriétaire du
moulin l’est aussi du béal ou canal qui conduit l’eau. … »
Ce principe
trouve sa traduction dans l’article 546 du Code civil selon lequel : « La
propriété d’une chose, soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur
tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement, soit
naturellement, soit artificiellement. Ce droit s’appelle droit d’accession ».Bien
que formulé en des termes généraux, cet article trouve une application privilégiée
concernant les biefs ou canaux d’amenée et de fuite d’eau des
moulins.
La jurisprudence,
de façon constante, retient la présomption de propriété au bénéfice du maître
du moulin, des canaux utiles pour le moulin, par le jeu de la théorie de
l’accession, à la double condition qu'ils aient été creusés de main
d'homme et dans un intérêt purement privé
·
Le caractère artificiel du canal :
Est artificiel le
canal creusé de main d’homme et qui est différent du lit de la rivière. Tel
n’est pas le cas en présence d’un canal qui recueille la totalité des eaux
d’un cours d’eau dont il constitue le nouveau lit ou bien d’un cours
d’eau naturel réaménagé dans l’intérêt d’une usine.
En pareille
circonstance, le cours d’eau est considéré comme un cours d’eau naturel et
continue, à ce titre, à être soumis, au profit des riverains, à l’article
644 du Code civil. En conséquence, le propriétaire du moulin ne peut
s’opposer d’une manière absolue à ce que les riverains se servent des eaux
de ce canal ; il n’a que le droit de demander un règlement d’eau,
conformément à la disposition de l’article 645 du Code civil .
·
Le caractère exclusif du canal :
Mais dès lors qu’il est établi que le bief
d’amenée d’eau est un ouvrage
artificiel et diffèrent du lit de la rivière, et qu’il a été créé dès
l’origine à l’usage exclusif d’un moulin, ce bief est réputé appartenir
en entier au propriétaire du moulin.
Il s'agit
toutefois d'une présomption de propriété qui peut être renversée par la
preuve contraire qui peut résulter soit d'un titre de propriété d'un
tiers, soit d'un acte prouvant que le prétendu propriétaire n'a sur le canal
qu'un simple droit d'aqueduc.
La cour de
cassation a depuis longtemps retenu que :
"La présomption
de propriété admise au profit du propriétaire du moulin sur le canal d'amenée
de ce moulin est détruite par la constatation que ce canal a été creusé, non
pour le service exclusif de ce moulin, mais dans l'intérêt commun de plusieurs
établissements et des propriétaires riverains"
Si le canal est
propriété privée, on considère également que les francs bords appartiennent au maître de l'usine ou du moulin.
On entend par francs bords des "bandes latérales qui permettent d'en
assurer la surveillance et l'entretien" (Planiol et Ripert, Traité
pratique de droit civil français, « les biens », p. 463). C'est là
encore une présomption de propriété, mais ce n'est qu'une présomption de
fait (et non plus une présomption légale), laissée à l'appréciation des
juges du fond. Les tribunaux admettent notamment qu'il peut être fait échec à
la présomption "par titre, par l'état des lieux ou la prescription".
Lorsqu'il y a
appropriation privée du canal, les riverains n'ont aucun droit d'usage des
eaux. Ils ne peuvent en user pour l'arrosage ou des besoins industriels, et la
majorité des auteurs pense que même l'usage domestique doit leur être refusé.
Il ne pourrait en être autrement que si les riverains du canal étaient en même
temps les riverains du cours d'eau qui l'alimente ; ou si le canal n'avait pas
été creusé à l'usage exclusif du moulin, alors que le propriétaire ne
justifie pas, par ailleurs, de son droit de propriété exclusif sur les eaux
Ces solutions
jurisprudentielles, pour la plupart d’un autre âge, peuvent paraître
rigoureuses pour les riverains d’un canal, voire même paradoxales à
l’heure où l’usage de l’eau est solennellement proclamée comme
appartenant à tous (article 1er al. 2 de la loi du 3 janvier 1992
sur l’eau ; article L. 210-1 al. 2 du Code de l’environnement).
Certains auteurs
proposent ainsi de considérer que la propriété ne s’étend qu’au lit et
éventuellement aux berges, mais non à l’eau (A. Gaonac’h, La nature
juridique de l’eau, Ed. Johanet, 1999, p. 90). Cependant, si l’usage de
l’eau appartient à tous, c’est « dans le cadre des lois et règlements
ainsi que des droits antérieurement établis » (article L. 210-1 al. 2 du
Code de l’environnement).