Le papillon, ou système de mise au vent automatique des moulins à vent, en France (I), par Christian Porcher

 

Extrait d’un article de 8 pages avec illustrations de l’auteur.

 

Historique

Grâce aux recherches approfondies de 2 molinologues britanniques particulièrement talentueux, Martin Watts et JSP Buckland, publiées aux cours des années 1980 nous connaissons désormais l’origine de ce simple et admirable système ayant considérablement facilité la vie des meuniers dans leurs machines à vent. Depuis le XIIe s. jusqu’au XIXe s. ce fut une sujétion permanente pour le meunier à vent que de devoir quitter ses meules, sortir du moulin et par tous les temps s’arc-bouter sur la queue d’orientation pour faire suivre à sa machine les caprices du vent afin de n’en pas manquer. Plus d’un demi-millénaire pendant lequel on vit apparaître diverses améliorations visant principalement dans les moulins-tour à orienter la toiture de l’intérieur même du moulin. C’est ainsi qu’un certain nombre d’entre eux perdirent leur queue remplacée alors par un mécanisme fait de roues dentées à commande manuelle engrenant une couronne d’alluchons fixée au sommet de la tour, comme ce fut le cas par exemple au moulin du Mardereau à Cléry-St-André (Loiret). Ce mécanisme pouvait être en bois ou beaucoup plus fréquemment en métal comme on en trouve encore d’assez nombreux, principalement dans l’ouest de la France. Nous pensons pouvoir dater ce système de la fin de la première moitié du XIXe s. lorsque les petites fonderies à vocation essentiellement agricoles se sont répandues dans ces régions à la fois productrices de minerai et demandeuses de solides pièces métalliques pour l’essor de leur industrie et de leur artisanat.

La “machine à vent autorégulatrice“ d’Edmund Lee, et après

C’est à un praticien de la forge et des moulins, un mécanicien de fabriques pourrions-nous dire, que l’on doit l’invention brevetée du papillon. Il se nomme Edmund Lee et fut ouvrier dans l’importante forge hydraulique près de la rivière Douglas, au nord de la ville de Wigan, comté de Lancaster, au nord-est de Liverpool. C’était à Brock Mill Forge où l’on fabriquait des mécanismes nécessaires à l’établissement de manufactures de laines et de coton, alors en plein essor et demandeuses de nombreux rouages fondus ou forgés, tout en ayant la particularité pour certains d’entre eux d’être “adapté(s) à la force et l’habileté des enfants”.

En 1744 Edmund Lee dépose auprès des services de sa Majesté l’équivalent de ce que nous nommons une demande de brevet. Elle lui est accordée l’année suivante.

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Si Lee a bien été doué d’un pressentiment génial en concevant la roue à ailettes placée à l’opposée des ailes et dans leur axe exact, la réalisation du modèle et la postérité prouveront qu’il y avait loin du brevet à son adoption générale. Mais l’idée était avancée, décrite et dessinée, sous la protection de sa Majesté.

Mais la figure la plus caractéristique du moulin à vent de ce pays est bien le papillon qui depuis la fin du XVIIIe s. lui donne une silhouette typique en même temps que la marque d’une remarquable ingéniosité.

Selon les époques et les régions son allure varie : excessivement proéminent vers l’arrière de la base de la toiture comme on peut les voir sur une toile de Julius Caesar Ibbetson (1759 - 1817) représentant 2 moulins à broyer le blanc d’Islington, prés Londres, vers 1792, ou très élevés au-dessus du faîtage dans un brevet de Robert Sutton en 1807, sans oublier l’assez lourd bâti le soutenant à l’extrémité arrière de la queue des moulins-pivot, il est permis de penser que théories et habitudes propres à chaque constructeur se sont assez vite établies pour en arriver au panorama actuel des moulins anglais.

Les mécanismes du papillon

Sans vouloir alourdir la description ni entrer dans des détails inutilement fastidieux il est nécessaire d’en évoquer les principes.

Sur un moulin-tour :

L’arbre horizontal autour duquel tourne le papillon lui-même (roue ailée de 6 à 10 pales) porte une roue dentée qui transmet le mouvement à un arbre vertical, avec une série d’engrenages multiplicateurs. Ils aboutissent à l’arasement supérieur de la tour où est installée une crémaillère fixe dans laquelle s’engrène le dernier pignon provoquant ainsi le déplacement de toute la toiture porteuse de l’arbre moteur et des ailes. Dès que l’axe des ailes est à nouveau bien face au vent, le papillon n’y est plus soumis et s’arrête de tourner. Une variante de ce système consiste en ce que le papillon fasse tourner en dernier engrenage une vis sans fin au lieu d’une roue dentée. Dans ce cas les dents de la crémaillère ne sont pas disposées verticalement, mais horizontalement, du côté extérieur de la tour (cas du moulin de Citerne dans la Somme).

Sur un moulin-pivot :

Le papillon peut être placé en extrémité arrière de la queue, ou de l’escalier, et donc être plus ou moins éloigné de la cage, sur un solide bâti de bois porté par deux fortes roues. C’est tout un train d’engrenages qui assure et distribue le mouvement jusqu’aux roues.

Son arrivée en France

Il faut attendre les 2 premières décennies du XIXe s. pour voir reprise en France l’invention de Lee, dont le nom ne sera pourtant jamais mentionné, n’y ayant peut-être même jamais été connu.

C’est d’abord dans un bulletin d’octobre 1807 de la Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale (S.E.I.N.) que l’on trouve p. 88 quelques lignes décrivant un “modèle de moulinet anglois perfectionné” que l’auteur, M. de Hallan, mécanicien à Paris, se propose d’adapter à une pompe”. Machine dont le propos est de : “1: la fixer sous le vent, 2: en diriger et déterminer la vitesse, 3: l’arrêter à volonté.” Ce qui est bien le but initialement poursuivi par Lee. La machine de de Hallan semble être une amélioration d’une machine précédente due à un certain Lombard faite pour pomper de l’eau, installée prés de Paris. On est à cette date, 1807, en plein blocus continental : les marchandises anglaises n’arrivent plus en France mais des relations anciennes existent entre les 2 pays : il y eut l’émigration due à la période révolutionnaire et des contacts entre les familles subsistent. C’est une période où il faut rivaliser d’ingéniosité pour transposer sur notre sol ce qui a été observé par des voyageurs ou émigrés outre-Manche.

Afin de susciter l’emploi de techniques nouvelles et exciter l’imagination des inventeurs, la S.E.I.N. s’emploie à publier nombre de rapports détaillés enrichis de plans permettant une exécution précise. Ainsi le n° CLXXXII, Août 1819 de son bulletin, catégorie Arts Mécaniques où l’on peut lire pp. 245 à 250 le “Rapport fait par M. le Chevalier Tarbé, au nom du Comité des arts mécaniques, sur un moulin à vent d’une nouvelle construction employé en Angleterre”.

C’est à notre connaissance le plus ancien document montrant en France un système d’orientation automatique pour une toiture de moulin.. La conception générale de ce moulin révèle une recherche maximale d’efficacité : le circuit du grain déversé du 4e étage dans un nettoyeur au 3e le conduit aux meules du 2e étage où il est écrasé en un seul passage puis bluté au rez-de-chaussée, sous l’étage de la galerie. Les meules ont 4 pieds de diamètre (1,30 m), ce qui nécessite pour les faire tourner une puissance bien inférieure à celle demandée par de grandes meules de 2,00 m comme on en trouvait alors dans la quasi totalité des moulins à vent français.

 

 

 

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