Circulaires sur l’application des classements des cours d’eau : le Ministère de l’écologie persiste dans ses erreurs.
Par Me Xavier Larrouy-Castéra, avocat au barreau de Toulouse
On se souvient de l’arrêt rendu par
le Conseil d’Etat le 14 novembre 2012 (CE 14 novembre 2012 Fédération Française
des Associations de sauvegarde des Moulins req. n° : 345165) qui a annulé
partiellement la circulaire du 25 janvier 2010 relative à la restauration de la
continuité écologique des cours d’eau considérant « qu’en interdisant, de manière générale, la réalisation de
tout nouvel équipement, alors que la loi prévoit que l’interdiction de
nouveaux ouvrages ne s’applique que sur les cours d’eau en très bon état
écologique figurant sur la liste établie en application de l’article L.
214-17 du Code de l’environnement et uniquement si ces ouvrages constituent un
obstacle à la continuité écologique, l’auteur de la circulaire a méconnu
les dispositions législatives applicables ».
Qu’à cela ne tienne, le Ministère
de l’écologie a repris une circulaire le 18 janvier 2013 relative à
l’application des classements des
cours d’eau en vue de leur préservation ou de la restauration de la continuité
écologique et a persisté dans son interprétation erronée des dispositions législatives.
Le Ministère de l’écologie (qui est
aussi rappelons-le celui du développement durable et de l’énergie) ne semble
pas avoir en effet tiré les leçons de l’arrêt précité du 14 novembre
2012. La rédaction de l’article L. 214-17 implique un examen de chaque
dossier de demande par l’autorité administrative compétente et celle-ci doit
apprécier in concreto si le projet
est de nature à porter atteinte à la continuité écologique. Il découle de
la rédaction de l’article L. 214-17 qu’il ne peut y avoir de rejet sans
examen préalable du dossier.
Or selon la circulaire du 18 janvier
2013, il y a lieu d’empêcher a priori
la construction de nouveaux seuils et barrages « sans avoir à examiner des dossiers de demande d’autorisation ou de
concession au cas par cas » et « sans qu’il y ait besoin d’instruire les dossiers de demande ».
Le Ministère insiste sur la généralisation de ces interdictions a
priori et sans examen préalable, en citant l’exemple des ouvrages soumis
à la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature relative aux Installations Ouvrages
Travaux Activités (IOTA) de la police de l’eau et en soutenant qu’un tel
ouvrage par nature fait obstacle à la continuité écologique et
qu’il n’est « donc légalement pas possible d’en autoriser la construction sur un
cours d’eau en liste I ».
La circulaire étend également la
notion « d’obstacle par nature » à la continuité écologique
-ayant pour conséquence selon le Ministère de rejeter en l’état toute
demande d’autorisation- à la reconstruction d‘un ouvrage fondé en titre
dont le droit d’usage se serait perdu du fait de sa ruine ou de son changement
d’affectation.
Cette interprétation abusive des
textes législatifs a été dénoncée par l’Association France Energie Planète
en saisissant la Haute juridiction d’un recours pour excès de pouvoir à
l’encontre de cette circulaire et le Conseil d’Etat vient de lui donner
raison sur ces deux points selon un arrêt
du 11 décembre 2015 (req. n° : 367116).
Le Conseil d’Etat considère en effet
« (…) que la construction d’un
ouvrage sur un cours d’eau figurant sur la liste établie en application du 1°
du I de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement ne peut être autorisée
que si elle ne fait pas obstacle à la continuité écologique ; que le
respect de cette exigence s’apprécie au regard de critères énoncés à
l’article R. 214-109 du même Code, qui permet d’évaluer l’atteinte portée
par l’ouvrage à la continuité écologique ; que, par suite, en
dispensant, de manière générale, les services compétents de
l’instruction des demandes de construction de tout nouveau seuil et barrage
sur ces cours d’eau, au motif que ces ouvrages constituent nécessairement des
obstacles à la continuité écologique et ne peuvent par principe être autorisés,
l’auteur de la circulaire a méconnu les dispositions applicables ».
Il en va de même pour les ouvrages
fondés en titre dont le Conseil d’Etat considère que si « elle est assimilable à la construction d’un nouvel ouvrage, la
reconstruction d’un ouvrage fondé en titre dont le droit d’usage s’est
perdu du fait de sa ruine ou de son changement d’affectation ne peut légalement
être regardée comme faisant par nature obstacle à la continuité écologique
et comme justifiant le refus de l’autorisation sollicitée, sans que
l’administration n’ait à procéder à un examen du bien fondé de la
demande »
Les
passages litigieux de la circulaire sont ainsi annulés.
Ce « recadrage »
du Ministère par la Haute Juridiction est ainsi le bienvenu. Il faut dénoncer
une nouvelle fois la lecture « orientée »
des dispositions relatives au classement des cours d’eau et des effets qui y
sont attachés, le Ministère ayant une fâcheuse tendance à faire dire aux
textes législatifs plus que ce qu’ils ne disent… Car en effet,
contrairement à ce que laisse entendre le Ministère au travers de ses interprétations
hâtives, la création d’une nouvelle microcentrale ou la reconstruction
d’ouvrage fondé en titre n’entraîne pas systématiquement et nécessairement
une atteinte à la continuité écologique sur les cours d’eau classés en
liste I. La jurisprudence commence d’ailleurs à offrir des illustrations fort
intéressantes où de nouveaux ouvrages sur des cours d’eau en liste I sont
considérés comme ne portant pas atteinte à la continuité écologique, eu égard
à leurs caractéristiques techniques et aux précautions prises par
l’exploitant.
C’est bien là la démonstration
juridique, contrairement à ce qu’a cru pouvoir affirmer le Ministère de l’écologie
au travers des dispositions censurées par le Conseil d’Etat, que tout nouveau
seuil ou barrage n’a certainement pas « automatiquement et par nature » un effet d’obstacle à la
circulation des espèces et au transport sédimentaire. Tout est affaire d’espèce.