Grâce
à l’administration, la simplification du droit est en marche… !
Promesse aussi habituelle qu’invérifiée,
véritable serpent de mer de la vie administrative française, la simplification
du droit était il y a peu encore sur les lèvres du Président de la République.
Dans le domaine hydraulique, la même
promesse avait été formulée à l’occasion de la refonte de la partie règlementaire
du Code de l’Environnement… et a été aussitôt suivie d’une avalanche de
nouvelles règlementations : classement des barrages selon leur hauteur et
obligation de réalisation d’études de suivi de l’ouvrage, obligation de
justification des incidences des opérations en milieu aquatique sur un périmètre
Natura 2000 voisin…
Depuis 2 siècles, la règlementation
applicable en la matière n’a en réalité eu de cesse que d’enfler, au
point de devenir un mille-feuilles très pénalisant pour les exploitants, très
utile pour les opposants à la profession, et dont la justification écologique
peut parfois être discutée…
Et si un retour en arrière était
possible, grâce à l’administration elle-même et au juge administratif ?
C’est le cas « granguignolesque » sur lequel nous vous proposons de revenir.
Dans le Nord-Est de la France, un
propriétaire de moulin décide de remettre en état la propriété familiale
qu’il tient de son père. Outre un grand terrain et un bâtiment
d’habitation en mauvais état, la propriété comprend un barrage de prise
d’eau sur la rivière proche en partie emporté par les crues, un canal
d’amenée en bon état général, un bâtiment de moulin privé de toiture
mais dont les chambres d’eau existent, et un canal de fuite en bon état général
lui aussi.
Novice en la matière, mais aussi très
candide, cet heureux propriétaire contacte l’administration afin de lui faire
part de son souhait de remise en état des ouvrages, indiquant par ailleurs que
son moulin a été règlementé par un arrêté préfectoral dans la seconde
moitié du XIXe siècle.
Aussitôt, un agent ONEMA se rend sur
les lieux et dresse un rapport de visite aux termes duquel les ouvrages du
moulin ne seraient plus entretenus et seraient même abandonnés, préconisant
en conséquence le retrait de l’arrêté d’autorisation.
La DDT, très prompte à exécuter les
quasi « ordres » de l’ONEMA dans le cadre de la directive ministérielle
de 2010 sur le rétablissement de la continuité écologique qui recommande
d’abattre le maximum de seuils de moulin, voit là l’occasion d’ajouter un
nouveau trophée à son tableau de chasse.
Au lieu et place du satisfecit administratif qu’il espérait recevoir, le propriétaire
du moulin se voit donc notifier une décision d’opposition à la remise en
service du moulin, une procédure d’abrogation de l’arrêté
d’autorisation étant engagée par ailleurs engagée par les services de la
DDT.
En dépit de ses protestations,
reposant notamment sur le fondement de la Convention d’engagements pour le développement
d’une hydroélectricité durable signée en 2010 par le Ministère de l’Ecologie
– qui préconise notamment l’équipement des ouvrages hydrauliques existants
plutôt que la création de nouveaux ouvrages – l’abrogation est effective
quelques mois plus tard.
S’engage alors un recours devant le
Tribunal Administratif, pour lequel le propriétaire – méfiant – avait
conservé en main une carte maîtresse : mentionné sur la Carte de
Cassini, son moulin disposait donc d’un droit fondé en titre auquel était
simplement venu se superposer l’autorisation administrative délivrée au XIXe
siècle…
En droit, le moulin pouvait donc
continuer à être exploité sous le seul régime du droit fondé en titre à
l’usage de l’eau, dont l’administration n’avait pas connaissance et
qu’elle n’avait ainsi pas retiré !
Le Tribunal, par une analyse
surprenante mais qui finalement présente sa logique, a analysé cette affaire
de la manière suivante :
-
Le
moulin, dont l’existence matérielle est attestée antérieurement à la Révolution
française de 1789 par sa mention sur la Carte de Cassini, dispose d’un droit
fondé en titre à l’usage de l’eau,
-
En
dépit des prétentions administratives et de l’ONEMA, les ouvrages essentiels
à l’utilisation de l’énergie hydraulique persistent pour l’essentiel,
l’eau continuant à y circuler, de sorte que le droit fondé en titre n’est
pas perdu,
-
L’autorisation
administrative délivrée au XIXe siècle n’ayant eu pour effet que
de procéder à la règlementation des ouvrages et d’autoriser une
augmentation de la chute du barrage de 20 cm qui n’a jamais été réalisée,
ne présente aucune utilité réelle pour le propriétaire du moulin et peut
donc être abrogée sans aucune conséquence pour lui,
-
En
dépit de l’abrogation de l’arrêté du XIXe siècle, considérée
comme justifiée, la remise en état et l’exploitation du moulin peut donc être
poursuivie dans la limite de la consistance du droit fondé en titre
d’origine.
Surprenante affaire où, perdant le
recours contre l’arrêté d’abrogation, le propriétaire se voit reconnaître
un droit fondé en titre et la faculté de remettre son moulin en service comme
il le souhaitait ! Comble de l’ironie, l’exploitant du moulin ayant
perdu son recours, il semble que l’administration n’ait pas fait appel du
jugement rendu.
Pour autant, le droit fondé en titre
ayant été reconnu par le juge administratif, l’exploitant est désormais en
droit de remettre en état les ouvrages hydrauliques, d’installer une roue
hydraulique, et de produire comme il le souhaitait de l’électricité… ceci
sans être tenu de respecter les principes qui étaient fixés par l’arrêté
qui avait règlementé l’ouvrage au XIXe siècle, qui est désormais
abrogé !
Contrairement aux apparences,
l’administration n’est donc pas toujours source de complications… !