Roues en dessous à hauteur variable

de la haute Vallée de la Loue

par Bernard Sauldubois, association des amis des moulins du Jura

 

L’adaptation des roues hydrauliques au niveau changeant de l’eau de certaines rivières a toujours été un problème difficile à résoudre. On connaît dans plusieurs régions de France la solution des moulins pendus, qui fut utilisée sur la Seine et sur la Loire (aux Ponts-de-Cé) et dont il reste quelques exemplaires, notamment à Andé en Normandie et à Ballan-Miré en Touraine, sur le Cher.

 

Une technologie particulière s’est développée dans la vallée de la Loue (département du Doubs) à partir de 1819, à l’initiative d’un charpentier-mécanicien, Joseph-Étienne Pouget. Installé à Ornans, il invente un système de roue réglable en hauteur et particulièrement bien adaptée aux brusques changements de niveau de la Loue. Ce système est installé en premier dans les propres établissements de J.-E. Pouget à Ornans. Il va connaître un certain succès auprès des propriétaires d’usines hydrauliques de la vallée de la Loue. On en trouvait à Chouzelot, Lizine, Lods, Mouthiers-Haute-Pierre. Leur aire de diffusion a dépassé la haute vallée de la Loue : on mentionne une telle roue à Saint-Hyppolyte (Doubs) en 1858. Il en existe encore deux exemplaires jumelés à l’ancien moulin à farine de Vuillafans qui a cessé ses activités en 1960 (établissement devenu depuis une brocante). Ces roues encore en fonctionnement en 1999 se sont très vite dégradées au début des années 2000. On peut apercevoir une carcasse de roue et plusieurs bâtis sur des anciennes usines installées dans Ornans sur la rive droite de la Loue. Ces roues sont appelées pendantes, volantes, flottantes ou oscillantes.

 

L’aménagement hydraulique pour l’établissement de ces roues est sommaire. Il n’exige en principe ni barrage ni vannage mais seulement un coursier délimité par une paroi en madriers ou un mur en maçonnerie. Cependant on constate à Ornans comme à Vuillafans un faible seuil qui, aux périodes de basses eaux, canalise l’eau vers le coursier de la roue.

 

La roue est suspendue à l’intérieur d’un châssis qui fait saillie au dessus de la rivière et qui fut d’abord, semble-t-il, en bois, puis en métal (tous les châssis existants encore sur la haute vallée de la Loue sont en métal). Les deux extrémités de l’arbre de la roue reposent, tourillons et paliers, sur une pièce métallique mobile axée à une extrémité au châssis et à l’autre extrémité reliée à une chaîne qui peut s’enrouler sur un treuil, entraînant dans son mouvement de bas en haut et de haut en bas l’élévation ou l’abaissement de la roue de manière à placer les aubes à la hauteur voulue suivant le niveau de la rivière. Les balanciers, les leviers mobiles, sont parfois tous les deux à l’extérieur du bâtiment, comme à Ornans. Parfois, comme à Vuillafans, l’un des balanciers est à l’intérieur du bâtiment. L’arbre de la roue traverse le bâtiment par une fenêtre ou une meurtrière en arc de cercle permettant son débattement. En bout d’arbre, à l’intérieur du bâtiment se trouve le rouet de fosse, en fonte avec alluchons en bois. Le rouet de fosse du moulin de Vuillafans mesure environ 2,20 m de diamètre. Il suit évidemment le mouvement de la roue. Quelle que soit la position de celle-ci, il engrène sur un pignon qui transmet la force motrice au mécanisme du moulin. A partir de là, celui-ci devient classique.

 

Joseph Etienne Pouguet. De Mouthier à Ornans, toutes les usines sur la Loue ont été équipées de roues à hauteur variable au début et milieu du XIXe siè­cle. Il s’agit d’une invention technique dans un milieu local. Celle-ci est à l'actif d'un homme de la région, Joseph-Etienne Pouguet, fils d'un meunier des plateaux et "charpentier-machiniste" ; mais en est-il le véritable "inventeur" ? De l'an IX à 1808, un "tour de France" l'avait conduit successivement à Lyon, Marseille et Angoulême, et il avait vu les moulins-bateaux du Rhône. Son invention, bien qu'elle lui ait été contestée en 1819, semble bien faire la synthèse entre ses observations et ses expérimentations personnelles. Toujours est-il qu'il réussit et qu'il fonda une dynastie de mécaniciens puis d'ingénieurs qui, sur quatre géné­rations, équipèrent la vallée de la Loue en roues pendantes, puis en turbines hydrauliques dans les dernières années du XIXe siècle.

En 1820, la Société d’Agriculture Sciences et Arts du Doubs décernera à l’inventeur une médaille pour « avoir construit à Ornans, sur la Loue, un moulin sans barrage dont la roue peut être baissée ou haussée à volonté ». La médaille lui sera remise par le préfet du Doubs, qui dans son discours remerciera « celui qui a donné à son canton l’exemple de toutes les vertus ».

 

 

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