Mécanique
des fluides en Val de Dronne
Extrait d’un article de 6 pages avec photos, par Vincent
Marabout, chercheur, chargé de mission, au service de la Conservation du
patrimoine Conseil général de la Dordogne + 1 pages de bibliographie. (Seconde
partie)
Les
moulins du Val de Dronne ont utilisé deux référentiels technologiques quant
au fonctionnement de leur machinerie : la roue verticale, et donc de celui
du couple rouet-lanterne, et la roue horizontale dont la conception semble plus
archaïque. En effet, seul le premier système permet le débrayage du mécanisme,
c’est-à-dire l’arrêt des meules tout en conservant la rotation de la roue.
Dans le second système, roue horizontale et meule sont directement reliées par
un axe. L’arrêt de la meule nécessite donc celui de la roue. A la lumière
des connaissances actuelles, il est impossible de préciser lequel des deux systèmes
précède l’autre. Quoi qu’il en soit, les principes qu’ils mettent en œuvre
sont connus depuis l’Antiquité. Pour la Dordogne, la statistique de 1809
montre un usage assez équilibré des deux systèmes puisqu’ils sont représentés
dans des proportions de l’ordre de 40,3% pour la roue verticale et 59,7% pour
la roue horizontale. Le recours à l’une ou l’autre technique ne doit rien
au hasard. Il semble dicté par des facteurs autant culturels
qu’hydrologiques. Culturels parce que, grosso modo, les pays de langue d’oc
ont utilisé très largement la roue horizontale et, inversement, ceux de langue
d’oïl, la roue verticale. Situé sur une zone interculturelle, il n’est pas
surprenant que le Périgord ait vu l’usage des deux systèmes. Hydrologiques
parce que les moulins à roue horizontale sont principalement implantés sur des
cours d’eau plutôt réduits et à forte pente (de type torrent), tandis que
les moulins à roue verticale sont emblématiques des rivières assez
importantes ou des fleuves. La statistique de 1809 prendrait tout son sens dans
une cartographie précise, à l’échelle du département, de ces deux types de
moulins.
Pour le Val de Dronne, chaque moulin repéré n’est pas systématiquement renseigné quant à la nature de ses roues. A la veille de la révolution industrielle, tous les moulins situés sur la portion de la Dronne concernée étaient très certainement équipés de roues verticales à aubes. Le corpus n’offre que très peu d’exemples de moulins possédant ou ayant possédé des roues horizontales. Il semble donc qu’en Val de Dronne, tout comme dans la Charente voisine, la roue verticale ait dominé. Ailleurs en Périgord, la roue horizontale concerne a priori un large croissant sud-est puisque en Corrèze, dans le Lot et en Lot-et-Garonne ce système, selon la statistique de 1809, domine à plus de 95%. Ainsi, il est intéressant de noter qu’en Périgord s’observe une transition de la culture technique traditionnelle.
Les roues et les turbines constituent le moteur du moulin en transformant l’énergie hydraulique en mouvement rotatif. Sur l’aire d’étude, nous avons observé des roues verticales à aubes (ou à pelles) mues par-dessous, des roues verticales à augets (ou auges) mues par-dessus, un seul exemple de roues horizontales et quelques turbines.
Les roues verticales à aubes datent pour la plupart de la fin du 19e siècle et sont des ouvrages associant le bois et le métal. Rares sont celles conservées en l’état. Souvent, il ne reste plus que l’arbre en place comme à Pourrat ou la Bernerie à Cercles. Une majorité sont en ruine et/ou ont été restaurées à diverses époques, principalement au début du 20e siècle. L’arbre a été remplacé par un axe en fonte et seules subsistent les parties métalliques, moyeux, flasques et cerclage, associées à des vestiges de bras en bois comme au moulin de Bressol à Tocane-Saint-Apre ou au moulin de Thermes à Brantôme.
Au cours du 20e siècle d’autres modèles de roues verticales apparaissent. Les exemples les plus anciens utilisent encore le bois qui, tel au moulin du Pont (Nanteuil-Auriac-de-Bourzac), concerne uniquement les bras et les aubes. Ailleurs, et pour les cas les plus récents, la roue est entièrement métallique comme au moulin de Comberanche (Comberanche-et-Epeluche), ou au moulin de Mondot (Vendoire), arbre mis à part pour ce dernier. Rien n’indique que ces roues étaient destinées à faire tourner des meules.
En Val de Dronne, les roues à augets sont plus rares que les roues à aubes. Elles présentent un diamètre moindre que ces dernières, bien que proportionnellement, elles soient plus développées en largeur. Nous avons rencontré un unique modèle entièrement en bois. Bien conservé, il équipe le moulin de Soulet à Champagne-et-Fontaine. C’est une roue de conception ancienne, vraisemblablement du 18e siècle ou du début du 19e siècle dont la conservation a été assurée grâce à un environnement très abrité.
Noyées dans leur caisson, les turbines sont difficilement observables. Nous avons relevé quelques marques citées dans les enquêtes de contingentement, telles Zeyssé-Rose-Brault (sic, lire Teisset-Rose-Brault), Francis ou Singum (sic, lire Singrün) sans avoir pu vérifier la présence de ces turbines in situ. Cependant, nous avons pu prendre connaissance de quelques modèles sans en connaître le fabriquant, soit extraits de leur caisson, soit dans celui-ci en partie vidé et laissant apercevoir la partie fixe supérieure, c’est-à-dire le stator de la turbine. Ainsi, les moulins de Chenaud et de Rochereuil à Grand-Brassac sont tous deux équipés de turbines de type Fontaine disposées dans un caisson. De même type, celle du moulin Neuf à Saint-Méard-de-Drône a été extraite de sa chambre à eau.
Ces moteurs, roues ou turbines, servaient principalement à entraîner les machines destinées à la fabrication de farine. En règle générale, les roues sont reliées à des meules traditionnelles et les turbines à des appareils à cylindres.
Le temps des moulins est bel et bien révolu et seul un effort d’imagination important peut prétendre à le ressusciter. Dans sa contribution à l’histoire des moulins périgourdins, cette enquête d’inventaire aura surtout révélé la densité et la diversité des sites et, par conséquent, l’ampleur des destructions. Elle aura montré combien la rupture avec « autrefois » est consommée. Le constat s’affirme comme un écho à « la fin des terroirs » cher à Eugène Weber. Il reste à souhaiter que l’enquête puisse étendre son aire d’étude afin de compléter plus précisément les connaissances acquises et de combler les nombreuses lacunes de cette « petite histoire », essentielle pour comprendre la grande.