Billet d’humeur. Les seuils de nos rivières dans l’œil du cyclone :

débarrons ! hurlent les technocrates  par Charles Berg

 

La directive cadre Européenne poursuit plusieurs objectifs tels que la prévention et la réduction de la pollution, la promotion d’une utilisation durable de l’eau, la protection de l’environnement, l’amélioration de l'état des écosystèmes aquatiques et l’atténuation des effets des inondations et des sécheresses. Son objectif ultime est d’atteindre un «bon état» écologique et chimique de toutes les eaux communautaires d’ici à 2015.  L’arasement des seuils des rivières est mis en avant pour atteindre ce but.  

Depuis quelques années, les technocrates se sont trouvé de nouveaux terrains où exercer leur malfaisance : les rivières, avec l'alibi écologiste des nouvelles directives sur l'eau. On les a vus à l'œuvre en Bretagne sur l'Aulne où ils ont été déboutés. On les a vus aussi sur le Cher canalisé où ils ont remporté une semi-victoire. On les voit à présent s'attaquer à toutes les petites rivières qui ont fait tourner des moulins depuis des siècles en assurant ainsi la prospérité, ou au moins la survie, des régions qu'elles arrosaient.

Ces petites rivières, dont certaines ont connu des aménagements meuniers ou nautiques depuis l'Antiquité, sont la nouvelle cible de ces nuisibles qui voudraient araser les barrages édifiés depuis tout ce temps pour faire tourner des moulins. Leur prétexte ? Rendre à la rivière son aspect "naturel", notamment pour rétablir la remontée des poissons migrateurs, ce qu'ils nomment sa "continuité écologique". Ah, le beau vocable qui fleure bon la technocratie dans toute sa splendeur... Comme si ces gens, qui ont sans doute vu naitre leur grand-père, connaissaient l'état "naturel" de ces rivières, c'est à dire l'état dans lequel elles se trouvaient avant l'édification de leurs  petits barrages...

Car, ce qu'ils voient sur les rivières depuis leurs bureaux parisiens ou bruxellois, c'est rien moins que le mur de Génissiat tous les kilomètres au fin fond des petites vallées de nos tranquilles autant que provinciales rivières. Pour eux, dont les pieds n'ont pas connu une paire de bottes depuis des lustres, un barrage de rivière est forcément un obstacle insurmontable au plus vigoureux des saumons, c'est un attentat à la belle virginité de nos cours d'eau, à sa "continuité écologique"... Il ne leur vient même pas à l'idée que ce peut être un atout pour remonter les nappes phréatiques vitales, pour laisser l'eau se décanter des impuretés qu'elle emmènerait en aval sans cela, pour constituer des réserves d'eau potable que l'on sera bien content de trouver le moment venu, pour accueillir du poisson qui y trouve les bonnes conditions de sa reproduction, pour faire tourner de petites centrales électriques qui participeront à l'indépendance énergétique du pays. Curieusement cependant, ils ne mouftent guère quand on évoque les grands barrages d'EDF... ce sont les petits barrages, ceux qui appartiennent aux petits propriétaires de vieux moulins, qui sont leur cible.

Vouloir restituer aux rivières leur état "naturel" originel, c'est, quand on y réfléchit, d'une prétention incroyable. Mais la prétention fait partie du formatage de ces androïdes nommés technocrates. Déjà, c'est prétendre connaitre un état dont ils ne peuvent en fait rien savoir, et pour cause : pour retrouver cet état "naturel", il faut remonter à une époque où aucune mesure chimique, biologique ou physique n'était pratiquée, et dont il ne reste donc aucun document exploitable. Peut-être même faut-il remonter aux origines de l'espèce humaine qui, tout comme le castor, a colonisé très tôt systématiquement les cours d'eau et forcément aliéné un peu leur "continuité écologique". Curieusement, les technocrates ne mouftent pas sur la réintroduction du castor en France (nous ne nous en plaignons pas non plus).

C'est hautement prétentieux également dans la mesure où cela prétend vouloir faire le bien de la Nature malgré elle. Comme si la Nature n'avait pas assez de ressources en elle-même pour surmonter les embûches que l'Humain a pu lui poser durant les siècles. C'est oublier qu'elle n'a pas besoin que des pantins, dont toute la science tient dans la cravate, pour se débrouiller. Sur le Rhône, dont les chutes des barrages sont sans commune mesure avec les petits seuils montagnards ciblés par lesdits pantins, les poissons ont d'eux-mêmes trouvé le moyen de remonter la rivière en passant par... les écluses ! Une telle attitude pseudo-protectionniste est mille fois plus méprisante à l'égard de la Nature que celle des industriels qui y ont déversés leurs cochonneries pendant des siècles.

"Restituer aux rivières leur état biologico-chimique naturel", on croit rêver ! Ce n'est pas en arasant les vieux barrages moussus des petites rivières que l'on rendra à leur eau sa qualité chimique d'origine. C'est en empêchant que l'on déverse en amont sur leur bassin versant n'importe quelle cochonnerie industrielle ou agricole qui se dépêche de rejoindre les nappes phréatiques. Mais il est plus facile de s'attaquer à de petits propriétaires de moulins qu'à de gros lobbies chimiques...

Permettre la remontée des espèces migratrices, on sait le faire depuis le Moyen-Âge avec des échelles à poissons de mieux en mieux conçues. Donner une bonne qualité chimique à l'eau se traite bien en amont des rivières, par des dispositions légales et pratiques concernant les produits que l'on envoie dans le sol. Rien ne justifie donc l'arasement d'ouvrages qui par ailleurs peuvent encore rendre de grands services et apportant une certaine maitrise des crues, ou du moins de leurs conséquences, en conservant des réserves d'eau bien utiles, et en produisant une énergie non polluante à peu de frais.

Détruire les barrages plusieurs fois centenaires établis sur les petites rivières, c'est :

  1. détruire durablement des biotopes complexes qui ont trouvé depuis longtemps leur équilibre,
  2. aliéner d'importantes réserves piscicoles ,
  3. abaisser dramatiquement les niveaux des nappes phréatiques et mettre en péril tout ce qui en dépend, et notamment les captages domestiques, agricoles et industriels,
  4. se priver des moyens de maitriser au moins partiellement les conséquences des crues,
  5. se priver de réserves d'eau pour les périodes de sécheresse,
  6. se priver de possibilités énergétiques bon marché, décentralisées et respectueuses de l'environnement,
  7. hypothéquer gravement les perspectives de développement touristique des régions irriguées, notamment quand il s'agit de rivières navigables et "pêchables",
  8. et sûrement plein d'autres inconvénients, mais la liste est déjà suffisamment inquiétante comme ça…

Bref, c'est jouer à l'apprenti sorcier en s'imaginant plus malin que la Nature (qui en a vu d'autres, depuis le temps...) en prétendant la servir, alors que l'on ne cherche en fait qu'à... l'asservir.

http://projetbabel.org/fluvial/niouz-37_Debarrage.htm

 

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