Le moulin et la loi. Evolution des textes sur l’environnement, droits d’eau, moulins fondés en titre, réglementés,  

 

Résumé d’une intervention de Jean-Marie Pingault conseiller technique FFAM

En préambule, il est utile de préciser que tout ce qui va suivre ne concerne que les moulins hydrauliques dont la puissance brute est égale ou inférieure à 150 KW, ce qui est le cas de la majeure partie des seuils de nos départements. La puissance brute d'une chute est le produit de la quantité d'eau autorisée (appelé '' débit dérivé'') par la hauteur de chute. Au plan règlementaire, il existe plusieurs sortes de moulins hydrauliques :

Les moulins ''fondés en titre'' ou ''ayant une existence légale''. Ce sont ceux dont l'existence est avérée avant l'abolition des privilèges en 1789 et 1790. Leur droit d'eau est un droit d'usage attaché à un bien immobilier et non à un bénéficiaire nommément désigné.

Les moulins ‘‘règlementés’’. Ce sont ceux qui ont reçu une autorisation entre 1790 et 1919, sous la forme d'un règlement d'eau établi par les services hydrauliques des Ponts & Chaussées, règlement définissant les dimensions des ouvrages. Ce droit d'eau est dit ''fondé sur titre'' et est attaché à une autorisation nominale du site, assortie le plus souvent de conditions.

Il faut noter que beaucoup de moulins fondés en titre ont été règlementés au 19e siècle. Ils ne perdent pas le bénéfice attaché au droit fondé en titre ; seule l'éventuelle différence entre la consistance (puissance brute) ancienne et celle existant à l'heure actuelle est soumise au règlement. Dans la pratique, il est difficile d'établir cette différence, dont la preuve est à la charge de l'administration, et de très nombreuses jurisprudences ont défini qu'en l'absence de preuve formelle, la consistance à prendre en compte était celle du règlement d'eau.

Il existe également une catégorie ''hybride'' de moulins, celle des moulins non règlementés et dont on ne trouve pas de preuves de l'existence avant 1789. Ils sont extrêmement nombreux dans certaines régions car les différentes circulaires ministérielles du 19° siècle, et notamment celle de 1851, précisaient à l'attention des services hydrauliques préfectoraux qu'ils devaient s'abstenir de règlementer lorsque les ouvrages anciens ne faisaient de tort à personne. A titre indicatif, dans certains départements, n'étaient règlementés que les moulins dont le débit dérivé était supérieur à 500 l/sec. Dans d'autres, jusqu'au milieu du 19e, aucun moulin n'avait été règlementé, comme l'atteste un courrier d'un ingénieur en chef aux préfets du Cantal et de la Corrèze.

On peut ajouter à cela que la carte de Cassini ne répertorie pas tous les moulins existants à l'époque pour des raisons variées, et notamment parce que les géomètres hésitaient à s'aventurer dans des régions reculées ou peu sûres, les habitants craignant l'établissement de nouveaux impôts ; d'autre part, les minutes de cette carte mentionnent parfois des moulins non reportés sur la carte. Pour ces ouvrages, les recherches sont plus difficiles et doivent être approfondies afin de trouver des documents opposables à l'administration : recensements divers, états statistiques, rôles de patentes, etc. (ces derniers décrivaient souvent les ouvrages hydrauliques et les outillages qu'ils actionnaient et parfois même les dessinaient avec des cotes).

Un article du code de l'Environnement (L 214-6-2) peut aider à se faire reconnaître, car il est ainsi libellé: ''les installations, ouvrages ou activités déclarées ou autorisées en application d'une législation ou réglementation antérieure au 4 janvier 1992...''

A notre sens, le fait d'être porté sur un état administratif correspond au mot ''déclaré'' et peut permettre de se faire reconnaître officiellement. Restera ensuite à faire admettre la consistance par l'administration sans qu'elle exige une ''régularisation'' entrainant études, délais et frais importants, ainsi qu'une modification de la consistance et une éventuelle passe à poissons au nom de la réglementation actuelle. Parallèlement à cela, il faut répéter inlassablement que les propriétaires de moulins revendiquant un droit d'eau quel qu'il soit doivent respecter les obligations liées à ce droit, c'est-à-dire respecter le niveau légal par des ouvrages hydrauliques en parfait état de marche et assurer le transport des sédiments par une gestion régulière des vannes.

Fondés en titre ou règlementés, la consistance d'un ouvrage est déterminée par le ''niveau légal''. Ce niveau est matérialisé, pour les ouvrages règlementés, par un repère dont la forme et la matière étaient définis départementalement ; toutes les vannes et déversoirs étaient arasés par rapport au ''Zéro'' de ce repère. Pour les moulins non règlementés, la définition de ce niveau légal est plus délicate et le bon sens et l'expérience doivent prévaloir (plus facile à dire qu'à faire admettre par l'administration); mais si l'on dispose de documents (rôles de patentes, états statistiques, etc...), il est aisé d'en tirer parti et d'argumenter sur ces bases.

Les règlements d'eau établis par les services hydrauliques des P&C étaient très précis et correspondaient à des directives définissant la marche à suivre : rapport de l'ingénieur après visite des lieux, projet de règlement avec plans et coupes, première enquête publique, seconde enquête publique tenant compte des observations de la première, mise au point du règlement définitif sanctionné soit par arrêté préfectoral, soit ordonnance impériale, royale ou présidentielle ; puis, après réalisation des travaux, procès-verbal de récolement vérifiant la conformité de toutes les prescriptions du règlement. Tous ces documents portent le nom principal de ''règlement d'eau'' suivi de celui de l'acte. Les plus importants sont l'arrêté ou l'ordonnance et le PV de récolement.

En principe, les services actuels de la Police de l'eau, qui ont remplacé les services hydrauliques des P&C en 1962/63 devraient détenir l'intégralité des dossiers de moulins. La réalité est très sensiblement différente ; certains services départementaux les ont conservés, d'autres non ; certains dossiers n'ont pas suivi les réorganisations successives ; certains départements ont confié aux Archives départementales tout ou partie de ce qu'ils détenaient. Les registres d'arrêtés préfectoraux qui en principe devraient rester au cabinet du préfet ont parfois été dispersés ou ont disparu. Il peut même arriver que des dossiers ''disparaissent'' des services qui en avaient la charge. Ajoutons que les mairies étaient destinataires d'une copie de certains de ces documents et que les archives municipales peuvent réserver des surprises, malgré tout de façon aléatoire. Il n'y a donc pas de règles générales pouvant être définies pour la recherche de tous ces documents et il faut un peu de ''flair'' et beaucoup d'opiniâtreté.

Un sujet doit être abordé : celui des clapets, automatiques ou non, implantés dans les années 1970/80, sur les seuils de moulins, en général par les syndicats de rivière. Ces ouvrages sont dans un vide juridique total : en effet, leur fonctionnement est du ressort de l'organisme l'ayant mis en place et/ou du propriétaire du seuil : il y a donc ''partage'' du droit d'eau, alors que le propriétaire est seul responsable de ce droit. La plupart du temps, aucun protocole n'a été établi avec le propriétaire et aucun arrêté préfectoral n'en a autorisé la pose. Le code civil prescrivant que la propriété du dessous entraine la propriété du dessus, ces clapets appartiennent juridiquement au propriétaire du seuil. Il y a donc lieu de revendiquer ces ouvrages, mais dans certaines conditions, si l'on envisage de redonner vie à son moulin.

Il arrive que la Police de l'eau, lors d'une déclaration de travaux de réfection de vannes ou de déversoir (parfois lors de simples travaux de curage), demande la réalisation d'une passe à poissons. Ces travaux, très onéreux en études et en réalisation, ne sont obligatoires que sur les cours d'eau classés selon l'article L 432-6 par un décret rendu exécutoire par un arrêté ministériel définissant les espèces migratrices concernées. La loi sur l'eau du 30 décembre 2006 a prévu que ces classements devaient être revus. L'ONEMA établit en ce moment de nouvelles listes de cours d'eau à classer, qui seront soumises pour avis aux conseils généraux dans le courant de cette année, avant d'être actées par des arrêtés du préfet de bassin. Il semble que certaines de ces listes aient été conçues avec une vision extensive de la loi, notamment en ce qui concerne le potentiel hydroélectrique devant obligatoirement être pris en compte, le mot ''potentiel'' ayant été interprété par ''qui fonctionne actuellement'' ! Ce potentiel doit d'ailleurs figurer dans les SDAGE et les SAGE. Il est donc recommandé, lors de la demande de reconnaissance de ses droits, d'indiquer le souhait de la remise en service, dans le respect de la réglementation. Rappelons que le rapport ''DAMBRINE'', demandé par le ministre de l'industrie en 2005, estimait que la puissance totale des moulins hydrauliques pouvant être remis en service sur l'ensemble du pays représentait l'équivalent d'une tranche nucléaire et présentait de surcroit l'avantage d'une production répartie sur tout le territoire. Plusieurs directives ont depuis accentué les obligations liées aux ouvrages hydrauliques, telles celle sur le transit des sédiments (qui n'est en réalité que l'actualisation des anciens règlements et pratiques) et celle sur les anguilles qui devrait à terme obliger tous les seuils à être équipés de rampes d'amontaison et de dispositifs de dévalaison.

La sauvegarde de nos moulins, à l'exception des très rares monuments historiques classés avec leur système hydraulique, ne peut se faire qu'en leur rendant un usage économique quel qu'il soit; l'hydroélectricité est un usage idéal pour la majeure partie d'entre eux, malgré des contraintes dont il faut reconnaître que leur mise en place résultait souvent du non respect des règlements en vigueur. 

 

 

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