Le
travail au moulin
Cette gravure est la première des planches de
l’Art du Meunier, tome III des gravures de l’Encyclopédie de Diderot
& d’Alembert. Si nous considérons l’ensemble de la page, en dehors de
l’implantation extérieure du lieu, ce qui semblerait le plus immédiatement
intéressant à présenter au lecteur ce sont la roue et les meules. Le reste
des équipements fera l’objet des planches 2, 3 (coupes du moulin sur la
largeur et sur la longueur), 4 et 5 (crapaudine et différents détails &
outils).
Le dessinateur a centré sa gravure sur la verticale
passant par l’axe de la roue et la pointe du pignon. Ce choix logique ou académique
nuit à la répartition des informations : il y a plus de choses à montrer
à droite qu’à gauche. D’où l’occupation de l’espace à gauche par
deux arbres, dont un très important, et par une colline dont la pente, soulignée
par celle de la barrière, descend vers nous. Ce n’est cependant pas du
remplissage. Les gravures de l’Encyclopédie inscrivent toujours leur
objet dans un paysage qui le met en
situation. Ici nous est ainsi rappelée une évidence –mais si cela va de soi,
ça va encore mieux en le montrant- qui est que les moulins hydrauliques se
trouvent au creux des vallées.
La gravure n’est pas là, en effet, pour faire joli
mais son propos est de donner des informations. C’est pourquoi elle est sans
cesse un compromis entre le tableau et le schéma explicatif. Ainsi elle intégrera
d’une part l’échelle, de façon amusante en profitant de la dénivellation,
et d’autre part, en toutes lettres, le nom de la rivière : Rivière
des Nonnettes (ce qui laisse supposer que le dessinateur est parti d’un
site réel, qu’il n’y a peut-être pas de bief –une vanne de décharge est
cependant représentée sur la planche 2, de notre côté de la rivière, face
au personnage accoudé-).
Par ailleurs un certain nombre de lettres permettent
des repérages, grâce au texte intitulé Description accompagnant cette
image de l’élévation d’un moulin vu en dehors. Ces indications étaient-elles
nécessaires ? Elles jouent le jeu de la vulgarisation et il est difficile
de savoir quelles étaient les connaissances du lectorat du 18e siècle.
Elles paraissent naïves quand elles signalent la roue du dehors (B),
indication évidente dont le seul intérêt serait d’annoncer une ou
d’autres roue/s à l’intérieur, ou le logement du meunier (F). Elles
sont indispensables, vu le minimum de perspective employé, quand elles
expliquent que l’homme est sur un pont et qu’il lève la vanne (D, homme
qui lève la vanne ; E, pont de pierre et, dans ce cas, le
lecteur sait-il dans quel but et aurait-il fallu lui préciser que c’était
pour régler le débit de l’eau ?). Sont-elles claires quand elles
signalent l’arc tournant (A), et s’imposaient-elles quand elles
donnent des détails sur la fabrication de la roue (C, aubes & coyaux),
spectacle permanent et particulièrement banal par ailleurs pour les gens
d’alors et détails ici sans rapport immédiat avec la meunerie. De même les
potences (G, corde servant à monter les sacs) aux lucarnes pour hisser
paille, fagots ou sacs étaient nombreuses en ville et à coup sûr repérées
parce que source de soucis pour les passants. Que le pont soit de pierre et non
de bois est une indication propre au site particulier représenté et non générique.
De même il s’agit d’une coupe passant par
l’axe de la rivière. C’est cette caractéristique qui fait basculer la
gravure du statut d’œuvre d’art vers celui de croquis explicatif. Si la
roue est présentée dans la globalité de son volume elle ne repose sur aucun
palier de notre côté et reste ainsi suspendue. Cette coupe nous montre le
profil de la vanne et le dallage du coursier, nous permet d’évaluer la
profondeur du cours d’eau, le dénivelé de l’eau à la hauteur de la roue,
de combien celle-ci est immergée.
Les personnages sont, à l’exception de celui qui
est accoudé au parapet, actifs comme le sont le plus souvent les êtres représentés
dans l’œuvre. On a choisi de lever la vanne signe de début ou d’accélération
de l’activité et non pas de la baisser, ou, de façon plus neutre, de
l’actionner. Activité, c'est-à-dire vie, également suggérée à
l’intérieur du logement par la fumée à la cheminée. De même l’âne
chargé, dont l’arrivée sur la droite est peut-être la cause de
l’ouverture du vannage, est annonce de travail. Dans ce monde champêtre où
tout paraît calme et sans souci ne nous y trompons pas : il faut y
travailler et de façon rigoureuse : deux des quatre meules représentées
sur cette planche sont en mauvais état, donc ne sauraient procurer de la bonne
farine comme les deux autres qui, elles sont parfaitement rhabillées.
Cette gravure est donc bien un instantané qui
surprend un lieu en pleine activité et nous offre une tranche de vie champêtre
sans oublier pour autant qu’elle a pour vocation de promouvoir le travail avec
ses outils, ses techniques et ses gestes. Les deux aspects sont intimement liés
et l’image devient une maquette sur laquelle convergent deux regards qui se méconnaissent
au départ : celui de l’encyclopédiste qui veut montrer et qui fait des
choix, et celui du lecteur qui sait déjà plus ou moins.