LA MOUTURE
ECONOMIQUE
Résumé d’un article de 3 pages, avec plans, de Jean–Pierre Favreau.
En 1775 le Manuel
du Meûnier & du Charpentier de Moulins du sieur Bucquet était imprimé par ordre du gouvernement, d'après
l'approbation de l'Académie Royale
des Sciences, dont Condorcet était alors secrétaire perpétuel.
On
distinguait alors trois sortes de moutures.
La mouture à
la grosse.
"Les Moulins où l'on pratique la mouture à la grosse, n'ont point de
bluteau, en sorte qu'on apporte chez soi la farine mêlée avec les sons &
gruaux".
La mouture
rustique. "Les
Moulins où se pratique la mouture rustique, ont une huche au-dessous des
meules, avec un bluteau d'étamine. Si cette étamine est assez grosse pour
laisser passer le gruau & la grosse farine avec beaucoup de son, on
l'appelle la mouture des pauvres; si
le bluteau, moins gros, sépare le son, les recoupes & recoupettes, on la
nomme mouture des bourgeois; enfin si
l'étamine est assez fine pour ne laisser passer que la fleur de farine, on
l'appelle mouture des riches".
La mouture économique.
"Selon
M. de Vauban, trois setiers de bled, produisant 450 livres de pain, suffisoient pour la nourriture du soldat. La
mouture économique, établie par le sieur Bucquet dans plusieurs Provinces du
Royaume, par ordre du Gouvernement a réduit cette consommation à deux settier
de bled qui produisent 380 livres de farine & 530 livres de pain. Cette augmentation provient de la mouture des
gruaux qu'on laissoit auparavant dans le son; parce que les vices de
construction des moulins ne permettoient pas de les remoudre, ce que le sieur
Buquet a rendu facile en perfectionnant les moulins & la mouture. La perte
de ces gruaux étoit d'autant plus considérable, qu'ils contiennent le germe du
bled, la farine la plus savoureuse, la plus substancielle, & que l'on
emploie maintenant à faire les pâtes & patisseries les plus délicates".
Bucquet définit ainsi la mouture parfaite : " Pour faire une bonne mouture, il faut
que chaque coup de meule enlève l'écorce du bled, sans y laisser de farine. La
mouture sera à son plus haut point de perfection, si l'on parvient à ne faire
pour un grain de bled qu'une seule écaille de son écorce, sans y laisser
aucune farine".
Procédés
de la mouture économique.
Le premier procédé consiste à cribler & nétoyer
le bled avant qu'il tombe dans la trémie des meules.
Le second, à le moudre de façon à ce que il ne
puisse ni s'échauffer, ni contracter
aucune mauvaise qualité, ni souffrir trop d'évaporation & de déchets.
Le troisième, à bluter en même-tems que les meules
travaillent pour séparer les diverses qualités de farines & de gruaux.
La quatrième, à remoudre les différens gruaux pour
en tirer de nouvelles farines.
La
mouture économique donne plus de pain que la rustique et de meilleure qualité
Le fait de remoudre permet d'extraire plus de farine,
66 livres de farine par la mouture rustique et près de 79 par la mouture économique,
cette dernière donnant proportionnellement plus de pain parce qu'elle prend
mieux l'eau au pétrin. Au total à partir d'une même quantité de grain, par
la nouvelle méthode on obtient 50% de pain en plus.
Réformes
à faire aux Moulins ordinaires
Si l'on peut élever un étage, au-dessus des meules,
on y placera au moins un crible normand, un crible de fer-blanc piqué & un
tarare, & l'on fera mouvoir les deux derniers par le même moteur des
meules. S'il est impossible de pratiquer cet étage supérieur au-dessus de la
trémie des meules, il faudra apporter les grains au Moulin bien nétoyés; sans
cela on ne peut faire de bonne farine.
Pour la mouture du bled, il faut que les meules
soient piquées non à coups perdus, mais en éventail ou rayons compassés du
centre à la circonférence.
Il faut ajouter sous les meules une huche divisée
sur sa largeur en deux parties. Dans la partie supérieure de la
huche, on placera un bluteau d'une seule étamine, pour tirer toute la
farine du bled. Dans la partie inférieure de la huche il faut mettre une
bluterie cylindrique, garnie de trois différentes étoffes, la première de
soie, la seconde de quintin, & la troisième de canevas ou un dodinage.
C'est essentiellement dans les proportions & dans
la monture de l'arbre & de l'anille, que consistent les plus grands défauts
de la plupart des Moulins ordinaires. Dans la plupart des moulins l'anille porte
sur les épaulements de la fusée, parce que l'une & l'autre sont mal
faites. Il résulte de ces vices de construction, qu'il n'est pas possible de
bien dresser la meule, qu'elle panche plus d'un côté que de l'autre, qu'elle
cahotte en tournant, & que le broyement du bled se fait mal.
Il y a quarante que le sieur Rousseau, Meûnier à
Saint Denis, l'homme le plus instruit alors en mécanique de Moulins, réforma
ces défauts de construction en perfectionnant les quatre petits coins de fer,
qu'on nomme Pipes, dont il combina la forme avec celle de l'anille &
du papillon, tellement qu'il vint à bout d'ajuster ses meules de manière
que la meule courante, en repos ou en mouvement reste toujours mieux en équilibre
sur son pivot, qu'elle n'y étoit auparavant. Mais cette réforme est encore
inconnue dans une grande partie du royaume, où les meules sont encore
cahotantes & montées à l'ancienne mode; ainsi il est essentiel de faire
connoître les moyens de corriger ces défauts & de dresser les
meules de manière qu'elles exécutent facilement la meilleure mouture. C'est ce
que j'ai tâché de faire en faisant connoître les défauts des plumars &
des tourillons, lorsque j'en ai fait la description à leurs articles, & en
donnant les proportions exactes de toutes les parties de l'arbre, du fer, de
l'anille, de la crapaudine & de toutes les pièces qui concourent avec elles
aux effets désirés.
Situation
en 1789 : Mémoire tendant à parer dans
tous les tems à la cherté des grains.
Dans ce mémoire on considère qu'en France 14 000
moulins pourraient être équipés
pour l'exploitation économique mais seulement 700 à 800 le sont. Or la mouture
économique produit 1/5ème de farine en plus que la mouture en
grosse et de plus les farines économique rendent environ 1/5ème de
plus en pain que celle de ladite mouture en grosse. Donc si j'en crois ces
chiffres, le rapport des productions de pain pour une même quantité de blé
est de 6/5 x 6/5 = 36/25 = 1,44.
On propose donc aux États généraux et au Roi
d'inciter les propriétaires de moulins (Abbayes, Prieurés, Chapitres, Maisons
hospitalières & communautés religieuses, Seigneurs et particuliers
Engagistes des domaines, à tous Régisseurs et receveurs de cette partie, tous
les Grands, les propriétaires non exploitants) à monter leurs moulins à l'économie
avec en contrepartie l'autorisation de casser leurs baux pour en augmenter les
prix.
Pour les Meuniers propriétaires, on propose que les
États, Provinces, Municipalités & Communes dont dépendent leurs moulins,
leur fassent les avances de fonds sur le pied seulement de 5 pour cent.
Si, contre toute attente, une partie des propriétaires
de moulins ne voulaient point entrer dans la dépense de ce changement, les
Administrations provinciales pourraient faire faire les changements nécessaires
à leurs moulins, sans cependant avancer aucun fond ...
Enfin pour déterminer les propriétaires aisés de
moulins à adopter ce nouvel usage, on publieroit une brochure gratis,
qui exposera tous les avantages réels qui résulteront de l'établissement général
de la mouture économique.
Pour faire jouir tous les Meûniers du royaume &
les habitants des campagnes des avantages de ces établissements, il
conviendroit aussi que les droits de bannalité sur les moulins fussent annulés,
afin de donner libre cours à l'émulation des meûniers pour la perfection de
la mouture, attendu que les meûniers bannaux, par l'assurance que leur bannalité
leur donneroit assez de travail, ne chercheroit pas à s'en procurer par la supériorité
de leur mouture & la fidélité dans le produit des grains convertis en
farines.
Pour se procurer de bons Meûniers, de l'intelligence
desquels dépend en partie l'avantage de la mouture économique, il faudroit dès
l'instant que ce plan de mouture sera généralement adopté, commencer par
former des écoles chez les Meûniers économiques les plus expérimentés du
royaume, tels qu'à Pontoise, Rouen, à Corbeil, dans les moulins des hôpitaux,
à Estampe, Amiens, Chartres, Melun, Nantes &c. villes où la mouture économique
est pratiquée avec plus de perfection qu'ailleurs.
Le
pain égalité 1794.
Les banalités ont été supprimées en 1793.
Bucquet annonce plus haut la production, par la
mouture économique, de 79 livres de farine et19 livres de son par quintal. Dans
les documents concernant les Moulins de l'Isle aux Cygnes, je lis qu'en 1794 la
farine est finie selon la loi à l'extraction de 18 livres de son par quintal.
On n'a plus le droit de séparer les différentes qualités de farine. Avec
cette farine on fabrique le pain égalité
que les riches et les bourgeois doivent trouver gris mais qui est sans doute
meilleur que celui qu'on fabriquait précédemment avec la mouture des pauvres.