Les
usines à huile du Calvados
bâtiments
et équipement entre 1785 et 1883
Extrait d’un article de 7
pages, avec photos et plans, par Philippe
PONSOT,
Vers 1785, dans l’actuel département du Calvados, les moulins à
huile sont peu nombreux et leur production
modeste est destinée aux besoins ,
surtout alimentaires, du marché
local. Un changement important se produit entre 1785 et 1820 lorsque se
généralise l’usage des lampes à huile nouvelles : lampe inventée par
Argand en 1781 et commercialisée par Quinquet, carcel mis au point
en 1800. Pour répondre à la demande croissante en huile d’éclairage,
la culture des graines oléagineuses se développe, les anciens moulins à huile
augmentent leur production et de nouveaux moulins,
plus importants, apparaissent.
A partir de 1820 et jusque vers 1875, la fabrication de l’huile est
une activité importante du département. L’apogée de cette industrie se
situe sous le Second Empire : le
Calvados est alors un des premiers départements pour la production et l’expédition
dans toute la France de l’huile d’éclairage. Les graines oléagineuses
proviennent des départements de l’Ouest, des
colonies et de l’étranger.
De 1875 à 1883, la fabrication de l’huile décline et disparaît dans
le Calvados à cause de la concurrence du pétrole lampant, du recul de la
culture de colza (épuisement de certains sols) et du développement des
huileries des grands ports spécialisés dans le commerce colonial.
Aux XVIII° et XIX° siècles, est appelée , «usine à huile»
toute unité de production – quelle que soit
sa taille – qui produit ou
épure de l’huile. Production et épuration sont souvent effectuées par la même
entreprise, mais parfois aussi par des entreprises distinctes. Les usines qui
ne pratiquent que l’épuration sont peu nombreuses (quelques unités
dans la première moitié du XIX° siècle, une ou deux après 1850) et toutes
localisées à Caen ; elles se caractérisent par un personnel et un équipement
réduits.
On recense dans le département du Calvados une quinzaine d’usines à
huile en 1820, quarante en 1840 , soixante en 1848 et quatre-vingts en 1860.
Si on fait le compte de toutes les usines ayant fabriqué ou épuré
de l’huile au XIX° siècle, on atteint la centaine.
Vers 1860, ces entreprises sont réparties inégalement sur le territoire
du département (fig. 1 et 2). Nombreuses entre Caen et Falaise et dans la région
de Vire, elles sont plus clairsemées dans les arrondissements de Bayeux et
Pont-l’Evêque et totalement absentes dans l’arrondissement de Lisieux.
D’autre part, les usines rurales sont beaucoup plus nombreuses que les
usines urbaines.
Les usines à huile du département ont de nombreux
traits communs : activité saisonnière (environ six mois
d’octobre à mars) , fonctionnement jour et nuit, emploi d’une main-d’œuvre
rurale et, - du moins à partir de 1830-1835 – forte intégration au marché
national et même , dans une certaine mesure, international. Mais
elles se distinguent par leur taille. On peut, en simplifiant, distinguer trois
types d’usines
Le petit moulin à manège ou hydraulique emploie moins de cinq
personnes et produit annuellement quelques dizaines de milliers de kilogrammes
d’huile:
L’entreprise moyenne de type artisanal, vers 1840, emploie une dizaine de personnes et produit 200 ou
250 000 kilogrammes d’huile ; vers 1860,
elle semble avoir doublé les effectifs de son personnel et sa
production. L’énergie utilisée est la force hydraulique ou la vapeur.
Ce type
d’entreprise est apparu au
tout début du XIX° siècle à l’initiative de négociants installés à Caen
et dans les autres villes du département ; il se rencontre en ville comme
à la campagne.
La grande entreprise de type industriel emploie plusieurs dizaines
d’ouvriers : en moyenne, une
quarantaine par usine, à Caen, entre 1860
et 1875, et plus de cent à
l’importante huilerie et savonnerie des frères Sorel, à Honfleur ;
entre 1862 et 1874. Sa production annuelle
ne nous est pas connue de façon
précise , mais elle peut être évaluée à plus d’un million de kilogrammes
d’huile. Une savonnerie est parfois associée à
l’huilerie (deux cas :
l’un à Caen, l’autre à Honfleur). Ce type d’usine, aboutissement d’un
processus d’accroissement de la taille des entreprises amorcé dès la
Monarchie de Juillet, apparaît vers 1860 : sa localisation reste limitée
à Caen et à Honfleur, deux villes
portuaires.
Ainsi coexistent au XIX° siècle des entreprises de tailles très différentes.
Nous nous proposons de décrire l’appareil de production – équipement énergétique,
machines et ustensiles, bâtiments utilisé dans le Calvados par une centaine
d’entreprises pendant le «siècle de l’huile»
(1785-1883).
Nos conclusions ne peuvent être que prudentes et provisoires. Nous
devons, en effet, poursuivre notre enquête sur les usines urbaines de type
industriel du département et les comparer aux usines à huile d’autres départements
huiliers, en particulier ceux du Nord et de Seine-Inférieure. Pourtant, dès
maintenant, deux points nous semblent pouvoir être soulignés :
De 1785 à 1883, les bâtiments et les équipements des usines à huile
du Calvados connaissent des transformations importantes. Quelle différence
entre les petits moulins de la fin du XVIII° siècle et les grandes usines
urbaines des débuts de la Troisième République !
La fabrication de l’huile est passée, de façon progressive, du stade
artisanal au stade industriel : utilisation croissante de la vapeur,
introduction de presses hydrauliques plus puissantes, augmentation de la taille
des entreprises et déplacement de la production des zones rurales vers des
villes bien desservies par la navigation maritime et le chemin de fer.
A partir de 1860, la production a une structure nettement dualiste :
elle est le fait des gros moulins hydrauliques ruraux et des usines urbaines de
type industriel. Ces deux types d’entreprises se distinguent par l’énergie
utilisée, le mode de chauffage des graines, le nombre des machines, l’ampleur
des bâtiments et l’importance de la production. Pourtant elles sont proches
par les techniques de fabrication et le type d’équipement mécanique (meules,
pilons, presses hydrauliques) ; en effet, les gros moulins hydrauliques ont
su, en s’adaptant, rester
performants jusqu’à la fin du Second Empire.