Microcentrales – La fixation du débit réservé n’est plus l’apanage du préfet.

 

Résumé d’un article de 5 pages, de Xavier Larrouy-Castera, avocat à la Cour d’Appel de Toulouse et de Pau, spécialiste en droit de l’environnement.

Les décisions qui font droit aux réclamations des exploitants de microcentrales sont suffisamment rares pour être relevées, surtout lorsqu’elles portent sur l’appréciation d’un élément qui conditionne, dans une large mesure, leur productivité : le débit réservé.

La loi n° 84-522 du 29 juin 1984, dite “ loi pêche ” va venir compléter la législation sur l’énergie hydroélectrique et réglementer les modalités d’exploitation des microcentrales par l’institution d’un débit minimal, afin de limiter leurs impacts sur le milieu aquatique et le patrimoine piscicole, dont la protection est, pour la première fois, déclarée d’intérêt général (Jean-Louis GAZZANIGA, Jean-Paul OURLIAC et Xavier LARROUY-CASTERA: L’eau, usages et gestion, Litec 1998, p.170 et s).

C’est ainsi que l’article L.432-5 du Code de l’environnement impose à tout exploitant d’un ouvrage de maintenir dans le lit du cours d’eau, à l’exception du Rhin et du Rhône, un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces piscicoles. Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au 10e du module du cours d’eau au droit de l’ouvrage correspondant au débit moyen inter-annuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l’amont immédiat de l’ouvrage, si celui-ci est inférieur.

Cependant, l’exigence d’un débit minimal varie selon qu’il s’agit d’ouvrages qui existaient déjà au 30 juin 1984, ou bien d’ouvrages à construire. Pour les ouvrages existants au 30 juin 1984, le débit minimal devait, sauf impossibilité technique inhérente à leur conception, être au moins égal, au 30 juin 1987, au quart du 10e ou du 20e du débit retenu. Pour les ouvrages à construire, c’est à dire sans existence physique ou sans existence juridique au 30 juin 1984, ainsi que les ouvrages fondés en titre faisant l’objet d’une modification nécessitant une demande de concession ou d’autorisation, les dispositions de l’article L. 432-5 s’appliquent immédiatement (Jacques GUILBAUD, la pêche et le droit, 4e édition par Pascal le BIHAN, Litec 1992 p. 212; Benoît GUEVEL, Code commenté de la pêche en eau douce, éd. De VECCHI S.A 2002 p. 103).

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1.- L’application de cette règle, à raison de sa rédaction même, allait être source de difficultés et c’est bien souvent au juge qu’il est appartenu d’en préciser la portée, en consacrant un pouvoir discrétionnaire important au Préfet dans la fixation du débit réservé.

La liberté de l’administration est d’autant plus grande dans la fixation du débit réservé que la règle du 10e du module fixée à l’article L. 432-5 est la valeur plancher à retenir, ce qui signifie que ce débit peut être supérieur à ce 10e. Le juge administratif a expressément consacré le pouvoir de l’administration d’aller au delà du minimum requis par la législation (CE 15 avril 1996 M. MORTERA, req. n° 140 965 ; dans le même sens, TA CLERMONT-FERRAND, 8 décembre 1999, M. GENDRE, req. n° 9887, RJE 2/2000, p. 235).

Le non-respect du débit minimal peut aussi justifier le refus d’autoriser la construction d’une centrale hydroélectrique, surtout si le cours d’eau concerné est encore indemne de toutes nuisances (CE 10 février 1995 Secrétaire d’Etat auprès du Premier Ministre chargé de l’environnement c/ M. ALIZERT req. n° 108340). L’article L. 432-5 du Code de l’environnement permet également au Préfet de prescrire à l’exploitant des obligations relatives à l’installation d’une passe à poissons, d’une grille pour empêcher la pénétration des poissons dans la conduite forcée de l’usine et interdire à cette dernière de fonctionner par éclusées (CE 13 mars 1998 M. REMY req. n° 148530) ou enfin obliger l’exploitant à entretenir un îlot et une île boisée (CE 23 mars 1998 SARL HYDROELECTRIQUE MENGES req. n° 158591).

Ces solutions jurisprudentielles laissent à penser que les pouvoirs de l’administration sont extrêmement larges, ce d’autant que le champ d’application de l’article L. 432-5 s’avère particulièrement étendu.

C’est ainsi qu’il a été jugé que, si au terme de l’article L. 231-6 du Code rural (art. L. 432-6 du Code de l’environnement), le débit minimal n’est pas applicable aux piscicultures, en revanche il trouve à s’appliquer à un barrage situé à 200 m en amont d’une pisciculture dès lors que ce barrage, bien que constituant un élément au fonctionnement hydraulique, est distinct de l’exploitation piscicole elle-même (CE 30 juin 1995 M. LUCAS req. n° 146358: R.D.rur. 1998, p. 532 et note R. LE MOAL et A. GAONAC’H; solution confirmée par CAA BORDEAUX 9 janvier 1997 M. POMAREZ req. n°93BX00767).

2.- Cependant, la présence d’un pouvoir discrétionnaire ne signifie pas liberté totale.

La décision ici rapportée en atteste et montre que le juge, depuis la loi du 3 janvier 1992 et ses décrets d’application, dispose de pouvoirs nouveaux permettant de faire contrepoids à la liberté dont se croyait investie l’administration.

Même si le Préfet est doté de pouvoirs importants, l’arrêté préfectoral d’exploitation doit motiver les raisons pour lesquelles il est fixé un débit réservé d’une valeur supérieure à celle que commanderait l’application « mécanique » de l’article L. 432-5 du Code de l’environnement.

Cette obligation de motivation s’inscrit dans celle, plus générale, résultant de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs.

Dans l’arrêt du 31 mars 2004, commenté dans la revue d’avril, le Conseil d’Etat fait grief à l’arrêté interpréfectoral de fixer un débit réservé qui ne repose sur aucune justification particulière.

La valeur du débit réservé d’un aménagement ne peut être fixée a priori par l’administration et doit résulter de l’étude d’impact ou du document d’incidence et en particulier de son volet hydrobiologique (Rép. Min. n° 65825, JO A.N, 14 janvier 2002, p. 170).

 

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