Isère – Moulins et artifices de Roybon depuis le Moyen-Age

Résumé d’un article de 3 pages avec photos, de Thierry Marchand.

Le moulin des Carmes au Moyen-Age.

Le premier moulin de Roybon apparaît en 1294, dans la charte de franchises dont la ville bénéficie. En effet, fondée à la fin du XIIIe siècle, sous l’impulsion des Dauphins, la Ville Neuve de Roybon bénéficie d’avantages fiscaux et d’exemptions, notamment pour ceux qui acceptent de peupler ce mandement peu fertile et assez hostile. Le moulin est  ensuite cité pendant 40 années, entre 1313 et 1354, dans les comptes domaniaux qui reprennent les comptes que le châtelain devait fournir chaque année aux représentants du Dauphin, en général à la saint Jean-Baptiste. Nous savons ainsi qu’en 1313 la ferme du moulin rapporte au Dauphin du seigle, exactement 42 sestiers eyminé, et que les moulins produisent aussi du froment et de l’avoine.

Le moulin est donné en récompense « en fief » à un autre seigneur des environs, Damien Gotafrey, de Bressieu, pour les années 1340 à 1342, avant d’être pris en concession par les Carmes de Beauvoir, à partir de 1343.

Rivalités de clocher  sous l’Ancien Régime.

Ce moulin figure sur un plan daté de 1558, représentant la vallée de la Galaure entre Roybon et  Montfalcon, il y a en fait deux moulins à grains dans le même bâtiment : un grand moulin, appelé le moulin blanc, consacré au froment et un plus petit, appelé le petit moulin, utilisé pour le seigle et l’avoine.

L’histoire des moulins de Roybon sous l’Ancien Régime est surtout empreinte de procès, de contestations des droits de cens, de luttes contre les privilèges et les monopoles des Carmes. Ceux-ci  ont d’ailleurs bien du mal à maintenir leur banalité, c'est-à-dire leur droit d’avoir des moulins sur le territoire de la seigneurie et de contraindre les habitants d’y moudre leur blé en payant une redevance de 70 sestiers de froment et autant de seigle à la cotte du onzième grain.

Les Carmes n’étant pas sur place pour recouvrir leurs loyers et ayant du mal à contrôler leurs droits d’exclusivité sur l’activité des moulins, ils les louent au châtelain. Celui-ci leur verse une rente sous la forme d’un partage des produits, appelée « arrentement ». Un meunier exploite alors le moulin pour le compte du châtelain devenu gérant. Cette mise en location est précédée d’une inspection et d’un inventaire des travaux à effectuer pour maintenir le moulin dans un état de marche minimum. Deux meuniers « experts » procèdent à cet inventaire.  L’intérieur du moulin comprend une chambre du côté de la bise, donc au Nord, et une chambre basse appelée « chambron », un grenier avec un escalier en mauvais état appelé « degré », une cheminée, un vieux plan rompu en plusieurs endroits …

Les installations techniques sont ensuite décrites, souvent avec des mots patoisants difficilement traductibles aujourd’hui :

« Les liens Lamat La Recle et Entremais sont de peu de valeur … deux cercles de fer font le tour des meules … la meule du grand moulin est française et a neuf pouces d’épaisseur ». La meule gisante du petit moulin, appelée parfois Jat ou "jaz" dans le texte, est aussi française et a cinq  pouces d’épaisseur. « Une cuillère de fer fort usée  sert à la modure », version locale de la mouture. Un coffre fermant à clef pouvant contenir dix ou douze setiers figure aussi à l’inventaire. « Le gourgoureau est neuf ». Il s’agit ici du gourgouran, un tissu de soie servant de tamis pour le blutage. Contrairement au « plantement », base de la meule gisante, le rouet est en pauvre état. Cependant, le « planchement » où l’on marche est en bon état …

Les inventaires confirment aussi que les roues de ce moulin sont des rouets horizontaux placés sous le moulin.Comme sur la carte Cassini, l’enquête sur les moulins à blé de 1809 révèle que Roybon compte 4 moulins à eau. Ils produisent alors 5 000 livres de farines par an.

Age d’or et décadence des draperies à l’époque contemporaine.

En 1745, le sieur Rambert, tondeur de draps au bourg de Roybon, construisit une écluse sur la Galaure, à la limite de Montfalcon, pour alimenter la prise d’eau de son foulon.

Dans le tableau des fabriques et manufactures du département de l’Isère de 1807, Céleste Allibe, fabricant de draperies à Roybon dont le  moulin porte encore le nom sur le cadastre de 1826, emploie 80 ouvriers. Les Roybonnais fabriquent alors 13 000 pièces de ratine de 50 aunes sur 4/4 par an.

Cependant, la fabrique, et donc les moulins à draps, déclinent du fait des difficultés de communication de cette vallée enclavée dans la forêt de Chambaran, de l’industrialisation depuis la Révolution, de l’abolition des règlements et de la circulation de mauvaises marchandises. Mais en dehors de ces considérations, notamment l’enclavement de Roybon, nous voyons bien que la fabrique n’a pas pu, ou pas su, adapter son produit à un marché libéralisé depuis la Révolution et dépasser le stade de la proto-industrie.

A l’emplacement d’un moulin appelé « moulin de la veuve Guichard », le cadastre de 1826 confirme l’existence d’une filature sur la Galaure, appelée « Mécanique de Marchand », à l’extrémité d’une écluse, d’un canal et d’une serve. D’ailleurs, un moulin est déjà représenté à cet endroit sur la carte Cassini vers 1762.

Lorsque Celeste Allibe demande, en 1825, l’autorisation de transformer ses artifices comprenant des foulons, un pressoir à huile et un battoir, en moulin à farine, il s’oppose à un autre propriétaire de moulin, la veuve Guichard. Elle n’accepte pas  l’agrandissement de la serve Allibe et les conséquences que cela aurait sur son propre moulin, situé en aval. Un autre propriétaire s’oppose aussi à la transformation de ce moulin, c’est le propriétaire de l’ancien moulin des Carmes, M. Mourand. Une pétition est alors rédigée. Les opposants expliquent qu’il y a déjà deux autres moulins à Roybon, celui de sieur Sebelin, inactif depuis 1818, et celui  du sieur Simien situé dans la combe Grignon, en amont de Roybon. Il est d’ailleurs probable que le Sebelin en question  ait des liens avec celui qui était en procès avec les Carmes en 1763. Quant au sieur Simien et son moulin, ils nous sont inconnus à ce jour.

Les auteurs de la pétition précisent aussi qu’il n’y avait que deux moulins à Roybon jusqu’à la Révolution et qu’il y en a maintenant six dispersés dans la vallée sur moins de cinq kilomètres

Les vestiges.

L’ancien moulin des Carmes est maintenant noyé dans l’urbanisation du bourg, surplombé par l’église, et difficilement identifiable à l’extrémité d’un canal de 900 mètres comblé de terre mais encore bordé d’arbres. Une structure de roue demeure chez un particulier car un moulin à grains a fonctionné jusqu’au milieu du XXe siècle.

Le moulin du sieur d’Allibe et la Mécanique de Marchand  ont disparu, même si quelques bâtiments subsistent, encore entourés par de rares canaux. L’installation d’une scierie puis d’une production horticole a, en partie, remodelé le paysage.

Comme nous l’avons vu, le foulon du sieur Rambert et la scierie à eau ont aussi disparu, remplacé par l’installation d’une taillanderie en 1835-1838, elle-même emportée par les crues de 1917.

Nous avons ainsi mis en évidence huit moulins sur moins de cinq kilomètres, dont la variété fait la richesse de cette petite vallée, frontière entre la Drôme et l’Isère

Nous remercions Michèle Pistone, Alain Belmont, Daniel Postic et la mairie de Roybon pour leur aide, et spécialement Raymond Moyroud pour ses recherches documentaires si précieuses, notamment au sujet du moulin des Carmes.

 

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