De la montagne sous-vosgiennne à la basse vallée de l’Ognon
Un pays au fil
de l’eau et une innovation technique :
la turbine
hydraulique Fourneyron (XIXe siècle)
par Daniel Curtit. Article de 4 pages avec plans.
L’auteur a
également publié en 1993, « La
lanterne et le hérisson », visite aux moulins des Vosges Saônoises.
Tome 1, L’eau et les pierres.
Définition du moulin, des meules et des ribes, roues et turbines, fabrication
des meules, trempe des marteaux, construire une roue, installer une turbine. 112
pages 21 x 29,7, cartes, croquis et photos.
Tome 2, L’eau qui travaille. Traité de l’évolution des moulins, alimentation, le travail du bois, du métal, textile, papier, verre, granit, etc. 128 pages 21 x 29,7, cartes, croquis, photos couleurs, lexique.
Editeur : Société d’Histoire et d’Archéologie de Lure. 27, rue Charles Fréchin 70200 Lure.
La moyenne vallée de l’Ognon a vu l’expérimentation de la première
turbine hydraulique, qui s’est ensuite amplement diffusée dans la montagne
sous-vosgienne. Et si la mémoire de cette industrialisation à la campagne
pouvait contribuer à la réflexion sur l’activité économique des « pays
verts » ? ne pas être seulement un élément de richesse culturelle ?
Encore faudrait-il que les éléments les plus caractéristiques de ce
patrimoine du travail demeurent dans le paysage … Pourquoi l’usine, la
machine, la roue de moulin, la conduite forcée (représentée sur certains vitraux d’églises, comme dans la vallée alpine de la
Romanche)… seraient-elles forcément inesthétiques ? Antinomiques, la
beauté et l’utilité ? L’esprit du mécanicien et celui de l’artiste ?
Voyez Léonard de Vinci…
De la pluri-activité
montagnarde au monde des forges.
Le
paysage sous-vosgien a le chatoiement et la pétulance de l’eau vive : un
tissu pastoral et artisanal qui perdura très avant dans le XXe siècle.
Au cœur du plateau trônait un petit moulin paysan qui avait l’alimentaire
pour souci primordial. Dès que le bois se substituait à l’herbe, sur la
couronne plus montagnarde et forestière du haut pays, le moulin travaillait
moins les subsistances que les substances : scies à eau, moulin à tan,
clouteries, foulons essaimèrent sur le chevelu hydrographique. De cette complémentarité
d’activités témoignent aujourd’hui, derniers témoins, le moulin Bégeot,
à Melisay, et le haut-fer rénové par Georges Tuaillon, entre Servance et
Miellin. Par contre, fort peu d’usines à fer ; fourneaux et forges se
sont dissociés et éloignés des sites miniers de la montagne. Il faut
descendre la vallée pour rencontrer les forges : Magny Vernois,
Saint-Georges, Vifllersexel, Bonnal, Pont-sur-l’Ognon, Montagney, Loulans,
Larians…
A
l’heure où la Haute-Saône perdait sa prééminence dans le paysage métallurgique
français (plus que 3 hauts fourneaux en 1880 contre 37 encore en 1856), se
mettait en place le tissu d’une métallurgie diversifiée que les Vosges saônoises
accueillaient favorablement. A la veille de la première Guerre Mondiale,
sur les 54 usines métallurgiques du département, 16 étaient situées dans la
montagne sous-vosgienne et employaient environ 1 700 ouvriers. Dans la basse
vallée, à peine 300 ouvriers se répartissaient dans les forges et fonderies.
Ce contraste entre déclin ou essor de l’industrialisation, que l’on observe
entre basse et haute vallée de l’Ognon, ne s’explique pas forcément par
l’attitude rentière d’une noblesse très présente qui possédaient bon
nombre de forges au début du XIXe siècle, ces propriétaires surent
s’entourer de collaborateurs efficaces, qui devinrent à leur tour de hardis
entrepreneurs…
Benoît Fourneyron et l’expérimentation
de la première turbine hydraulique.
C’est
à ces lieux que l’on rencontre l’ingénieur Benoît Fourneyron ,
mettant au point la première turbine hydraulique..
La venue
d’un ingénieur hydraulicien en cet endroit peut surprendre : Benoît
Fourneyron quittait, à la fin de 1821, l’un des plus importants centres
industriels français, celui de Saint-Etienne, pour la Haute-Saône. Il n’a
que 19 ans et a déjà travaillé, après sa sortie de l’Ecole des Mines de
Saint-Etienne dans les
exploitations minières du Creusot. Or la famille de Pourtalès, actionnaire au
Creusot, est aussi propriétaires à Magny Vernois, ainsi que de nombreuses usines. Fourneyron a pu
rencontrer celle-ci en Saône-et-Loire, au moment où elle songeait à convertir
en forge à l’anglaise les anciens moulins de Pont-sur-l’Ognon.
Tous les
ingénieurs avant lui avaient buté sur la réalisation pratique des deux
principes théoriques auxquels obéit le moteur hydraulique : l’eau doit
pénétrer sans choc dans l’appareil destiné à en transmettre la force et
doit en sortir sans vitesse… Le 26 avril 1827, à Pont-sur-l‘Ognon, l’ingénieur
des Mines de la Haute-Saône, procédait aux essais d’un nouveau type de
turbine installée sur une chute de 1,40 m, délivrant une puissance d’environ
6 chevaux, tournant à 60 tours/minutes et donnant un rendement de 83%., la
première turbine hydraulique exploitable était née.
Benoît
Fourneyron quitta ensuite Pont-sur-l’Ognon pour Besançon. Les deuxième et
troisième turbines furent destinées à des forges jurassiennes En 1843, Benoît
Fourneyron avait répondu aux commandes de 129 établissements ! La gloire
de cet ingénieur s’affirma surtout avec l’équipement des filatures de
Saint-Blaise, en Forêt Noire (1835), qui exploitait des chutes de 108 et 114 mètres,
faisant l’admiration des spécialistes de l’époque. Jusqu’au début des
années 1840, la plupart des turbines du monde occidental furent construites aux
ateliers Crozet-Fourneyron du Chambon-Feugerolles (près de Saint-Etienne).
La
concurrence ne commença qu’ensuite, avec l’apparition de nouveaux
constructeurs de turbines (Fontaine-Baron à Chartres, Jonval-Koechlin,
Girard…).
Remarquons
également que la technique française des turbines hydrauliques fut très tôt
diffusée aux Etats-Unis, reprise par des ingénieurs américains dont le nom
est aujourd’hui associé à la plupart des modèles de turbines : James
B. Francis (1815-1892), Lester Pelton (1829-1908)… Le nom de Fourneyron est hélas,
beaucoup moins connu. L’homme resta toute sa vie (1802-1867) un artisan aux
turbines étudiées et construites à l’unité
C’est
cette situation, au confluent de l’artisanat, de l’industrie et de la
science, qui rend le parcours de Benoît Fourneyron si intéressant. Son passage
à Pont-sur-l’Ognon ne méritait pas tout à fait l’oubli. La seule turbine
Fourneyron encore observable, à notre connaissance, se trouve au musée des
Arts et Métiers, à Paris.
Sur Fourneyron, on ne connaît jusqu’alors que l’étude non publié
de J-P. Deleage, « Benoît Fourneyron et l’invention de la turbine
hydraulique » C.N.A.M., Université Paris I, 1983.
On rappellera aussi tout l’intérêt
que présente le réseau « Force de l’eau » impulsé par le Parc Régional
des Ballons : 12 sites sont actuellement visitables, l’huilerie de
Storckensohn et la scierie de Ban-sur-Meurthe ont reçu chacune, en 2000, plus
de 5 000 visiteurs.