Lettre des Juristes de l'Environnement
Le
démantèlement des ouvrages hydrauliques :
Un droit ancien menacé
Par Soledad LEMBOURG
Juriste Environnement Sialis
Depuis
l’antiquité, les hommes aménagent les cours d’eau pour satisfaire à différents
usages : lutte contre les inondations, loisirs, navigation, irrigation etc. Au
fil des siècles, ces derniers ont permis de contribuer à l’essor industriel
de la France. Effectivement, les usines utilisaient autrefois l’énergie
hydraulique des cours d’eau pour répondre à leurs différents besoins (usine
de textile, usine à papier, fonderie). Aujourd’hui, très peu d’usines
utilisent encore cette énergie hydraulique, puisque l’industrialisation a
permis de développer des systèmes de production plus performants. Les moulins
contribuent toujours à la satisfaction des usages qui pouvaient en être faits
autrefois, mais ils répondent également à de nouveaux enjeux majeurs tels que
la lutte contre le réchauffement climatique.
I – La remise en cause d’un droit
ancien. Au-delà de
ces différentes fonctions qu’ils exercent en faveur de l’Homme et des écosystèmes
aquatiques, les moulins sont reconnus comme le 3e patrimoine de France. En
effet, ces derniers ont façonné le paysage de nos cours d’eau, forgeant
aujourd’hui l’identité culturelle et historique de la France. Par ailleurs,
les moulins confèrent également à leur propriétaire un droit très ancien.
En effet, les propriétaires riverains disposent d’un « droit d’eau ».
Celui-ci ne constitue pas un droit de propriété, mais un droit d’usage de
l’eau et de sa force motrice. Ce règlement d’eau permet notamment de
justifier l’existence légale de l’ouvrage, un document important pour le
propriétaire. Aussi, lorsque le moulin en question existe depuis bien avant la
révolution, le propriétaire dispose d’un droit d’eau « fondé en titre »
inaliénable. Le Conseil d’Etat reconnaît notamment par une décision du 7 février
2007 qu’« un droit fondé en titre ne peut se perdre que lorsque la force
motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisé par son détenteur,
du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels
destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau , en revanche ni
la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels
au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment
auquel le droit de prise d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature
à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit ».
Cependant,
l’existence des moulins en tant que 3e patrimoine et du droit qu’ils confèrent
à leurs propriétaires sont aujourd’hui menacés.
La politique française de l’eau s’est engagée pour atteindre
l’objectif européen de bon état, vers une restauration de la continuité écologique
des cours d’eau. Une importante inflation règlementaire s’est donc opérée
dans ce sens. De nombreux outils ont été adoptés et consolidés pour garantir
la libre circulation piscicole et le transport sédimentaire (caractéristiques
de la continuité écologique). Parmi eux, le classement des cours d’eau et le
PARCE sont particulièrement remis en cause par les propriétaires de moulins.
Effectivement, ces outils considèrent les seuils des moulins comme la
principale cause de dégradation des cours d’eau et pour lesquels, le démantèlement
doit être activement favorisé. La
mise en œuvre de ce processus de démantèlement a suscité de vives réactions
de la part d’un grand nombre de propriétaires qui se sentent lésés. Ces
derniers considèrent que la politique de démantèlement engagée par
l’administration, remet totalement en cause leur droit et un patrimoine qui a
forgé l’identité de la France. Alors, afin de préserver ce patrimoine et de
faire valoir leur droit, ces derniers se sont activement mobilisés.
II – La participation active des
associations. Les associations de protection des moulins au sein desquelles un grand
nombre de propriétaires ont adhéré sont particulièrement dynamiques. Il faut
d’ailleurs souligner les nombreuses actions qu’a engagées la Fédération
française des Associations de sauvegarde des moulins (FFAM). Par exemple en
2010, cette dernière a formé un recours devant le Conseil d’Etat contre la
circulaire ministérielle du 25 janvier 2010 relative à la mise en œuvre du
PARCE. En effet, la FFAM considère que cette circulaire méconnait totalement
la réglementation existante applicable aux ouvrages hydrauliques et leur caractère
patrimonial et énergétique. Suite à la formulation de ce recours, le Conseil
d’Etat s’est prononcé dans une décision du 14 novembre 2012 se traduisant
par une annulation partielle de la circulaire de 2010. Par cette décision, le
Conseil d’Etat précise que « les
services de l’Etat ne peuvent intervenir sur les cours d’eau que dans le
respect de la législation et règlementation existantes ». Il prononce
plus particulièrement l’annulation de la circulaire en ce qui concerne
l’interdiction d’installation de nouveaux ouvrages hydroélectrique sur des
cours d’eau classés en liste 1 de l’article L 214-17. Cette décision
permet de conforter la FFAM dans ses actions visant la protection des moulins de
France. (A noter que le conseil général de l’environnement et du développement
durable a publié en mars 2013, un rapport dans lequel il exprime les raisons de
la contestation de cette circulaire).
Dans la
continuité de ces actions, la FFAM a également saisi le 24 septembre 2012 le
Tribunal Administratif d’Orléans, d’une demande d’annulation des arrêtés
de classement des cours d’eau Loire-Bretagne en listes 1 et 2 au titre de
l’article L 214-17 du Code de l’environnement. En effet, la FFAM considère
que la mise en œuvre de ces arrêtés de classements n’ont pas fait l’objet
d’une concertation, telle que le préconise la Convention d’Aarhus.
D’autre part, elle estime que ces derniers n’ont pas apprécié à sa juste
valeur le principe de gestion équilibrée de la ressource en eau, laquelle prévoit
de concilier la préservation de la ressource avec les différents usages.
Par ailleurs,
il faut particulièrement citer un exemple symbolique de la lutte contre le démantèlement
des ouvrages hydrauliques exercé par la FFAM. Le barrage de Bigny situé sur le
Cher, fut d’abord construit pour répondre aux besoins d’une usine de
manufacture puis utilisé jusqu’aujourd’hui pour la production d’énergie
renouvelable. Cependant, dans le but de rétablir la continuité écologique de
cette partie du Cher telle que le préconise la LEMA de 2006, l’administration
choisit de procéder à son démantèlement. En 2001, le préfet fixe par arrêté
préfectoral l’autorisation de démanteler. La procédure d’autorisation que
nécessite une telle opération est très complexe, mais, dans le cadre du
barrage de Bigny celle-ci n’a pas été totalement respectée. Dans un tel
contexte, le propriétaire du barrage a formé conjointement avec la FFFAM un
recours devant le Tribunal Administratif d’Orléans, tendant à annuler
l’arrêté d’autorisation de démanteler. Dans une décision du 18 juin
2013, le Tribunal prononce l’annulation de l’arrêté préfectoral
d’autorisation d’araser.
Il est
important de mettre l’accent sur le fait que d’autre recours ont été formés
par la FFAM. Les principaux recours jusqu’alors formés pour préserver les
moulins de France, ont généralement été accompagnés d’une décision
favorable. L’annulation de certaines dispositions règlementaires par les différentes
juridictions prouve qu’il existe un certain nombre d’imperfections dans la
mise en œuvre de la restauration de la continuité écologique. En effet, la réglementation
adoptée dans le cadre de cette restauration ignore un certain nombre de
facteurs et de principes fondamentaux. Elle méconnait les autres règlementations
avec lesquelles elle doit s’articuler (la réglementation relative aux
ouvrages hydrauliques, la réglementation relative à la transition énergétique).
Elle méconnait également des enjeux majeurs, puisque le démantèlement d’un
ouvrage hydraulique se traduit par la perte d’un patrimoine fort, d’une énergie
renouvelable nécessaire pour lutter contre le changement climatique, de refuge
pour les espèces aquatiques en période d’étiage.
S’il s’était
avéré que les ouvrages constituaient la première cause du déclin des
migrateurs et de la dégradation de la qualité des cours d’eau, à l’heure
actuelle plus aucun cours d’eau ne serait peuplée par ces espèces. Voir mémoire : http://www.moulinsdefrance.org/doc/Memoire
et http://www.moulinsdefrance.org/doc/Droit_des_cours_d'eau.ppt