Le moulin et la loi

Lettre aux Elus

Extraits de l’intervention de la présidente de la FFAM dans le cadre
des conférences du G8 patrimoine, le 8 novembre 2012 au Salon du Patrimoine culturel à Paris.

 

La directive cadre européenne sur l’eau (2000/60/CE), souvent plus simplement désignée par son sigle DCE, est une directive européenne du Parlement européen et du Conseil prise le 23 octobre 2000, elle oblige les Etats à protéger, améliorer et restaurer les eaux de surface afin d’obtenir un bon état de ces eaux en 2015, en tenant compte des besoins environnementaux et sociaux de façon globale, durable et équilibrée.

Dans une traduction partisane de la DCE, la France a introduit la notion de "continuité écologique" qui, selon elle, doit permettre d’atteindre le bon état des eaux en 2015. Cette notion est basée sur deux postulats : la circulation des poissons migrateurs et le transit des sédiments, induisant la suppression ou l’abaissement des seuils et barrages de moulins. Principes indémontrables ou non démontrés- car jusque dans les années 1960/70 la majorité des cours d’eau étaient propres et poissonneux, et, jusqu’à cette époque, les moulins et barrages étaient plus nombreux que maintenant et correctement gérés.

Il faut rappeler que depuis 1790 tous les ouvrages hydrauliques sont reconnus et/ou autorisés par les services de l’État; différentes lois les ont toujours pérennisés ; de même la jurisprudence, et encore aujourd’hui. La bonne gestion des vannages, sous tutelle des services hydrauliques des Ponts et Chaussées, était une obligation pour les propriétaires de ces ouvrages.

Depuis la seconde moitié du XX° siècle, beaucoup de ces ouvrages n’ont plus été utilisés pour la force hydraulique. Il n’en reste pas moins que leurs droits ont perduré. Dans le même temps, les services de l’État n’ont plus assuré leur tutelle, pouvant aller jusqu’à ne pas conserver les archives d’autorisation qu’ils avaient la charge de conserver.

La circulaire ministérielle du 25 janvier 2010, dite circulaire Borloo, entretenant par ailleurs un double langage que l’on retrouve en permanence, demande aux services de l’État de privilégier la suppression ou l’abaissement des seuils de façon autoritaire.

Tous ces ouvrages ont des droits administratifs, mais leurs propriétaires n’ont pas été consultés en tant que tels lors des consultations prévues par les textes. Ils ont été fondus dans la catégorie "riverains", donc sans représentation spécifique. Le directeur de la communication de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne a écrit en 2008 : "Les rivières devront revenir à leur état naturel le plus rapidement possible... Les prescriptions qui seront faites – à leurs propriétaires - très prochainement seront telles qu’ils n’auront pas les moyens d’installer les dispositifs nécessaires…"

Lors d’une réunion à Toulouse début 2012, le bureau chargé de l’étude d’impact de ces classements pour la région Midi-Pyrénées annonçait que l’impact patrimonial n’était pris en compte que pour les monuments classés MH ou inscrits ISMH et que l’acceptation sociologique n’était pas prise en compte.

En adjonction à la circulaire Borloo, la loi a prévu un reclassement de tous les cours d’eau en France ; la liste 1 interdira tout nouvel ouvrage, et la liste 2 entrainera l’obligation pour les propriétaires de faire réaliser à leurs frais et sous cinq ans des dispositifs permettant la circulation des poissons migrateurs. (Notons qu’une sommité du ministère a déclaré l’année dernière que tous les poissons étaient migrateurs puisqu’ils circulent dans l’eau !).

Cette politique ministérielle est relayée par les 6 Agences de l’Eau, grandes pourvoyeuses d’études de bassins versants effectuées par des bureaux d’études dont l’administration est le principal client.

Nous risquons donc, si ces classements sont actés selon les propositions imposées, de nous trouver avec un patrimoine dont une grande partie pourrait être détruit, l’autre partie étant figée dans l’état où il se trouve pratiquement sans possibilité d’entretien, la Police de l’eau et l’ONEMA s’opposant à toute intervention sans un parcours administratif nécessitant des dossiers établis par des bureaux d’études, pour des coûts jamais moindre de 5 000 euros pour un simple entretien de bief. En outre, le législateur n’ayant pas prévu la publication des listes d’espèces, la mise en conformité immédiate ou dans les cinq ans serait laissée à l’arbitraire éventuel des agents de l’ONEMA et des fédérations de Pêche. Ajoutons qu’en fonction de la rédaction du L 214-17, "une charge spéciale et exorbitante" pesant sur les propriétaires ou exploitants engendrera inévitablement de très nombreuses impossibilités, voire des contentieux, qui ralentiront encore une mise en œuvre déjà délicate.

De très nombreuses destructions d’ouvrages hydrauliques, même fonctionnels, sont en cours. Tout un pan de notre patrimoine, de ses paysages et des équilibres écologiques risque de disparaître, ainsi que le réservoir d’énergie propre et renouvelable qu’il détient.

Dans beaucoup de départements, de nombreuses personnes, en sus des propriétaires de moulins, et y compris des pêcheurs s’étonnent de l’incohérence entre une volonté affichée de suppression des seuils et les arrêtés préfectoraux d’interdiction de relevage des vannes en périodes d’étiage ; périodes ayant l’air de se renouveler depuis quelques années, à tel point qu’il est envisagé de rétablir des retenues d’eau, notamment en bassin Adour-Garonne.

Après avoir remembré les territoires, supprimé les haies, recalibré les cours d’eau, favorisé la pose de clapets automatiques très souvent illégaux, etc..., l’administration décrète arbitrairement un nouveau dogme : il nous faut empêcher cette stupidité irrémédiable.

Nous avions demandé, il y a quelques temps, à des parlementaires d’intervenir auprès du président du Comité National de l’eau : une bonne centaine l’a fait sans rien obtenir d’autre en réponse qu’un courrier insipide par son double langage, parfois signé de la ministre elle-même. Face à une administration autoritaire qui ne conçoit la concertation que comme une chambre d’enregistrement, nous sommes très angoissés.

Nous avons fait au ministère des propositions alternatives – entre autres la gestion coordonnée, voire automatisée des vannages – qui permettraient une préservation des ouvrages tout en satisfaisant à un cours naturel des eaux. Ces propositions, acceptées verbalement mais sans enthousiasme par la Direction de l’Eau, n’ont pas reçu de réponse officielle alors que les services de l’État continuent de mettre en œuvre les préceptes de la circulaire du 25 janvier, avec toutefois beaucoup de difficultés, compte tenu d’oppositions de plus en plus nombreuses d’élus qui commencent à évaluer les incidences engendrées, y compris financières.

Les deux arrêtés de classement des cours d’eau du Bassin Loire-Bretagne – liste 1 et liste 2 – ont été signés le 10 juillet dernier et publiés au JO le 24 juillet. Cela concerne plus de 66 000 km de cours d’eau. Ceux du Bassin Artois-Picardie l’ont été le 2 juillet, mais apparemment non encore parus au JO. Rappelons que la date d’entrée en vigueur des classements est celle de la parution des arrêtés au JO, ce qui est d’ores et déjà effectif pour Loire-Bretagne.

Ces arrêtés représentent une mort programmée des moulins et ouvrages hydrauliques situés sur les cours d’eau concernés, compte tenu des contraintes aussi bien financières publiques et privées qu’administratives, qu’ils engendreront.

Le projet de circulaire d’application de ces classements (L214-17 du code de l’Environnement) reprend les bases de la circulaire du 25 janvier 2010. Aucun des arguments que nous avons produits n’a été pris en compte. Bien qu’il proteste de vouloir supprimer les seuils de moulins, le projet a bien cet objectif en point de mire et met à la charge de leurs propriétaires des obligations d’études, par ailleurs dans un contexte mal défini, que très peu pourront assumer ; et ce d’autant plus que le personnel administratif en charge de l’instruction des dossiers est trop peu nombreux et mal formé, comme l’avait reconnu le directeur-adjoint du cabinet de la ministre lors du rendez-vous du 30 août dernier. Nous persistons à dire que l’application de ces classements ne pourra être mise en œuvre pour de multiples raisons.

Le 24 septembre, la FFAM, représentée par Me J.-F. Rémy, avocat au Barreau de Nancy, a déposé un recours contentieux contre les arrêtés de classement des cours d’eau en Loire-Bretagne. Elle a saisi le juge du Tribunal administratif d’Orléans d’une demande en annulation des arrêtés du Préfet du Loiret (préfet coordonnateur de bassin) du 10 juillet 2012 portant sur les listes 1 et 2 des cours d’eau classés au titre de l’article L 214-17 du Code de l’environnement.

Conclusion

Depuis que l’on parle d’énergies renouvelables, les moulins ont suscité un regain d’intérêt, puisque pouvant produire une énergie propre et renouvelable.

Un rapport officiel pour le Ministère de l’Industrie de 2006 (rapport Dambrine) estimait que les moulins existants représentaient l’équivalent d’une tranche nucléaire, mobilisable immédiatement, sans déchets, sans infrastructures complémentaires de distribution et réparties sur l’ensemble du territoire.

Or la conférence environnementale des 14 et 15 septembre derniers ne cite pas une seule fois l’hydraulique qui a pourtant sa place dans le mix énergétique prévu pour 2015. Au contraire le postulat de « continuité écologique » est réafffirmé.

Et remettre en fonction un ouvrage hydraulique, fondé en titre et/ou réglementé, dont tous les organes sont fonctionnels, peut être assimilé à un parcours du combattant, souvent sans succès malgré les sommes engagées sur prescription des différents services de l’État.

Rendre les ouvrages de moulins fonctionnels - lorsqu’ils ne le sont plus du fait du laxisme partagé entre l’administration et leurs propriétaires - permettrait en même temps de rendre le fonctionnement les cours d’eau plus naturel et d’exploiter une source d’énergie dont toutes les infrastructures existent.

Cela ne nécessiterait aucune autorisation ni travaux complexes, satisfaisant ainsi et la DCE 2000 et la DCE sur les énergies renouvelables.

Des prêts (R 213-12-2), remboursables, éventuellement par convention en cas de transmission foncière, permettraient sous deux ou trois ans d’obtenir des résultats que la politique actuelle paraît incapable d’assurer.

Cela économiserait également les deniers publics, les Agences de l’Eau subventionnant, pour l’instant du moins, les suppressions de seuils de moulins qui nécessitent par ailleurs de fort onéreuses études et dossiers. De plus les conséquences induites par ces suppressions – accélération de la dynamique hydraulique rongeant les berges, modification de la nappe alluviale contribuant au rechargement des nappes phréatiques, sédiments plus ou moins pollués finissant dans des estuaires déjà très chargés, etc... - ne seraient plus à redouter.

Dernière minute

Une des dispositions de l’annexe I-5 de la circulaire du 25 janvier 2010 relative à la mise en œuvre par l'Etat et ses établissements publics d'un plan d'actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau est annulée par le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 14 novembre 2012.

La plus haute instance juridique administrative de notre pays, suite à notre recours de décembre 2010, a donné raison à la FFAM en annulant cette disposition, et en condamnant l’Etat au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative. Notre Fédération est confirmée dans sa légitimité à faire valoir nos droits en justice.

Dans l’attente d’une analyse juridique plus approfondie, nous avons relevé ces quelques points importants.

La Cour rappelle que l’administration n’est pas en droit de toucher à nos ouvrages à son gré, la circulaire ne permet en rien de déroger aux lois en vigueur : la seule évocation de la « continuité écologique » n’est pas en soi suffisante pour envisager un arasement dès lors qu’il existe d’autres usages.

Elle rappelle que l’administration ne peut pas s’opposer de manière générale à la remise en exploitation d’un ouvrage autorisé : elle ne peut le faire que dans les conditions restrictives imposées par la loi. L’interdiction de créer de nouveaux ouvrages sur un cours d’eau en très bon état n’interdit pas a priori d’équiper des seuils existants. Elle précise en outre que tous les moyens de preuves sont recevables pour faire reconnaître que des installations et ouvrage étaient autorisés avant le 4 janvier 1992, ou qu’un moulin est fondé en titre.

Les propriétaires de moulins sont des acteurs concernés, et reconnus détenteurs, sous certaines conditions, d’un droit légitime en tant qu’utilisateurs potentiels de l’énergie hydraulique. Toutefois la loi protège aussi certains cours d’eau et certaines espèces piscicoles, ce qui induit pour nous des obligations.

                                                                                                          Annie Bouchard, novembre 2012

 

Variations jurisprudentielles sur les droits d’eau fondés en titre

 

par Xavier Larrouy-Castéra, Avocat à la Cour d’Appel de Toulouse

 

L’actualité jurisprudentielle sur les droits d’eau fondés en titre ne se tarit pas. Si on pouvait ces derniers temps, constater la succession de décisions de justice globalement favorables aux propriétaires et exploitants de moulins fondés en titre[1], il faut se garder de toute systématisation, la jurisprudence étant par nature évolutive. Deux décisions récentes du Conseil d’Etat le rappellent et méritent d’être ici brièvement commentées, celles-ci portant sur les composantes essentielles d’un droit d’eau fondé en titre : son existence et sa consistance.

 

Pour ce qui est de l’existence légale1, on sait que s’agissant des cours d’eau non domaniaux, les plus nombreux, l’existence légale est fondée soit sur la vente des biens nationaux, soit sur l’existence d’une usine avant le 4 août 1789, abolition de la féodalité. La localisation du moulin sur la carte de Cassini constitue bien souvent un moyen de preuve essentiel, mais il n’est pas le seul.

 

C’est ce que précise l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 juin 2012 (req. n° : 340295) en annulant, pour erreur de droit, celui rendu par la Cour Administrative d’Appel de Nantes qui, pour considérer que le plan d’eau en litige ne pouvait être regardé comme fondé en titre, « s’est fondée exclusivement sur la circonstance qu’aucun plan d’eau ne figurait à l’endroit des travaux litigieux sur l’extrait pertinent de la carte de Cassini produit par l’administration » et « qu’en statuant ainsi, alors que (le requérant) s’était prévalu, outre de chartes datant de 1117 portant donation d’un étang et d’un moulin à Douzil au profit de l’abbaye de Noyers, de documents datant de 1792 et du début XXème siècle pour établir l’existence matérielle de l’étang et de sa localisation antérieurement à l’abolition des droits féodaux, la Cour a attaché à la Carte de Cassini les effets juridiques qu’elle n’a pas, la seule absence de l’étang sur la Carte de Cassini ne suffisant pas à valoir preuve de l’inexistence ou de la ruine de cet ouvrage à la même date ; qu’il appartenait à la Cour, dans un tel cas, de comparer les éléments produits par le requérant avec ceux sur lesquels s’était fondée l’administration pour apprécier l’existence matérielle de l’ouvrage ».

 

Autrement dit, ce n’est pas parce que le moulin ou l’étang dont on entend revendiquer l’existence légale n’est pas répertorié sur la Carte de Cassini qu’il doit automatiquement être jugé que ce moulin ou ce plan d’eau n’a pas d’existence légale ; la preuve de l’existence légale peut en effet être rapportée par tout autre moyen.

 

Ce « Considérant » de l’arrêt du Conseil d’Etat est donc favorable à ceux qui entendent revendiquer l’existence légale de leur bien, puisque la preuve de celle-ci n’est pas subordonnée à la présence de ce bien sur la Carte de Cassini, même si ce dernier document demeure un élément de poids. On aurait pu ainsi s’attendre après cette déclaration que le Conseil d‘Etat, prenant acte de l’existence de documents anciens et antérieurs à l’abolition de la féodalité, retienne l’existence légale du plan d’eau considéré.

 

Or c’est une tout autre voie qui a été empruntée par le Conseil d’Etat, et qui peut- au moins dans sa formulation- apparaître assez déconcertante. S’il indique en effet que la preuve de l’existence matérielle du droit fondé en titre peut être apportée par tout moyen et que « la seule absence de l’étang sur la Carte de Cassini ne suffit pas à valoir preuve de l’inexistence ou de la ruine de cet ouvrage à la même date » en revanche, il considère que « ni les trois chartes datant de 1117 portant donation au profit de l’abbaye de Noyers d’un étang et d’un moulin à construire au moulin Douzil, du fait de leur caractère très ancien, ni les documents datant de 1792 et de 1903 ne suffisent à établir l’existence matérielle de l’étang de Douzil à la date du 4 août 1789 » et que par suite, ces éléments ne suffisent pas à rapporter la preuve du bénéfice d’un droit fondé en titre sur le plan d‘eau en cause.

 

Autant le fait pour le Conseil d‘Etat d’avoir écarté les documents postérieurs à l’abolition de la féodalité peut se concevoir, autant le fait de ne pas prendre en considération les trois chartes de 1117 « du fait de leur caractère très ancien » est plus difficilement compréhensible. Sans doute ces éléments devaient-ils être trop imprécis ou bien ne faire état que d’un projet de construction de plan d’eau ou de moulin dont on n’avait pas l’assurance ultérieure qu’ils avaient été réellement construits. En tout cas, la motivation de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat nous semble maladroite dans la mesure où elle laisserait entendre que pour prouver l’existence légale d’un fondé en titre, il faut produire des documents anciens…mais pas trop !

 

Il eut été préférable dans la motivation de cet arrêt, de mettre l’accent sur l’éventuelle ambiguïté, contradiction ou incertitude ressortant des documents produits plutôt que de mettre en avant leur ancienneté comme l’a fait le Conseil d‘Etat.

 

Le second arrêt commenté du Conseil d’Etat en date du 16 juillet 2012 (req. n° : 347874), concerne la question –plus classique mais non moins délicate- de la consistance légale du droit d’eau fondé en titre et sur le point de savoir si les travaux entrepris ont pu modifier celle-ci, au point d’exiger une autorisation administrative préalable. Dans cette appréciation, il convient habituellement de s’interroger sur le fait de savoir si les travaux en cause ont ou non eu pour effet d’accroître la force motrice théoriquement disponible, ce qui déplace nécessairement le débat sur le terrain technique.

 

On cite souvent comme exemple le moulin d’Auterrive établi sur le gave d’Oloron à propos duquel le Conseil d’Etat a jugé que dès lors que « les travaux autorisés (…) ne consistaient pas en une simple réparation, modernisation ou même reconstruction de l’ouvrage fondé en titre (et) qu’en remplaçant un barrage de pieux et fascines, mis en place de façon saisonnière en période de basses eaux, par un ouvrage permanent, en enrochements, de plusieurs mètres de largeur et en admettant même qu’ils n’en aient pas modifiés la hauteur, les dits travaux ont modifié la consistance de cet ouvrage » [2].

 

Mais il existe bien d’autres exemples jurisprudentiels, dont l’examen a son importance puisqu’il permet de fixer plus précisément « le curseur » à propos des travaux qui peuvent être considérés comme sans incidence sur la consistance légale, de ceux qui en revanche modifient radicalement celle-ci. Si pour reprendre l’affaire précitée du moulin d’Auterrive, les aménagements réalisés ne laissent guère place à l’hésitation, en revanche, il est parfois des situations intermédiaires qui permettent de douter de l’impact des travaux réalisés sur la consistance légale.

 

Dans l’affaire commentée, la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux dans un arrêt du 24 janvier 2011 (req. n° : 09BX01798), avait considéré qu’un surcreusement du canal de restitution qui serait intervenu après 1789 au moment de l’implantation d’une usine à papiers sur le site serait, par lui-même, « sans incidence sur la force motrice, laquelle est fonction de la hauteur de chute et des dimensions du canal d’amenée, et non pas de celles du canal de restitution ». Toute autre va être l’analyse du Conseil d’Etat. Celui-ci considère en effet « qu’en jugeant que la profondeur du canal de restitution a été par elle-même, sans incidence sur cette force motrice alors que le surcreusement a nécessairement eu pour effet d’augmenter la hauteur de la chute, la Cour a (…) entaché son arrêt d’une erreur de droit ».

 

Autrement dit, le Conseil d’Etat juge que cette intervention sur le canal de restitution interfère sur la force motrice de l’usine, puisque cette intervention a pour effet d’augmenter la hauteur de chute. D’un point de vue technique, la hauteur de chute est en effet généralement déterminée « par la différence de niveau des plans d’eau, en amont de la prise d’eau et en aval des turbines » [3]. Ainsi, ce ne sont pas uniquement les interventions éventuelles sur le canal d’amenée, comme l’a semble t-il considéré la Cour Administrative d’Appel, qui sont susceptibles de modifier la hauteur de chute et partant la force motrice de l’usine, mais aussi de la même façon les travaux pouvant intervenir sur le canal de fuite ou de restitution.

 

On le voit, comme bien souvent en la matière, selon le niveau des juridictions, les solutions portées à un même litige peuvent considérablement fluctuer ! Ce qui traduit aussi l’embarras du juge à trancher des litiges dont il n’est pas familier et qui paraissent à bien des égards d’un autre âge [4].

 

Notes : [1] Voir en ce sens CE 7 février 2007 Sable req. n° : 280373 Dr. Env. 2007 p. 287 note X. Larrouy-Castera ; voir aussi cette revue, n° : 92 octobre 2012 J.-F Remy, le Moulin et la loi : le Juge administratif, le droit fondé en titre et la ruine p. 35.

[2] CE 25 mai 1990 M. Mayrac req. n° : 62-978.

[3]  P. Garnier, Le cahier des charges des concessions de chutes d’eau, thèse Paris 1931 p. 24.

[4] Le Rapporteur Public Y. Aguila dans ses conclusions sur l’arrêt Sable précité qualifie ainsi le contentieux des moulins de « pittoresque ».

 

Actualité …On pourrait dire que d’attaqués nous sommes devenus attaquants, ce dernier mot s’attachant aux droits de nos ouvrages.

 

Arrêt du Conseil d’Etat du 14 novembre 2012

La FFAM a obtenu devant le CE l’annulation partielle de la Circulaire du 25 janvier 2010 sur le rétablissement de la continuité écologique... La FFAM se félicite de cette décision, qui marque d’une façon son action en faveur de la préservation des moulins, seuils et plus généralement du petit patrimoine historique et énergétique français. A propos de cet arrêt du Conseil d’État du 14 novembre 2012 tout et son contraire a été dit et écrit concernant la décision du Conseil d’État à notre recours du 8 décembre 2010 contre la circulaire du 25 janvier 2010. Compte tenu des délais d’impression de notre revue, il n’est pas utile de revenir sur le bien-fondé de telle ou telle interprétation. N’en retenons que la volonté de la FFAM d’œuvrer pour la préservation des ouvrages hydrauliques par tous les moyens à sa disposition, et de préférence par la concertation. Dans cette optique et par l’entremise d’un adhérent, Annie Bouchard et Jean-Marie Pingault ont eu un entretien avec la conseillère de la ministre chargée de l’Eau le 19 novembre dernier, à l’Hôtel de Roquelaure. Cet entretien devrait être suivi d’une table ronde début 2013 afin d’étudier comment rendre les ouvrages compatibles avec une réglementation appliquée de façon équilibrée.

Arrêt du CE du 14/11/2012 www.moulinsdefrance.org/Encours/Communiquedepresse15_11_2012.pdf

Dossiers suivis par J.-M. Pingault. Courriel : jmpingault@club-internet.fr

 

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