Le moulin et la loi : questions des lecteurs,

par Jean - François Rémy, avocat au Barreau de Nancy

 

A la manière des cours de morale qui faisaient autrefois partie des enseignements obligatoires à l’école, on a coutume de dire que le bon sens se perd, et que le droit – ou l’administration chargée de son application – n’en sont pas toujours inspirés de la meilleure manière. Ainsi, c’est un lieu commun que de dire que les moulins se trouvent soit sur un promontoire – pour ceux mus par le vent – soit dans le fond d’une vallée – pour ceux mus par la force de l’eau. Le bon sens n’étant toutefois décidément par forcément la qualité la mieux partagée, certaines administrations semblent vouloir ignorer ces grands principes, et placer les moulins à eau sur un pic, et pourquoi pas les moulins à vent dans un creux afin que personne ne les voie… !

Le premier cas que nous analyserons en est une belle illustration. Nous nous intéresserons ensuite aux normes qui doivent être respectées par les agents chargés de vérifier le bon respect des débits réservés, lorsqu’ils procèdent à une mesure de débit avec un appareil de type sonde. Là encore, en cas de procès, les preuves rapportées par l’administration ou le Ministère public doivent respecter des principes de bon sens, tels que la nécessité de constatations matériellement exactes, et non simplement fondées sur une impression.

A- La reconstruction d’un moulin hydraulique doit elle nécessairement se faire sur un pic ?

Pour remettre en état un moulin – même fondé en titre – son propriétaire doit parfois suivre un véritable parcours du combattant, notamment lorsque l’administration refuse dans un premier temps de lui reconnaître le bénéfice des droits anciens à l’usage de l’eau attachés au moulin concerné..Mais le combat ne s’arrête pas toujours là, et peut encore se poursuivre pour l’obtention du permis de construire. C’est ce qui est arrivé récemment à l’un de nos lecteurs.

Propriétaire depuis peu d’un moulin hydraulique dans le sud de la France, « l’aspirant exploitant » a déposé auprès des services de l’Etat une demande de permis de construire afin de relever les murs de l’ancien moulin partiellement ruiné, et y implanter une centrale hydroélectrique moderne ainsi qu’un logement de gardien. Les pièces jointes à cette demande étaient classiquement les plans actuels et futurs de la construction, le descriptif des lieux, mais aussi la justification de l’existence d’un droit d’usage de l’eau, en l’occurrence constitué par un droit fondé en titre reconnu par le Conseil d’Etat après plusieurs années de bataille menées par l’ancien propriétaire (d’ailleurs découragé entretemps).

Au terme d’une première instruction toutefois, l’administration faisait savoir au propriétaire du Moulin que son permis de construire lui était refusé, compte tenu de ce que la construction projetée était située en zone inondable et que, compte tenu de l’état actuel de ruine des anciennes constructions, il n’était pas possible de procéder à leur reconstruction. Très mauvaise surprise, après tant de batailles, que cette réponse indiquant à l’exploitant qu’à moins de rétablir son moulin sur une butte, il lui serait interdit de procéder à sa reconstruction.

Une telle décision est toutefois contraire à un important arrêt du Conseil d’Etat en la matière du 30 avril 1982, qui reconnaît à la production d’énergie hydraulique un caractère d’intérêt général, permettant aux services de l’Etat d’autoriser la construction ou la reconstruction d’ouvrages permettant l’utilisation de l’énergie hydraulique, y compris bien entendu lorsqu’ils se situent en zone inondable. Sur le fondement de cet arrêt, la décision de refus du permis aurait donc pu être contestée devant le juge administratif.

Heureusement, l’exploitant a réussi en l’occurrence à raisonner les services de l’Etat par une discussion bilatérale et amiable, preuve que – parfois – le bon sens et la négociation peuvent encore prévaloir !

B- Les préconisations d’utilisation du matériel de mesure des débits de type salinomètre.

Tout exploitant a eu ou aura à se trouver confronté à une procédure de constatation d’insuffisance de débit réservé. Nous avons déjà eu l’occasion de traiter à diverses reprises des procédures applicables en la matière, tant en termes de procédure de transmission des procès verbaux de constat aux services du Procureur, que de constatation matérielles, ou de nécessité pour les agents verbalisateurs de mettre en évidence le caractère intentionnel de l’infraction relevée.

Nous vous proposons de revenir sur la pratique de mesure des débits réservés applicable en cas de faibles débits, pour lesquels la méthode par déversement sur un seuil calibré ne peut être utilisée. Lorsque le débit réservé à mesurer représente un faible volume d’eau, les agents verbalisateurs utilisent le plus souvent un appareil de mesure électronique de type SALINOMADD, dont les mesures reposent sur une analyse de la diffusion de sel dans l’eau.

Le protocole de mesure est assez simple : en déposant une pincée de sel de cuisine dans le cours d’eau quelques mètres en amont, la sonde de mesure de l’appareil déposée en aval dans le courant analyse la concentration de sel dans l’eau au point de mesure, et en déduit le volume d’eau présent ayant permis cette dilution. A noter que pour le bon fonctionnement de l’appareil et que sa précision soit effectivement de 5 % conformément aux données du constructeur, il convient selon les fiches techniques qu’un calibrage soit effectué sur le site, avec 4 ou 5 points de mesure différents. A défaut, la marge d’erreur est plus importante, et la mesure réalisée est en conséquence faussée.

Dans un tel cas, et de la même manière que sont récusées les mesures de vitesse sur la route réalisées par un cinémomètre installé sans respecter son protocole particulier, la mesure de débit est inexacte, et ne peut servir à exercer des poursuites à l’encontre de l’exploitant. Au vu de telles incohérences, ou bien encore si le respect du protocole d’installation n’est pas mentionné au procès verbal de constat, le juge doit à notre sens relaxer l’exploitant, sauf si l’absence de débit réservé est flagrante (rivière sèche…).

* Un rectificatif enfin : dans le numéro 56 de la Revue, nous avions évoqué par erreur le nom de Madame Anne Marie IDRAC comme étant une fervente partisante de l’effacement des barrages, dans le cadre des débats qui se sont dernièrement tenus au Sénat sur le thème du Grenelle de l’Environnement. A la suggestion d’un fidèle lecteur intervenu tout à fait à propos à ce sujet, et que nous remercions, nous souhaitons rectifier cette erreur et rendre justice à Madame IDRAC. Il convenait en fait de lire que cette personne favorable à l’effacement des barrages sur les cours d’eau était Madame Marie Christine BLANDIN, ancienne présidente Verte du Conseil Régional du Nord Pas de Calais et actuellement sénatrice rattachée au groupe socialiste.

C - La réglementation des droits fondés en titre à l’usage de l’eau

Certains services préfectoraux s’emploient depuis quelques mois à remettre à plat les autorisations anciennes ou droits fondés en titre à l’usage de l’eau dont bénéficient les centrales hydroélectriques en fonctionnement dans leur département.

Le procédé est le suivant : L’administration expédie à l’exploitant un courrier l’informant que l’ancienneté de son droit d’eau serait la cause d’inexactitudes dans la description des caractéristiques actuelles des ouvrages ou dans l’indication des valeurs de cotes ou de débits, ce qui rendrait le règlement d’eau obsolète.

Il est parallèlement indiqué que, conformément aux nouvelles dispositions législatives, il serait nécessaire de concilier les différents usages de l’eau avec la qualité de la vie piscicole, afin de tendre vers une gestion équilibrée de la ressource en eau.

L’administration considère ainsi qu’il serait nécessaire d’installer sur les ouvrages de la centrale hydraulique concernée, une passe à poissons et/ou une passe à canoës kayaks, ainsi que d’autres dispositifs permettant la préservation du poisson.

Ce « constat » réalisé, les services de l’Etat indiquent ensuite que le Préfet serait habilité par le Code de l’Environnement à prendre dans de telles situations, après avis du CODERST, des arrêtés complémentaires permettant de fixer toute prescription nécessaire à la protection des milieux aquatiques.

En annexe à ce courrier type est enfin joint un projet d’arrêté préfectoral devant être soumis à l’avis du CODERST (Conseil Départemental de l’Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques), sur lequel le Préfet demande à l’exploitant de faire valoir ses observations dans un court délai, et dont les principales dispositions sont les suivantes :

  - Limitation de la durée de l’autorisation à 40 ans,

  - Fixation de la valeur du débit, de la chute brute et de la puissance maximale brute en kW,

  - Fixation des cotes de prise d’eau et point de rejet,

  - Fixation des caractéristiques principales des ouvrages,

  - Indication du débit réservé actuel, et le cas échéant de sa valeur à compter du 1er janvier 2014,

  - Lorsque les ouvrages ne sont pas équipés d’ouvrages de franchissement piscicole, obligation de procéder au dépôt d’un dossier visant à la réalisation d’une passe à poissons, d’un ouvrage de dévalaison, et à la mise en place de grilles empêchant le passage du poisson (espacement inter barreaux ne dépassant pas 25 mm), le tout dans un délai strict,

  - Versement d’une somme annuelle à l’AAPPMA locale, sensée compenser le préjudice piscicole subi avant édification de ces ouvrages.

Devant un tel courrier comminatoire, l’exploitant s’interroge fréquemment sur la légalité de telles demandes, et les obligations qui lui incombent réellement en la matière.

S’agissant de demandes lourdes de conséquences sur le plan administratif et financier,  mais aussi pénal si ces obligations ne sont ensuite pas respectées, il nous est apparu important de faire un point à ce sujet, dans lequel on pourra puiser afin d’établir un premier argumentaire en réponse aux services de l’Etat.

La potentielle illégalité d’une réglementation du droit fondé en titre

NB : ce motif de contestation ne concerne que les ouvrages fondés en titre à l’usage de l’eau.

Le juge administratif a déjà eu l’occasion de préciser qu’un arrêté préfectoral adopté à l’initiative des services de l’Etat et contre l’avis de l’exploitant, dont l’objectif est de réglementer un droit fondé en titre à l’usage de l’eau et de rappeler à l’exploitant les droits et obligation inhérents à l’exploitation de son moulin, est illégal.

Pour ce premier motif, le projet d’arrêté peut être contesté avec fermeté, dès le stade de l’avis préalable au passage au CODERST.

La potentielle illégalité d’une limitation de la durée de l’autorisation

NB : ce développement concerne les ouvrages fondés en titre à l’usage de l’eau et les ouvrages autorisés avant 1919 pour moins de 150 kW bruts.

Pour ces deux catégories d’ouvrages, il est admis sans discussion que leur durée n’est pas limitée dans le temps.

Il est dont illégal pour le Préfet de vouloir en restreindre la durée d’exploitation résiduelle à 40 ans, que l’ouvrage soit uniquement fondé en titre, ou partiellement fondé en titre et partiellement autorisé.

Dans le cas particulier des ouvrages concédés ou autorisés, et dont le droit d’eau n’est pas encore arrivé à échéance, il est de même irrégulier d’intervenir ainsi avant l’échéance afin de changer la durée d’autorisation ou de concession accordée.

La potentielle illégalité de l’obligation d’équiper les ouvrages de barreaux de grilles resserrés, d’ouvrages de dévalaison ou de montaison.

NB : Ce développement concerne tous les types d’ouvrages.

Dès lors que le droit d’eau dont bénéfice une installation hydraulique ne prévoit pas à la charge de l’exploitant l’obligation d’équiper ses équipements d’ouvrages de dévalaison, de montaison, ou encore de grilles à espacement resserré afin d’empêcher le passage du poisson, une telle prévision est illégale.

Le Préfet ne dispose en réalité de la faculté d’imposer de telles prescriptions que dans deux hypothèses :

  - A l’occasion du renouvellement de l’autorisation ou de la concession administrative, à titre de mesure compensatoire proposée par l’exploitant, ou imposée par l’administration lorsque l’étude d’impact sur l’environnement démontre clairement son utilité,

-         Lorsqu’existe un classement du cours d’eau concerné, à l’endroit visé, à la fois par décret pris au titre des échelles à poissons et par arrêté ministériel fixant par cours d’eau la liste des poissons migrateurs (dispositions applicables jusqu’à la date d’adoption des nouveaux SDAGE).

Quant à l’obligation d’installer une passe à canoës kayak sur le barrage, qui peut aussi être prévue dans le projet d’arrêté préfectoral, elle a elle aussi toutes les chances d’être irrégulière, qu’il s’agisse d’une initiative entière des services du Préfet, ou qu’elle résulte de la liste établie par le Préfet lui-même des ouvrages à équiper d’une telle passe en application du Code de l’Environnement (dont le texte fait directement l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’Etat).

La potentielle illégalité de la fixation du débit réservé ou de la puissance maximale brute.

NB : Ce développement concerne essentiellement les ouvrages fondés en titre.

Dès lors qu’une installation hydraulique a bénéficié antérieurement de la part des services de l’Etat d’une reconnaissance de droit fondé en titre pour une consistance légale donnée, le projet d’arrêté présenté à l’exploitant doit reprendre la même valeur de puissance.

La fixation d’une valeur inférieure à celle reconnue antérieurement constitue une mesure dont l’illégalité peut également être contestée devant le juge.

Il en est de même pour la fixation du débit réservé.

Pour l’ensemble des ouvrages non soumis à renouvellement d’autorisation ou dont le droit d’eau est antérieur à 1984, le débit réservé est le plus souvent égal à 2,5 % du débit moyen interannuel du cours d’eau.

Si la loi prévoit désormais le passage de ces débits réservés à 10 % au 1er janvier 2014, le Préfet ne peut en aucun cas procéder à une augmentation de la valeur du débit réservé avant cette date si ses services ne sont pas en mesure de démontrer l’insuffisance du débit délivré au cours d’eau par rapport aux besoins des milieux aquatiques.

Si l’exploitant concerné le souhaite, ce ne sont donc pas les motifs de contestation qui manquent !

 

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