La rivière aménagée et le moulin à
eau :
processus d’évolution et perspectives de gestion
Deuxième
partie - Résumé d’un article de 6
pages avec schémas et dessins, par Régis BARRAUD
Doctorant
en géographie-Géolittomer, LETG UMR 6554
ATER Université de Nantes (IGARUN)
Des moulins à eau en « Pays du vent », adaptation technique à la contrainte hydrologique.
La Sèvre nantaise et le Thouet sont deux grandes rivières
de plaine qui s’écoulent depuis le sud du massif armoricain (280 m) jusqu’à
la Loire. Ces deux cours d’eau constituent les deux derniers affluents majeurs
du fleuve en rive gauche avant l’océan. Le Thouet, marque la limite entre une
hydrologie de socle, caractérisée par la prédominance d’écoulements de
surface irréguliers et les rivières des tables sédimentaires au régime plus
pondéré, dont l’aménagement a été décrit par Raoul Guichané (1998). La
Sèvre nantaise, plus encore que le Thouet, s’écoule en « pays du vent » :
à la fin de l’ancien régime, la plupart des « moteurs » sont
animés par les vents Atlantiques. Pourtant, le niveau d’équipement de la Sèvre
nantaise, comme celui des rivières Mauges (49) est particulièrement élevé,
la densité d’équipement sur les deux bassins versants s’établie
à environ un moulin / km.
La Sèvre nantaise et le Thouet : des trajectoires évolutives
dissemblables.
L’histoire
de la mise en valeur de ces deux cours d’eau est un important facteur de différenciation.
Les deux rivières ont été rendues navigables sur leur tronçon aval de manière
précoce, en revanche le développement proto-industriel puis industriel de la Sèvre
nantaise a été beaucoup plus marqué. L’usage des roues y était déjà très
diversifié avant la révolution. Le foulonnage a sans doute constitué le
premier usage industriel. Sur la Sèvre nantaise, on observe un gradient
d’industrialisation amont-aval. Très faible en amont de Mallièvre, où les
moulins en dérivation ont conservé dans leur quasi-totalité leur vocation
initiale (meunerie), l’industrialisation concerne près de 40% des sites en
aval de Saint-Laurent, et environ 65% des moulins entre Cugand et le Pallet. Le
déclin industriel s’amorce dès les années 1880, d’éphémères projets de
reconversion (blanchisserie, tanneries, cartonnages, microcentrales…) se succèdent
sans parvenir à s’imposer. Progressivement, l’industrie quitte les fonds de
vallée pour gagner les plateaux.
En 1869, la
meunerie demeure l’activité dominante sur le Thouet (90% des moulins), tandis
qu’à cette date, 10% des sites sont voués au foulonnage, de façon exclusive
ou bien associé à la meunerie. Les pilons étaient particulièrement bien
implantés sur le haut bassin du Thouet, dans l’arrondissement de Parthenay où
le foulonnage était présent sur près de 30% des sites. L’utilisation de la
force hydraulique était peu diversifiée sur le Thouet, même si au fil des
inventaires, on note la présence de quelques moulins à tan ou de scieries.
L’absence d’une véritable industrialisation se lit dans l’architecture
des moulins encore en place.
Déprises et
politiques d’intervention
Parallèlement au déclin de l’usage des roues, des
requalifications et réaménagements successifs ont été entrepris. L’usage
« pêche » imprime de nouvelles logiques territoriales calées sur
le maillage des associations de pêche. Après la seconde guerre mondiale, les
projets de mise en valeur agricole se multiplient, le cours d’eau est recalibré,
et des clapets sont installés. Aujourd’hui, on cherche encore à restaurer
les dégâts de ces aménagements lourds. Dans les années 1950, sur le Thouet
entre Saint-Généroux et Thouars, le remplacement de chaussées de moulins par
des barrages droits devait permettre d’exploiter des peupleraies en relevant
la ligne d’eau de la rivière, ces ouvrages sont à présents utilisés par
des irrigants. La « mode » des plans d’eau communaux de loisir a
aussi entraîné la réalisation d’aménagements conséquents. À partir de la
fin des années 1980, de véritables politiques de restauration patrimoniales se
mettent en place. Sur le Thouet les réfections sont restées très ponctuelles
(exemple du moulin de Crevant).
En revanche, l’Institution Interdépartementale du Bassin
de la Sèvre nantaise (IIBSN), et plusieurs syndicats de rivière de ce bassin,
ont fait de la restauration patrimoniale l’un des axes prioritaires de leur
politique d’intervention. La richesse du patrimoine industriel, la proximité
de l’Anjou, berceau national du processus de patrimonialisation des moulins à
eau, et le fort niveau d’organisation des collectivités ont favorisés la mis
en œuvre d’une politique publique de restauration. Malgré des
investissements conséquents, cette politique s’est heurtée à des obstacles
importants. D’une part, l’importance du parc d’ouvrages à l’échelle du
bassin versant (230), ne permettait d’envisager une généralisation des
interventions et d’autre part, les partenaires techniques et financiers ont
discuté l’orientation retenue par l’IIBSN, en introduisant un
questionnement sur l’impact écologique des restaurations systématiques.
Contrairement à une idée reçue, la tendance générale
n’est pas partout à l’abaissement des lignes d’eau. Sur le Thouet, près
de 30% des ouvrages ont fait l’objet de travaux depuis les années 1950, on
constate que :
-55% des sites ont conservé une ligne d’eau stable et
haute
-23% des sites ont conservé une ligne d’eau basse
(ouvrages déjà dégradés en 1970)
-7% ont connu un abaissement de ligne d’eau
-18% des ouvrages ont connu un relèvement de ligne d’eau
(dont 4 ouvrages nouveaux)
C’est la remise en cause de la politique de restauration
systématique, engagée sur le bassin de la Sèvre nantaise, qui a incité l’IIBSN
à placer la question du devenir des sites hydrauliques au cœur du projet de
SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux). À partir du printemps
2001, la discussion a porté sur l’élaboration d’un outil d’aide à la décision.
L’élaboration de cet outil s’est inspirée d’autres démarches de bassin
telles que celles menées par EPIDOR et le CEMAGREF[1],
dans le Cantal, sur les des affluents de la Dordogne.
Sur le bassin de la
Sèvre nantaise, un peu plus de la moitié du parc d’ouvrages a été évalué
collectivement. À partir du diagnostic établi, il s’agit à présent, sur
les tronçons pour lesquels cette phase d’évaluation est achevée, de mettre
en place un programme d’intervention. Le lancement des actions est précédé
par un nouveau temps fort de la concertation.. Moins de 5% des sites font
l’objet d’une gestion au fil de l’eau se rapprochant de celle pratiquée
par les meuniers et les usiniers. Le mauvais état général des vannages et le
comblement de certaines prises d’eau (moulins transformés en résidence)
expliquent en partie la tendance au blocage hydraulique. Cette évolution
traduit également la transformation du paysage productif en paysage d’agrément,
processus particulièrement efficace dans les zones urbaines et périurbaines .
L’expérience engagée en 2001 sur le bassin de la Sèvre
nantaise se poursuit, il n’est pas possible, compte tenu des caractéristiques
du projet, de donner la date de son achèvement. Plus qu’une étude
ponctuelle, la démarche vise de mettre en place une politique de gestion
adaptative. Penser les problèmes d’environnement sur le temps long, indépendamment
des contingence liées à la durée des mandats politiques, n’est pas chose
facile. L’instauration d’une véritable coopération entre gestionnaires,
experts et riverains ne l’est pas moins et demande du temps et une
mobilisation de tous les instants. Pour mettre en œuvre un tel projet, un
investissement humain constant est nécessaire. Les collectivités locales
ont-elles les moyens d’assurer cet investissement ? Les conditions
d’une implication forte des riverains et des usagers sont-elles toujours
optimales ? Au-delà des difficultés inhérentes à la mise en place
d’une approche collective et globale, la gestion des sites hydrauliques se
heurte à des problèmes très concrets, liés aux aspects juridiques, fonciers
et financiers pour lesquels il serait illusoire de croire à des solutions
exclusivement locales.
Enfin, il est légitime de poser la question des conditions de transfert
de la méthode employée sur le bassin de la Sèvre nantaise, sur d’autres
rivières où les enjeux peuvent être très différents. La troisième partie
de cette contribution présentera comment la méthode d’analyse multicritère
participative a été adaptée et mise en œuvre sur le Thouet.
[1] L’établissement public territorial du bassin de la Dordogne et le CEMAGREF ont élaboré une méthode de sélection des ouvrages à restaurer de façon prioritaire. Cet outil a été testé sur des affluents de la Dordogne (la Cère, la Jordanne et l’Authre).