Le moulin et la Loi  

L’Entretien des cours d’eau non domaniaux :

des droits et devoirs des riverains

à l’intervention des collectivités publique

 

Résumé d’un article de Xavier Larrouy-Castéra, Avocat à la Cour d'Appel de Toulouse et de Pau. Spécialiste en Droit de l'Environnement, et  de Stéphane Crozet, cabinet Bruno Ledoux Consultants.

Les propriétaires riverains de cours d’eau non-domaniaux, en contrepartie des avantages qu’ils retirent de la proximité de la rivière (en terme d’irrigation, de pêche, d'extraction de matériaux…; cf. J. Debeaurain, Les cours d'eau non domaniaux, Le Trait d'Union Mars 2001, p.30), supportent théoriquement - et d’un point de vue légal - la charge de l’entretien des berges et du lit de celle-ci.

Toutefois, en pratique, les riverains délaissent l’entretien des cours d’eau. Les causes en sont connues : perte de l’utilité de ces espaces pour le monde agricole, extension des friches en bord de cours d’eau, urbanisation croissante des berges, manque d’information des propriétaires quant aux obligations qui leur incombent, etc..

Cette situation a conduit les collectivités publiques à se substituer de plus en plus fréquemment aux particuliers.

A ce titre, la loi “ Barnier ” du 2 février 1995, tout en réaffirmant l’obligation des riverains à entretenir leurs berges (et en disposant également que les propriétaires peuvent à cette fin bénéficier de subventions) a élargi la possibilité pour les collectivités d’intervenir en leur lieu et place. Cette évolution ne va pas sans poser un certain nombre de difficultés pour les personnes publiques, plus particulièrement en termes de responsabilité.

Les obligations du riverain

C’est l’article L. 215-14 du Code de l’environnement (114 du code rural) qui précise les obligations du riverain en matière d’entretien des cours d’eau non-domaniaux.

Depuis la loi “ Barnier ”, il doit curer régulièrement le lit, entretenir la rive, enlever les embâcles et débris, ceci afin non seulement de maintenir l'écoulement naturel des eaux mais aussi d'assurer la bonne tenue des berges et de préserver la faune et la flore dans le respect du bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques.

Les travaux incombant aux riverains, il peut y être pourvu de plusieurs façons :

-     dans le cadre des anciens usages et règlements locaux (article L. 215-15 du Code de l'environnement),

-           à défaut en constituant une association syndicale de propriétaires autorisée

       (article L. 215-16),

-           ou, en cas d'impossibilité, par une association constituée d'office

       (association forcée ; même article).

Par ailleurs, il faut noter que le riverain d'une rivière peut bénéficier, à sa demande, de subventions publiques pour l'entretien de ses berges.

Ainsi, afin d'encourager un entretien régulier des cours d'eau non domaniaux, la loi du 2 février 1995 a prévu la mise en place d'un plan simple de gestion. Ce plan consiste en un programme pluriannuel d'entretien et de gestion, qui peut être soumis à l'agrément du représentant de l'Etat dans le département par tout propriétaire riverain d'un cours d'eau non domanial et toute association syndicale de propriétaires riverains. Les effets de ce plan se manifestent essentiellement sur le plan financier : le bénéfice des aides de l'Etat et de ses établissements publics attachées au curage, à l'entretien et à la restauration des cours d'eau est accordé prioritairement aux propriétaires qui établissent un plan simple de gestion ou qui y souscrivent.

Toujours en matière de subventions publiques, le Code de l'environnement contient à cet égard une disposition originale : l’article L. 435-5 dispose que le riverain qui bénéficierait d’une aide publique pour assurer son obligation d’entretien du cours d’eau doit, en contrepartie, concéder gratuitement, et pour une durée maximale de 20 ans, le droit de pêche à une association agréée de pêche ou à la fédération départementale[1]. Le lien est ainsi mis entre l’entretien des berges et l’exercice de la pêche.

Le décret d’application de cette disposition date du 3 décembre 1999 (JO 10 déc. 1999, p.18401). Il sera intéressant en pratique de voir l’usage qui en sera fait et qui consiste pour l’essentiel en une convention passée avec le propriétaire riverain et rédigée à l’initiative de l’association agréée ou de la fédération départementale selon un modèle type de convention fixé par voie d’arrêté. Pour l'instant, un premier arrêté en ce sens est intervenu le 17 avril 2000, mais a été annulé par le Conseil d'Etat (CE 27 juillet 2001, Association des riverains de France). Un second arrêté en date du 5 décembre 2001 a subi le même sort (CE 12 février 2003, Association des riverains de France) de telle sorte que la mise en œuvre de ce mécanisme semble toujours en suspend.

Est également envisagée l’hypothèse où les travaux d’entretien et le bénéfice de la subvention est adressé à une collectivité locale. Cependant, dans le cas où les travaux subventionnés sur fonds publics sont réalisés par une collectivité locale ou un groupement, le propriétaire riverain peut rembourser la part de subvention correspondant aux travaux exécutés sur son fonds. Dans une telle occurrence, les dispositions introduites par le décret n° 99-1033 du 3 décembre 1999 et relatives à la cession du droit de pêche ne lui sont pas applicables. En effet, lorsqu’une collectivité entreprend ce type de travaux, c’est de sa propre initiative, de sorte qu’on ne peut pas prétendre, dans ce cas, que les propriétaires riverains demandent à bénéficier de fonds publics.

En l'absence de remboursement, il est important de préciser que le partage du droit de pêche ne pourra être exigé à l’égard des propriétaires bénéficiant des interventions de la personne publique que si les travaux entrepris par la collectivité ont donné lieu, aux termes de l’article R. 235-32 du Code rural (introduit par l’article 2 du décret du 3 décembre 1999), à une déclaration d’utilité publique (DUP). Les travaux n’ayant donné lieu qu’à une simple déclaration d’intérêt général (DIG, cf. infra) ne permettent donc pas à notre avis, en l’état actuel des textes, aux associations agréées de pêche et aux fédérations de prétendre à l’obtention du partage des droits de pêche, contrairement à ce que laisse entendre une circulaire du 19 mai 2000.

Enfin, signalons que les riverains sont également tenus de recevoir sur leurs terrains les produits de curage, mais ont en contrepartie le droit de les conserver. Toutefois, si la composition des matières de curage apparaît incompatible avec la protection des sols et des eaux, notamment en ce qui concerne les métaux lourds et autres éléments toxiques qu'elles peuvent contenir, les riverains peuvent refuser de les recevoir (article L. 215-15 du Code de l’environnement).

La participation accrue des collectivités publiques

Les formules incitatives mises récemment en place par le législateur ne suffisent pas à encourager les riverains à se soucier de l’entretien de leurs rivières. Si les usages du cours d'eau se diversifient, paradoxalement, leur entretien est le plus souvent négligé et la collectivité décide alors fréquemment d’assumer les obligations des propriétaires.

Deux dispositions législatives permettent cette intervention :

-     L'article L. 151-36 du Code rural autorise les départements, les communes et les groupements de ces collectivités et syndicats mixtes à assurer la maîtrise d'ouvrage des travaux de curage lorsqu'ils présentent pour eux un caractère d'intérêt général ou d'urgence.

-     De la même façon, l'article L. 211-7 du Code de l'environnement (article 31 de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau), habilite les collectivités territoriales ou leurs groupements à entreprendre l'étude et l'exécution des travaux d'entretien et d'aménagement des cours d'eau non-domaniaux.

Le caractère d’intérêt général ou d’urgence des travaux est reconnu par arrêté préfectoral après enquête publique portant sur le programme des travaux, le montant et les bases générales de la répartition des dépenses. La composition du dossier diffère lorsque la participation des intéressés est demandée.

Toutefois, depuis la loi "Bachelot" du 30 juillet dernier, l'exécution des travaux est dispensée d'enquête publique lorsqu'ils sont nécessaires pour faire face à des situations de péril imminent, qu'il n'entraînent aucune expropriation et que le maître d'ouvrage ne prévoit pas de demander de participation financière aux personnes intéressées (art. 55 de la loi).

La Déclaration d’Intérêt Général (DIG) de l’intervention de la collectivité est indispensable pour légitimer l’investissement de deniers publics sur des terrains privés, ceci quelle que soit la nature des travaux entrepris (simple entretien ou travaux de restauration).

Elle peut se combiner avec une Déclaration d'Utilité Publique (DUP) en cas de recours à l'expropriation ou dans l’hypothèse où les travaux prévus nécessitent la dérivation du cours d’eau. La procédure d’autorisation ou de déclaration au titre de la loi sur l'eau de 1992 doit également lui être coordonnée, si les seuils fixés par la nomenclature du décret du 29 mars 1993 sont atteints.

                                                                       (A suivre)

 

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