La restauration du moulin Bézard

à Marie-Galante

 

par Diana Rey-Hulman (ASVP)

 

En 1992, l’agence locale de l’ANPE décide d’utiliser le patrimoine bâti comme vecteur de développement et dans le cadre d’une action-formation-insertion, proposée la construction d’un village de cases en gaulettes (cases faites de poteau reliés par des branches entrelacées et recouvertes de torchis) pour permettre à de jeunes marie-galantais de se réapproprier les techniques traditionnelles de construction. L’idée séduisit monsieur le maire de Capesterre qui offrit un terrain chargé d’histoire puisqu’en ce lieu se dressait la tour vestige d’un moulin du xixe siècle.

 

 

Coupe verticale du moulin, avant la rénovation : vue de l'arbre moteur et des rolles horizontaux.

 

Le chantier de rénovation du moulin de Bézard était ouvert. Remonter les murs qui s’effondraient, installer une nouvelle toiture, remettre le mécanisme de broyage en route, telles furent les tâches de ceux qui ont été embauchés le temps de la réhabilitation.

 

Après la dévitalisation du « figuier maudit » (Clusia alba) qui rongeait le corps de la bâtisse, le tailleur de pierre, Gilles Crèche, entreprit de combler les parties écroulées du mur.

   

Ensuite un charpentier, François Rouzé s’attaqua à la confection de la charpente et de la couverture en essentes de la toiture ainsi qu’aux boiseries intérieures (planchers, échelles)

Le mécanisme métallique était incomplet, aussi un mécanicien-tourneur, Serge Fabulas, employé marie-galantais de la seule sucrerie de Grande-Anse, se chargea de façonner les pièces manquantes dans la machinerie, entièrement métallique, à partir du modèle du moulin de Grand-Pierre, un des derniers moulins en activité dans les années 40.

 

Un système de coins et de vis de serrage sur les deuxième et troisième rolles permet de régler le broyage des cannes : le jus s’écoule par la goulerette visible à l’avant des rolles.

 

En 1996, les cinquante-deux jeunes stagiaires, apprentis de ces corps de métier, encadrés par David Uffren, avaient achevé leur tâche : redonner vie au moulin de Bézard. L’histoire était repartie, avait repris son balan, dirait-on en créole.

Croquis pour la rénovation par l'architecte DPLG PANCRASSIN.

Souvent les bâtisseurs de moulins laissaient leur marque sur des écussons situés au-dessus de la porte principale, malheureusement celui de Bézard est pratiquement effacé.

La seule inscription déchiffrable est celle indiquant que les rolles ont été fondus dans l’usine Nillus du Havre, dont l’apogée se situerait entre 1834 et 1847, voire 1854. Mais les archives de cet établissement métallurgique ont disparu et ne peuvent donc fournir la date précise de la mise en route du moulin. L’habitation Bézard en tant que telle a certainement été constituée tardivement : en 1901, Bézard apparaît pour la première fois sous l’appellation Bellevue-Bézard, alors que l’habitation Bellevue est portée sur les cartes dès le xviiie siècle ; ce n’est qu’en 1910 qu’elle est mentionnée au moment de la reprise de la distillerie.

 

L’Histoire n’est pas seulement enfouie dans les archives écrites mais aussi dans les mémoires des personnes vivantes. A Marie-Galante, comme en d’autres lieux, elle se développe au travers de légendes, tipawòl, « petites paroles » échangées au détour de racontars selon lesquels l’enrichissement, surtout lorsqu’il a été éphémère, a quelque chose à voir avec un commerce diabolique. En effet, toute richesse trouverait sa source dans la mise à jour de l’or enfoui dans les tours des moulins et ce malgré la surveillance de l’esprit de l’esclave sacrifié par le maître esclavagiste pour en assurer la garde dans l’éternité.

En effet, le diable peut venir en rêve tenter tout un chacun de le suivre en lui promettant de l’aider à déjouer la surveillance de l’esprit préposé à la garde de ces trésors. Mais le prix à payer est exorbitant et si la dette n’est pas acquittée, le nouveau riche est inéluctablement dépossédé.

Ainsi se dit, jusqu’à aujourd’hui, l’histoire vraie de l’accumulation primitive du capitalisme basé sur le plus abominable des commerces : la traite négrière, et sur la plus féroce exploitation : l’esclavage. Et ces paroles ne racontent-elles pas l’impossible enrichissement dans une société qui n’a n’en fini pas de se débarrasser de la domination coloniale ?

La faillite du dernier propriétaire privé dénommé Maulois qui, jusque dans les années 40, fit tourner le moulin pour alimenter sa distillerie dont les ruines sont à peine décelables, est passée au compte de l’échec de ses ruses pour déjouer les exigences de son créancier le diable.

 

Les alizés font de nouveau tourner les ailes du moulin, pour la distraction des visiteurs. Une nouvelle industrie est née : le tourisme, qui devrait contribuer au développement économique de Marie-Galante (sur la photo du moulin on peut apercevoir un car de touriste en stationnement).

Le moulin de Bézard est le seul dans toute la Caraïbe à produire de nouveau du jus de canne, vesou, pour le bonheur des Marie-Galantais, amoureux de leur patrimoine et des touristes curieux de l’histoire de cette île.

Une association, l’ASVP (1), association pour la sauvegarde et la valorisation du patrimoine, s’est donnée pour ambition de rassembler à Marie-Galante tous ceux qui s’intéressent à sa culture. La route des moulins a été ouverte.

(1) ASVP section Courbaril      97134   Saint-Louis - Tél : 05.90.97.07.68

E.mail : diana.rey-hulman@wanadoo.fr

Références bibliographiques

Guibert Jean-Michel, Inventaire des moulins de Marie-Galante par l’Agence des Bâtiments de France et le Parc Naturel de Guadeloupe, 1980

La Guadeloupe en zig zag, par le gendarme Bonnemaison, Pointe-à-Pitre, Editions Caret 2002

Rey-Hulman Diana Au vent du moulin de Bézard, Paris/Capesterre de Marie-Galante, L’harmattan, OMCS,1996

 

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