Le Moulin et le Meunier dans la Crèche Provençale

 Résumé d’un article de trois pages, avec photos et dessins, par André GAUCHERON.


On ne sait pas très bien à quel moment, ni sous quelles influences, la Nativité est venue s’installer dans un village de Provence tout entier convié à la fête.

La naissance du Christ est l’un des épisodes les plus représentés, les plus joués dans les églises et sur les parvis des cathédrales, et il existe toute une tradition de crèches qui apparaissent en Italie dès le XVIe siècle, et s’épanouissent à Naples, dans l’exubérance du décor baroque au XVIIIe, art savant et raffiné où la scène d’auberge et les musiciens passent au premier plan, les statuettes sont des œuvres d’art, précieuses et coûteuses.

C’est peut-être aussi l’influence de la Révolution française qui interdit la messe de minuit et les crèches paroissiales. Du même coup, les fidèles fabriquent à la maison de petites crèches intimes avec ce qu’ils ont sous la main, modelant les personnages en mie de pain, puis en argile.

Mais c’est l’invention du santon en argile cuite, peu coûteux, produit en série artisanale qui a fait le succès populaire de la crèche. Il est fabriqué à partir d’un moule et peint à la main de couleurs vives.

Diffusé en Provence grâce aux foires aux santons qui se multiplient depuis la première fois à Marseille en 1803, il est devenu le symbole d’une identité régionale : qui dit « santon », évoque l’art populaire de la Provence.

Le moulin à vent fait partie du paysage provençal. Il est toujours perché, loin du village, sur une colline ou un promontoire isolé. Il a besoin d’espace et comme le dit le maître Cornille d’Alphonse Daudet qui défend poétiquement son moulin contre l’industrialisation, « …moi, je travaille avec le mistral et la tramontane qui sont la respiration du bon Dieu ».

Ce moulin qui marche tout seul dans la garrigue et qui, à l’écart, renouvelle le miracle du pain quotidien, est un élément sécurisant et participe, sinon au sacré, du moins au caractère merveilleux de la crèche. Ce gardien vigilant est naturellement un symbole de protection. Un gardien vigilant, dont les ailes prolongent la silhouette. Dressées vers le ciel, elles servent à capter au passage l’énergie éolienne, ou plutôt les forces aériennes et insaisissables du ciel et les transforment en impalpable farine.

Au premier coup d’œil sur une crèche, c’est le moulin que l’on voit d’abord, se détachant au dessus du village. Plus bas, on voit le village, avec son pont et son puits, et tout en bas, dans un coin modeste, la Nativité. Ce programme, fidèlement suivi de générations en générations, s’est imposé dans toutes les crèches selon une diagonale qui ménage le cheminement du regard. Si le moulin est en haut, à droite, la nativité et en bas à gauche, (ou l’inverse) et le village entre les deux. Tous les thèmes essentiels sont présents, le sacré, l’espace social et le moulin, signal solitaire dans le ciel.

Pourtant, l’accent est mis de plus en plus sur le spectacle, l’aspect pittoresque du village et des santons, les petits métiers, la vérité des attitudes et des costumes. La crèche devient un modèle réduit, un tableau en relief où l’on oublie de plus en plus la représentation de la nativité. Bethléem est plus loin de Marseille qu’autrefois.

L’une des plus célèbres crèches-spectacle est celle que l’on peut voir au Syndicat d’Initiative d’Aubagne. Patrie du santon, forte de ses dizaines de santonniers, Aubagne se devait de présenter une grande crèche animée qu’il faut aller voir pour la qualité des santons, le nombre des scènes représentées. Le moulin, les moulins y figurent sur leur perchoir, et le brave Mounié aide à tirer le pauvre Pistachié du puits où il est tombé.

Nombre de crèches d’église sont construites autour de la même volonté d’inscrire la nativité dans le cadre de la société paysanne du XIXe siècle, telle qu’on l’imagine idyllique et sage. L’une des plus intéressantes à cet égard est la crèche de l’église des Arcs, dans le Var, non loin de l’autoroute A7. C’est une crèche permanente qui occupe toute une travée du bas-côté.

Le moulin à vent est ainsi perçu comme un médiateur qui sert de liaison entre la terre et les forces célestes. Par cette alliance du grain terrestre qu’il broie et de l’invisible, ne représente-t-il pas la promesse d’une vie meilleure et n’est-il pas porteur du mythe du renouveau au même titre que le nouveau-né prestigieux dans son abri ?

Le présent que le meunier apporte gaiement sur son dos est un cadeau aussi magique que celui des trois rois. Le meunier est un homme heureux, il le sait et il le dit.. Il occupe une position confortable et tout le monde a besoin de lui. Il a la verve et  l’humour d’un homme aisé . Alphonse Daudet l’appelle « Maître Cornille » , c’est un notable. C’est lui qui apporte au village la bonne nouvelle, qu’il tient de son mystérieux moulin.

C’est un des santons les plus populaires de la crèche.

 

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