CADRE INSTITUTIONNEL ET REGLEMENTAIRE DE LA GESTION DES COURS D'EAU NON DOMANIAUX

 

Résumé d’un article de trois pages, par Xavier LARROUY-CASTERA , Avocat à la Cour d'Appel de Toulouse et de Pau. Spécialiste en droit de l'environnement (seconde partie)

Aborder la question de la gestion de nos cours d’eau n’est jamais chose aisée, face à la diversité des vocables, à la multitude des usages, souvent concurrents et a un  maillage du territoire, administratif.

La première partie de cet article, publiée en octobre, allait à la recherche des instruments de gestion adaptés, dont les instruments de planification.

Cette seconde partie aborde les instruments contractuels et la police de l’eau.

2°- Instruments contractuels

Il existent divers procédés contractuels dont l'objectif commun est d’encourager des travaux qui recourent à des méthodes douces et pérennes d’entretien du lit et des berges et qui tentent ainsi de réactiver la participation des propriétaires riverains en faisant appel à un processus de concertation préalable.

Ces procédés doivent être salués. L’expérience prouve qu’une concertation précoce, dés le lancement de l’idée du contrat, désamorce les procès d’intention et les conflits, en particulier les conflits entre les usagers du milieu aquatique.

Deux de ces procédés méritent un examen particulier : il s'agit du contrat de rivière et du plan simple de gestion.

a) Le contrat de rivière

Le contrat de rivière s'analyse en un programme de remise en état d'un cours d'eau que différents partenaires - financeurs institutionnels (collectivités territoriales, agences de l'eau) et maîtres d'ouvrages publics ou privés - s'engagent à réaliser dans un certain délai, 5 ans en principe.

Ces contrats ont pour objectif la préservation et l’entretien d’une rivière et de son écosystème. Leur champ d’application est donc extrêmement vaste et ces contrats doivent instaurer une gestion équilibrée assurant à la fois la satisfaction des usages qualitatifs et quantitatifs de l’eau, la préservation des écosystèmes aquatiques, la sauvegarde des zones humides, la prévention des risques d’inondations mais aussi la protection, la mise en valeur et le développement de la ressource en eau dans une perspective de développement durable. En d’autres termes, ces contrats doivent remplir l’essentiel des objectifs énumérés par la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau.

La procédure d’approbation du contrat de rivière est relativement lourde au demeurant. La procédure se compose de deux phases distinctes : élaboration d’un dossier préalable puis approbation d'un dossier définitif.

Le dossier préalable est examiné par le Comité national d’agrément des contrats de rivière (composé de représentants de l’Etat, des collectivités locales, de professionnels de la pêche, d’associations de protection de la nature...) et après avis favorable de ce comité, c’est au préfet qu’il appartient d’arrêter la composition du Comité de rivière qui sera chargé de diligenter l’élaboration du dossier définitif.

La composition de ce comité est essentielle puisqu’elle déterminera, dans une large mesure, le succès ou bien l’insuccès de cette entreprise. Il faut en effet veiller à n’oublier personne et que l’ensemble des intérêts en cause soient représentés : élus, propriétaires riverains, administrations, usagers, chambres consulaires, associations de pêche et de pisciculture, associations de protection de la nature, associations sportives, établissements publics concernés comme EDF, VNF.

Le dossier définitif est ensuite approuvé par le comité de rivière, transmis au préfet avec divers avis puis examiné par le Comité national d’agrément des contrats. C’est la signature du contrat qui clôture la procédure, le préfet signant au nom de l’Etat.

b) Les plans simples de gestion

Afin d'encourager un entretien régulier des cours d'eau non domaniaux, la loi du 2 février 1995, dite “ loi Barnier ”, a prévu la mise en place de plans simples de gestion.

Le législateur est parti d’un simple constat : trop souvent, les conséquences des inondations sont aggravées par l’absence d’entretien des cours d’eau par les propriétaires riverains. Les rives sont trop souvent encombrées d'embâcles et de débris qui viennent freiner l'écoulement des eaux; le lit des rivières manque de largeur et de profondeur, faute d'un travail régulier de curage. Il convient donc d’inciter les riverains à assumer leurs responsabilités, par des mesures financières d’accompagnement.

C’est l’objet du plan simple de gestion qui consiste en un programme pluriannuel d'entretien et de gestion, et qui peuvent être soumis à l'agrément du représentant de l'Etat dans le département par tout propriétaire riverain d'un cours d'eau non domanial et toute association syndicale de propriétaires riverains.

Une circulaire du 6 mai 1995 est venue insister sur le fait que “ pour réussir, ce plan doit être incitatif, facile à mettre en oeuvre, attrayant et s’adresser à tous ”.Malgré cette volonté affichée, il semble que ces plans n’aient pas suscité un réel engouement.

B.- Un renforcement significatif de la police de l'eau

S'il faut résumer en quelques mots l'action du législateur dans le domaine de l’eau, ce dernier s'est toujours efforcé de réduire les droits de propriété et d'usage sur un cours d'eau non domanial, sans toutefois jamais oser remettre ces droits totalement en cause.

La loi sur l'eau du 3 janvier 1992 n'échappe pas à la règle. Si elle rappelle en liminaire que l'usage de l'eau s'effectue selon "les droits antérieurement établis", elle met également en place un dispositif réglementaire très contraignant. Tout notre droit de l'eau oscille ainsi entre ces deux tendances : droits des tiers maintenus dans leur principe, mais dont l'exercice est enfermé dans un corps de règles de plus en plus strictes et dont la méconnaissance peut être pénalement sanctionnée.

1.- Volet administratif

 La loi du 3 janvier 1992 pose, dans son article 10 (art. L. 214-1 C. env.), le principe général de l'autorisation ou de la déclaration de tous prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, rejets ou travaux ayant un impact sur la ressource hydraulique.

Seule exclusion notable de cette procédure : l'usage domestique ou assimilé. Le décret 93-743 du 29 mars 1993 définit cet usage domestique comme "la satisfaction des besoins des personnes physiques propriétaires ou locataires des installations, et des personnes résidant sous leur toit, dans les limites des quantités d'eau nécessaires à l'alimentation humaine, aux soins d'hygiène, au lavage et aux productions végétales ou animales réservées à leur consommation familiale". Est assimilé, en tout état de cause, à un usage domestique tout prélèvement inférieur ou égal à 40 m 3 d'eau par jour (art. 3. du décret). Hors cette hypothèse, tout prélèvement, rejet, travaux sur un cours d'eau non domanial est dorénavant soumis à déclaration ou à autorisation préalable par référence à la nomenclature fixée par le décret 93-743 du 29 mars 1993. 

On perçoit mieux les restrictions ainsi apportées aux droits de riveraineté, dés lors que tout usager riverain, bien que bénéficiant d'un droit d'usage préférentiel, ne pourra exercer ce droit sans être muni préalablement de l'autorisation requise ou du récépissé de déclaration, selon les cas.

Même en étant muni d'un titre administratif régulier, il est possible à l'administration de retirer ou modifier le titre ainsi délivré, dans le cadre de ses pouvoirs de police et sans indemnisation dans les cas suivants (art. L. 214-4-II C. env.) :

"1°- Dans l'intérêt de la salubrité publique, et notamment lorsque ce retrait ou cette modification est nécessaire à l'alimentation en eau potable des populations ;

 1.  pour prévenir ou faire cesser les inondations ou en cas de menace pour la sécurité publique ;

 2.  en cas de menace majeure pour le milieu aquatique, et notamment lorsque les milieux aquatiques sont soumis à des conditions hydrauliques critiques non compatibles avec leur préservation ;

 3.  lorsque les ouvrages ou installations sont abandonnés ou ne font plus l'objet d'un entretien régulier".

Surtout, afin d'assurer le respect du principe de gestion équilibrée de la ressource en eau, la loi du 3 janvier 1992 a doté l'administration de moyens juridiques nouveaux pour faire face aux effets de la sécheresse sur les milieux aquatiques. L'article 9 de cette loi (art. L. 211-3-II C. env.) dispose que l'autorité administrative peut :

"1° - Prendre des mesures de limitation ou de suspension provisoire des usages de l'eau, pour faire face à une menace ou aux conséquences d'accidents, de sécheresse (...) ou à un risque de pénurie ;

Le décret n° 92-1041 du 24 septembre 1992 a précisé les conditions d'exercice de ces prérogatives. Il faut retenir que les mesures prises dans ce cadre doivent être proportionnées au but recherché et qu'elles ne peuvent être prescrites que pour une période limitée, éventuellement renouvelable.

2.- Volet répressif

L’ absence d’autorisation lorsque celle-ci est requise peut être sanctionné pénalement (amende 120 000 Frs et/ou emprisonnement 2 ans; pour un exemple de condamnation : Cour d'Appel de Rennes, 9 septembre 1999 : 30 000 Frs pour chacun des prévenus ayant asséché un marais sans autorisation préalable).

L’article 22 de la loi sur l’eau (art. L. 216-6 C. env.) crée également un délit général de pollution. Il vise tout jet, rejet, déversement, simple écoulement, dans toutes les eaux quelles soient superficielles, souterraines, eaux de la mer dans les limites des eaux territoriales, de substances quelconques dont l'action ou la réaction même provisoirement, entraîne des effets nuisibles sur la santé, et des dommages à la faune ou à la flore.

Cet article complète l'article L. 232‑2 du Code rural (art. L. 432-2 C. env.) qui ne pouvait être appliqué qu'en cas de pollution nuisible à la vie et à la santé du poisson. Désormais, la santé de l'homme est protégée et plus généralement tout l'écosystème aquatique.

Si ces mesures sont une avancée très nette et un progrès écologique, l’article 22 précise que lorsque l'opération de rejet a été autorisée, il n'y a pas d'infraction. Cette exonération retenue après un amendement parlementaire, fait ainsi d'une autorisation de déversement, une autorisation de polluer. On ne peut que regretter une telle mesure dans ses conséquences mais également dans son principe.

En guise de conclusion, quelques points semblent devoir être évoqués 

* La loi du 3 janvier 1992 a incontestablement mis en place des instruments de planification qui devraient permettre de gérer efficacement la ressource en eau dans notre pays. Ce n'est peut être pas tout à fait par hasard si le modèle français est aujourd'hui cité en exemple par les instances européennes.

Il serait dommage que ces instruments restent une coquille vide faute d'une volonté politique de vouloir surmonter (mais aussi affronter) les intérêts catégoriels et bien réels qui se cristallisent autour de nos cours d'eau. 

Le cadre est à présent fixé, il faut le mettre en œuvre.

Les SAGE et plus encore leur organe fondateur, la « commission locale de l'eau », doivent être l'occasion de jeter les bases d'une gestion équilibrée de la ressource en eau à l'échelle d'un bassin-versant ou sous- bassin et de transcender ainsi les découpages administratifs inadaptés et souvent source de blocages politico-administratifs.

On ne peut que rester perplexe devant l'extrême dilution des compétences administratives dans le domaine de l'eau, qu'il s'agisse des administrations centrales (Ministère de l'aménagement du territoire, avec l'ensemble de ses directions et organismes sous tutelle ou simplement en relation, organismes consultatifs…) ou des administrations déconcentrées (à l'échelon du bassin, de la région, du département ou de la commune). Cela sans compter la présence de syndicats intercommunaux, de communautés de communes, de districts, de SIVOM, de syndicats mixtes…Bref, plus personne ne semble savoir où commencent et finissent les responsabilités de chacun. 

Un effort a été fait avec la mise en place de Missions Interservices de l'Eau (MISE) au sein des départements et permettant de regrouper les services spécialisés de l'équipement (DDE), de l'agriculture (DDAF) et de la santé (DDASS) et par la mise en place d'un "guichet unique de l'eau" vers lequel les usagers devraient être orientés.

De même, une réflexion est en cours pour favoriser l'émergence d'établissements publics fédérateurs : les Etablissements Publics Territoriaux de Bassin (EPTB).

En définitive, les difficultés juridiques rencontrées dans la gestion de nos cours d'eau sont nombreuses : rouages administratifs complexes et diffus, inflation normative et règles inadaptées ou contradictoires, maintien d'un statu quo dans bon nombre de situations permettant d'éviter l'élévation de conflits sous-jacents…

D'où la nécessité sans doute d'aller dans le sens de la simplification pour favoriser la gestion de nos cours d'eau. Un projet de réforme de la loi sur l'eau est toujours dans les cartons du Ministère de l'environnement désormais baptisé "Ministère de l'écologie et du développement durable". La simplification ne semble pas cependant être à l'ordre du jour.

 

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