Le moulin à
foulon de Gaumier
Résumé d’un article de 5 pages, avec photos, de Richard Levesque, Jean-François Bessonnet, Julien Boureau, Conservation du Patrimoine, Conseil général de la Vendée. Sauf mention contraire, les clichés sont de Julien Boureau.
En restaurant le moulin à foulon de Cugand et son
environnement de prairies bocagères, en restituant et en remettant en marche
une des trois machines du site, le Conseil général de la Vendée donne un coup
de projecteur sur un volet méconnu de l’histoire industrielle des bords de Sèvre.
Au nord de la Vendée, sur la rive gauche de la Sèvre
Nantaise, le site de Gaumier, à Cugand, était dans les années 1990 dans un état
d’abandon inquiétant. Toitures écroulées, murs éventrés, machinerie en
partie pillée : le moulin et la teinturerie paraissaient vivre leurs dernières
heures sous les yeux attristés de Henry Gouraud, le foulonnier qui avait arrêté
une dernière fois les lourds maillets, en 1955. En juillet 1998, le Conseil général
fait de Gaumier un dossier prioritaire. L’Assemblée départementale vendéenne
décide de racheter bâtiments et terrains pour les restaurer et les valoriser.
Le projet, piloté par la Conservation départementale
s’articule autour de trois axes :
- L’aménagement paysager des deux hectares de
prairies bordant la Sèvre a été réalisé par la Direction départementale de
l’Environnement, sur les conseils du CAUE de la Vendée. Plantations, élagages
et débroussaillages maîtrisés redonnent à ce site naturel des bords de Sèvre
son authenticité perdue.
- La démarche de restauration de l’architecture va
dans le même sens. Après des relevés et une étude préalable, le moulin du
XVIIIe siècle et la teinturerie du XIXe siècle ont enfin retrouvé
leurs volumes originaux.
- Quant à la mise en
valeur de l’ensemble et la restitution des éléments disparus, elles ont été
confiées à la Conservation du Patrimoine.
Près d’un demi-siècle après avoir refermé avec
regret les portes de « son » moulin, Henry Gouraud vient de
retrouver le sourire. L’eau coule à nouveau dans le chemin d’eau ; la
roue à aubes s’est remise en marche ; le puissant et lancinant martèlement
des pilons de chêne rythme les heures, comme au plus beau jour de l’activité
de Gaumier, ce village de tisserands vendéens des bords de Sèvre.
Le programme muséographique réalisé par la
Conservation du Patrimoine répond à une double problématique : offrir
aux visiteurs un espace de promenade en bords de Sèvre vers un élément
patrimonial tombé dans l’oubli, le moulin à foulon de Gaumier, et jalonner
cette visite de haltes informatives qui leur offrent les clés de compréhension
de l’activité industrielle en bords de Sèvre Nantaise1. Pour
mener à bien cette démarche, il a fallu entreprendre un véritable travail
d’archéologie des techniques, des savoir-faire, des bruits, bref une archéologie
de la mémoire qui, aidée par la recherche d’archives, s’approche de
l’ethnologie ou de l’histoire orale. Cette archéologie qui recueille les
mots du dernier foulonnier, ses gestes et les vibrations du foulon, aide à
construire une mémoire industrielle, encore faut-il que ce travail ne se
referme pas sur lui-même. Au contraire, il doit s’ouvrir sur l’extérieur
pour en livrer sa substance au visiteur. Que l’on soit au manoir des sciences
de Réaumur, au logis de la Chabotterie, au centre minier de Faymoreau ou au
moulin à foulon de Cugand, les choses deviennent plus sensibles ; elles
acquièrent une dimension beaucoup plus concrète à travers ce parcours en
bords de Sèvre Nantaise.
A l’ombre d’un chêne et d’une haie bocagère,
la première halte audio-visuelle invite le promeneur à s’arrêter quelques
instants pour observer le paysage depuis le village de Gaumier jusqu’au pont
qui enjambe la Sèvre. Cette lecture paysagère offre les premières clés
d’analyse pour une lisibilité immédiate du site. Pas à pas, le visiteur est
plongé dans la découverte de ce cours d’eau, de son patrimoine industriel
mystérieux et d’une activité jadis florissante, le textile. La deuxième
halte décrit l’ensemble du processus du travail de la laine, de la tonte au
tissage, du foulonnage à la teinture. Des reproductions d’échantillons de
tissu du XVIIIe siècle complètent cette frise. Une ligne d’étendoirs sur
lesquels les draps étaient fixés pour être séchés a été restituée à
l’identique de ceux encore en place dans les années 1950. Avant d’entrer
dans le moulin, les éléments de compréhension du vocabulaire architectural
sont délivrés grâce à une confrontation de l’archétype du bâtiment
industriel issu du mouvement « clissonnais » au XIXe siècle et du
moulin à foulon de Cugand, long héritage d’une expérience séculaire dont
les formes arrondies sont celles des XVIIe et XVIIIe siècles. Alors, le martèlement
des pilons de chêne appellent le promeneur. Un pont de pierre lui ouvre l’accès
aux portes du moulin à foulon, ce monde où les eaux nettoient et enflamment
les draps. Dans le moulin restauré, un des trois foulons, celui du milieu, a été
restitué sur le modèle des vestiges de celui du haut, dont les liens, les
petits abus et les traits ont été consolidés. Le public circule autour de ce
surprenant ouvrage de charpente. Il peut désormais voir les mouvements de la
machine hydraulique et comprendre les gestes du foulonnier.
D’autres étapes d’apprêt sont évoquées dans la teinturerie. Les
foyers semblent aviver la cuve en cuivre et la ponne en terre cuite. Ces réceptacles
sont de nouveau prêts à recevoir le drap ou la laine. Une presse à drap,
retrouvée à proximité de Gaumier, évoque le catissage, étape de lustrage
des étoffes. A côté, les odeurs de soufre ont disparu. Une machine à lainer,
autre outil d’apprêt est installée dans la pièce adjacente. Ses surprenants
rouleaux garnis de chardons naturels viennent griffer le drap pour en tirer délicatement
les fibres.
Dès le début du XVIe siècle, la Sèvre Nantaise
constitue un couloir naturel propice à l’installation de moulins à eau. Déjà,
de nombreuses chaussées, jalonnent son cours. Benoît Dufournier en a recensé
98, aux formes différentes et toutes investies par un site hydraulique, soit
sur une seule rive -chaussée unipolaire-, soit sur chacune des deux rives
-chaussée bipolaire. Du début du XIIIe siècle à la fin du XXe siècle, plus
de 140 sites hydrauliques rythment les 135 kilomètres de la Sèvre Nantaise. A
Cugand, au début du XIXe siècle, les sites de la Haute Doucinière, la Basse
Doucinière, le Haut Hucheloup, le Bas Hucheloup, Gaumier, La Grenotière et Le
Foulon comptent tous au moins un moulin à foulon. Trois autres sites ont été
foulonniers avant la Révolution, mais ne le sont plus en 1814 : Fouques,
la Feuillée et Plessard.
L’activité foulonnière qui a échappé à la mécanisation
initiée au XIXe siècle le long de la Sèvre Nantaise, ultime
vestige de la proto-industrialisation bas-poitevine est parvenue jusqu’à nous
grâce à la mémoire orale et au sauvetage du moulin de Gaumier par le Conseil
général de Vendée.